Préambule :
Les personnages de la série ne m’appartiennent pas. Ils sont la propriété exclusive de : Ann Donahue & Anthony E. Zuiker. Je ne tire aucun bénéfice de leur mise en situation dans cette fiction. Le personnage de Mme Bidle ne m’appartient pas non plus, il est la propriété exclusive de Pandi qui assume toutes les erreurs de sa créature…
Genre : Humour
Personnages : Don/Danny/Madame Bidle
Résumé : Madame Bidle continue d'épier ses voisins... Mais ce qu'elle voit ne lui convient pas vraiment.
LA CRISE DE NERF DE MADAME BIDLE
Madame Bidle tournait en rond dans son appartement en maugréant à voix indistincte :
- Assieds-toi donc, un instant, lui demanda son mari de sa voix patiente. Ce n’est pas d’user la carpette qui fera avancer les choses !
Madame Bidle eut un soupir exaspéré ! Décidément il ne voulait pas comprendre :
- C’est facile à dire pour toi Armand ! Vraiment facile ! Ce n’est pas toi qui es privé d’activité depuis près de quinze jours ! Que ferais-tu à ma place hein ? Si je te supprimais tes sacro-saints mots croisés quotidiens, tu deviendrais quoi ?
Il leva les yeux par-dessus ses lunettes pour les fixer sur le visage courroucé de son épouse :
- Félice… Tu ne vas pas comparer mes mots croisés à tes activités quelque peu délictueuses non ?
- Délictueuses ! s’exclama-t-elle, sa colère grimpant d’un cran. Je ne vois pas ce qu’il y a de délictueux à s’intéresser à ses voisins ! Evidemment ! Dans ce monde indifférent, hypocrite et individualiste, on ne comprend plus qu’on puisse, en toute bonne foi, se préoccuper de son prochain... Mais…
- Mais je doute que tu te préoccuperais autant de ton prochain si ce prochain n’était pas en l’occurrence deux prochains, et surtout deux beaux jeunes hommes en pleine force de l’âge et qui ne sont pas d’un naturel particulièrement pudique…
- Tu n’y connais rien Armand, trancha-t-elle d’une voix qui, en d’autres temps, aurait suffi à interdire à son très prudent mari de continuer dans cette voie.
Mais le diable devait avoir ce jour-là touché du doigt l’effacé retraité ou bien le fait de voir sa femme dans tous ses états, ainsi que de faire les frais de sa mauvaise humeur continuelle le poussait à tenter de vider l’abcès, mais il s’entêta, en dépit de ce que des années de mariage, dans l’ensemble heureux, lui avaient enseigné.
- Alors explique-moi pourquoi tu te soucies d’eux et pas de la famille Valdez au quatrième qui ont quatre enfants et dont le père est au chômage…
- Les quatre gosses sont insupportables ! Quand ils sont sur leur balcon, je ne peux rien écouter tranquillement…
- Rien de ce qui se passe en face, insinua Armand, décidément d’humeur belliqueuse…
- Rien de ce qui se passe nulle part tant ils hurlent comme des dégénérés…
- D’accord… Et la petite voisine, mère célibataire avec un bambin de seize mois tu…
- Elle a mauvais genre !
- Les Scott, en dessous…
- Bah… Tu as vu à quoi il ressemble avec sa bedaine de buveur de bière et sa moustache à la Groucho Marx ?
- Tu pourrais aussi te préoccuper des Resnik… Ce sont de gentils petits vieux qui…
- Tu l’as dit : des petits vieux ! Des petits vieux avec des habitudes de vieux, des dialogues de vieux, une vie de vieux ! Tu crois que j’ai envie de ressembler à ces gens-là moi ?
- Donc tu vois, ce n’est pas par bonté d’âme que tu te soucies des voisins… Juste ces deux-là…
- Bon !!! Et quand bien même ! s’emporta la retraitée…. Ca fait du mal à qui hein ? Explique-moi ? Je ne fais que regarder, écouter, prendre des notes… J’ai quand même appris avec eux certaines choses dont tu as profité non ?
- Oui… Sans doute… Mais c’est aussi à cause de ce que tu apprends en les regardant que tu as voulu faire de la sculpture, puis de la peinture… Je me souviens du salon transformé en atelier, de mes magazines maculés de couleur de…
- Non mais… Je peux bien m’occuper aussi non ? C’est un peu facile de m’accuser de tous les maux ! Ne me dis pas que tu n’as pas apprécié le coup de la brouette japonaise… et celui du bambou flexible et…
- Evidemment…, la coupa-t-il à son tour en rougissant.
A son âge, il y avait tout de même des sujets qu’on n’aime guère aborder ainsi. Il était d’une génération où les secrets d’alcôve ne passaient pas l’épaisseur des rideaux qui encadraient celle-ci.
- Mais j’ai beaucoup moins aimé le régime macrobiotique parce qu’ils faisaient un essai, les séances de bodybuilding pour me sculpter des abdominaux d’athlète et…
- Plains-toi : j’entretiens ton corps… C’est vrai… Quel homme de ton âge peut se vanter d’avoir une femme qui veille ainsi sur lui ?
- Et le bouquet, c’est que dès qu’ils sont absents quelques jours tu deviens invivable…
- Invivable hein ?
- Exactement… Tu veux que je te dise ma pauvre Félice ?
- Dis-moi, vas-y…
Il ne releva pas le ton menaçant : pour une fois qu’il avait enfin l’occasion de vider son sac et surtout le courage de le faire, il n’allait pas s’arrêter en si bon chemin.
- Tu es une droguée… Voilà ce que tu es !
- Une droguée !!! Elle s’étranglait d’indignation. Une droguée ? Moi qui boit très peu de café, qui ne prend aucun médicament, qui hésite même à avaler des cachets pour mes migraines, qui ne fume pas, ne boit pas…
- Tu es une droguée du sexe Félice ! asséna-t-il.
Elle le regarda, les yeux ronds :
- Non mais… Tu n’as pas honte ! Me dire ça, à mon âge ?
Et elle fondit en larmes sous le regard soudain désolé de son Armand qui ne voulait certes pas en arriver là. Il se leva, entoura ses épaules de son bras et l’entraîna vers le canapé sur lequel il l’assit doucement :
- Félice… Allons… Je suis désolé… Je ne voulais pas te faire du mal… Mais juste…
- Moi… Je croyais… Je croyais… C’était aussi pour toi… et…
- Chut…, il lui essuyait gentiment les yeux. Je sais. Je suis désolé. Je retire ce que j’ai dit. C’est juste que depuis qu’ils sont partis tu es tellement sur les nerfs que je crois que j’ai fini par me dire qu’ils comptaient plus que moi à tes yeux…
- Quoi ?
- Oui…, il sourit un peu piteusement avant d’avouer : je crois que j’étais jaloux…
- Jaloux… toi ?
Soudain elle se mettait à roucouler, comme une adolescente à qui on vient de faire son premier compliment amoureux.
- Oui… Qu’est-ce que tu crois… Quand ils sont là je n’existe plus à tes yeux… Tu les admires, tu baves devant leurs exploits et moi tu me laisses tout seul avec mes mots croisés.
- Mais tu adores les mots croisés !
- J’aime encore plus ma femme ! avoua-t-il.
- Oh ! Mon Armand ! Mais tu sais que tu n’as aucune raison d’être jaloux… Je ne pourrai pas te quitter, pour aucun des deux… « D’autant plus qu’aucun des deux ne voudrait de moi, sinon je ne suis pas sûre que… » finit-elle en pensée.
Mais heureusement les pensées ne s’entendent pas et Armand en resta à ce que ses oreilles avaient perçu. Il posa ses lèvres sur celles de son épouse qui lui rendit son baiser avec usure et, très vite, les deux retraités oublièrent leur colère passagère dans une activité que le commun des mortel estime, on se demande pour quelles raisons, totalement dépassée à l’âge qu’ils avaient désormais atteint.
La nuit les trouva donc réconciliés, la crise momentanément achevée.
Au petit matin, Mme Bidle se glissa hors du lit conjugal, reprise par ses démons. Et soudain elle poussa un hurlement de joie qui arracha le pauvre Armand à un sommeil pourtant bien mérité après les efforts déployés pour faire oublier ses tourments à son épouse.
- Quoi ? Il y a le feu ?
- Non ! Enfin oui ! Il y a de la lumière !
- De la lumière ?
- Ils sont rentrés ! Armand ! Ils sont rentrés !
M. Bidle se contenta de poussa un grognement à la fois de colère d’avoir été réveillé aussi tôt pour une telle nouvelle, de satisfaction en se disant que, peut-être, sa Félice allait redevenir plus facile à vivre et de résignation en comprenant que désormais sa vie allait de nouveau être régie par les lubies et envies de ses voisins.
Son épouse, elle, se précipita vers le balcon, prenant juste le temps d’enfiler une robe de chambre : depuis quinze jours maintenant qu’elle n’avait plus eu l’occasion de satisfaire à son péché mignon, elle n’avait pas l’intention de laisser passer sa chance. Tant pis si elle n’était pas au mieux de sa beauté…
Elle brancha son oreille bionique et s’installa dans le fauteuil réglé à hauteur du télescope dont elle avait fait l’acquisition dix-sept jours auparavant, trouvant son utilisation bien plus confortable que les jumelles qu’elle devait tenir à hauteur d’yeux ce qui avait fini par lui occasionner une tendinite que son médecin ne s’expliquait pas et qu’elle n’avait pas l’intention de lui expliquer non plus. Cependant elle n’avait pas pu étrenner son nouvel équipement. Tout juste avait-elle pu l’installer et le focaliser sur la zone qui l’intéressait et qui, durant deux jours, n’avait d’ailleurs rien présenté d’intéressant. Et puis d’un seul coup ses voisins s’étaient mystérieusement volatilisés sans qu’elle ait décelé le moindre signe avant-coureur de départ : ni valises préparées, ni discussion sur un prochain voyage, ni billet d’avion abandonné sur la table du salon…
Bref, depuis quinze jours elle s’inquiétait : qu’est-ce qui pouvait motiver cette brusque disparition de ses si charmants voisins ? Elle espérait qu’il ne leur était rien arrivé. Elle avait épluché tous les journaux, écouté les informations à longueur de journée dans les trois premiers jours pour s’assurer qu’on ne parlait pas d’un incident majeur dans la police de New York, mais rien n’avait retenu particulièrement son attention parmi le lot habituel d’agressions, d’arrestations, de plaintes enregistrées dans ce laps de temps.
Au bout de dix jours, elle avait même téléphoné au bureau du petit brun afin de demander si elle pouvait lui parler, comptant inventer n’importe quoi. On lui avait simplement répondu que le lieutenant Flack n’était pas disponible pour le moment, sans lui donner d’autres précisions. Mais elle n’avait pas eu l’impression, à la voix de son interlocutrice, qu’il soit arrivé quelque chose au jeune policier.
Enfin… Elle allait sans doute avoir la réponse au mystère et de toute façon, le principal était qu’ils soient de retour… Elle se félicita du calme de ce tout début de matinée qui lui permettait de profiter pleinement de la réapparition de ses chouchous.
- Enfin… Voilà quinze jours que je rêvais de ce canapé ! proférait Danny alors que son oreille était enfin réglée de manière optimale.
- Et moi donc… Qui aurait dit que cette mission serait si épuisante…
Ainsi, ils étaient partis en mission. Heureusement, selon toutes les apparences, ils en revenaient indemnes. Elle n’aurait pas supporté de perdre l’un ou l’autre.
- Pas moi… Sinon… Je ne sais pas ce que j’aurais fait sans toi…
Ca, il était sûr que l’un sans l’autre ce ne serait plus du tout pareil. C’était ensemble qu’ils étaient remarquables.
- J’étais heureux que tu sois là… Mais je n’aurais pas cru que tu aurais été si…
- Si quoi ?
- Si naturel… Après tout ce n’est pas ton job.
- Mais pouvoir être auprès de toi m’a fait pousser des ailes.
« Bon d’accord les mignons, vous êtes adorables, mais il serait temps de passer aux choses sérieuses. J’ai quinze jours à rattraper moi… »
Comme s’ils avaient entendu l’invite, les deux hommes s’étaient approchés l’un de l’autre.
Don murmura doucement :
- Tu sais ce qui m’a manqué plus que ce canapé ?
- Non…, répondit Danny, un sourire faussement innocent peint sur le visage.
- De pouvoir te prendre dans mes bras… Te serrer contre moi… T’embrasser ici et là et …
Le policier avait pris son amant contre lui et le couvrait de baisers sur les lèvres, le visage, le cou, lui arrachant de petits frissons de plaisir.
- Je crois que ça m’a manqué aussi, susurra Danny.
- Tu crois seulement ?
Don s’était écarté de lui, indigné. Heureux d’avoir obtenu l’effet escompté, l’expert commença à déboutonner la chemise de son compagnon en répliquant :
- Non… Je voulais juste que tu me lâches pour pouvoir faire ça…
« Enfin… Les choses sérieuses commencent. Je ne sais pas où ils sont allés, mais visiblement ils sont en manque autant que moi… Armand a peut-être raison : je suis un peu accro je crois… Mais après tout, ça ne fait de mal à personne et c’est plutôt bon pour la santé alors… »
Danny avait écarté les pan du vêtement et s’attaquait maintenant à la peau de son compagnon qui se mit à gémir sous les douces sensations qu’il lui procurait. Il l’allongea sur le canapé et s’allongea sur lui, pressant leurs entrejambes l’une contre l’autre, leur arrachant un geignement de désir simultané.
« Humm… On dirait qu’ils en ont vraiment besoin… Heureusement que je me suis réveillée à temps… Quelle déception si j’avais raté le spectacle ! »
Les deux hommes s’embrassaient maintenant à pleine bouche tandis que les mains de Don s’étaient glissées sous le tee-shirt de Danny qu’elles remontaient doucement. Ce dernier se releva pour passer rapidement la tête par l’encolure, se retrouvant torse nu. Une fois de plus, Madame Bidle put admirer le corps appétissant de son voisin, sans une once de graisse superflue, musclé juste comme elle l’aimait, et couvert d’une fine toison blonde qu’elle n’avait jusqu’à présent jamais remarquée, ses jumelles étant bien moins performantes que son tout nouveau télescope. Décidément le spectacle s’annonçait incroyablement passionnant !
Ils étaient de nouveau étendus l’un sur l’autre, les mains et les langues s’afférant, élicitant des réactions vocales que l’oreille bionique retransmettait fidèlement à une Madame Bidle ravie.
Puis Danny se releva, à califourchon sur les cuisses de son amant, et il commença à attaquer la ceinture du jean d’un mouvement nerveux qui trahissait son besoin. Il ne s’attarda pas en un déshabillage à la fois exaspérant et fort érotique, ayant visiblement l’intention de ne pas faire traîner les choses en longueur, son partenaire semblant partager son point de vue, et très vite les derniers vêtements eurent quitté les corps qu’elle put de nouveau admirer dans toute leur perfection. Cela lui permit aussi de s’assurer qu’ils étaient effectivement indemnes. Seule une vilaine ecchymose marquait la cuisse du lieutenant, mais visiblement cela n’avait pas l’air de le déranger.
Les mains et les bouches se remirent à l’ouvrage sur les parties corporelles ainsi dévoilées et les gémissements de plus en plus sonores qui s’élevaient, la vue de ces deux corps luisants de sueurs, amenèrent Madame Bidle proche de l’extase.
« Allez… Il est temps de passer aux choses sérieuses ! » les encouragea-t-elle.
Danny se releva un peu et elle soupira d’aise : enfin elle allait revivre !
Et puis soudain ce fut le noir total : l’oreille ne transmettait plus un son, le télescope plus une image !
Fébrilement, proche de la crise de nerf, elle vérifia les réglages, l’alimentation… Tout fonctionnait… en apparence… Mais rien ne fonctionnait plus et les minutes s’égrenaient tandis que l’affolement la gagnait…
- Qu’est-ce que c’est ? Mais… C’est pas vrai !!! C’est quoi ce truc !!!
Devant ses yeux exorbités, elle vit soudain apparaître le mot :
CENSURÉ !!!
Un cri de rage lui échappa tandis que son cerveau, bloqué, essayait de comprendre ce que voulait dire cette mauvaise plaisanterie. Ce n’était pas possible… Mais que se passait-il ? Quel était ce cauchemar ? Etait-ce un tour de ses voisins qui s’étaient aperçus de la surveillance dont ils faisaient l’objet ?
Soudain il lui sembla percevoir de nouveau des bruits et son télescope focalisa sur la fenêtre… Avec un sentiment de frustration grandissant, elle vit que les deux hommes se relevaient et se dirigeaient vers la salle de bain. Elle avait manqué le grand retour !
Un nouveau hurlement de rage lui échappa qui fit trembler les enfants Lopez trois étages plus bas, persuadés désormais qu’un monstre hantait l’immeuble, et arracha Armand au sommeil dans lequel il avait replongé. Il se redressa, puis, réalisant que ce n’était que sa femme qui faisait des siennes, il enfouit sa tête sous l’oreiller pour échapper aux récriminations qu’il sentait venir…
Mais Félice n’avait pas l’intention d’ennuyer son mari. Toute sa colère était dirigé vers un seul être et elle fonça dans la salle de bain pour s’habiller avant d’aller fouiller dans la penderie à la recherche d’une boîte dans laquelle elle saisit un objet.
Puis elle sortit de l’appartement en quatrième vitesse et se rua vers l’aéroport.
*****
Tranquillement assise devant son ordinateur, une tasse fumante à ses côtés, l’auteur alignait des mots en souriant. C’était amusant cette histoire.
Un fracas épouvantable dans l’entrée la fit sursauter. Mais avant qu’elle ne puisse s’alarmer davantage, une créature échevelée, écarlate, en sueur, fit irruption dans le bureau et braqua une arme sur elle :
- Pourquoi ? tonna la créature d’une voix stridente.
- Quoi ? Mais que…
La malheureuse auteur était à deux doigts de s’évanouir. Elle ne comprenait pas ce qui pouvait justifier cette intrusion et surtout la menace qui pesait sur elle. Elle n’avait jamais fait de mal à quiconque, enfin dans la vraie vie, parce que sur le papier c’était une autre histoire.
- Pourquoi vous me faites ça ? éructa de nouveau l’intruse.
Tentant de ne pas céder à la panique, la nouvelliste prit le temps de la dévisager et soudain elle sursauta. Ce visage, cette silhouette… elle les connaissait très bien !
- Mais… Ce n’est pas possible, balbutia-t-elle, persuadée d’être plongée dans un rêve !
- Quoi… Qu’est-ce qui n’est pas possible ?
- Vous êtes madame Bidle !
- Evidemment que je suis madame Bidle ! Qu’est-ce que tu crois sale chipie !
- Mais… Vous n’existez pas…
- Comment ça je n’existe pas ? Tu veux une preuve ?
Elle dirigea son arme vers la sculpture de plâtre hideuse qui trônait derrière le bureau, représentant une vieille toute ridée entourée de deux créatures plus jeunes, toutes les trois portant sur leurs traits grossiers un air de concupiscence absolue. Sur le socle était juste écrit : FFF ce qui avait sans doute un sens pour la détentrice de cette œuvre qu’on pouvait difficilement qualifier d’art, mais pas pour Madame Bidle qui, sans se préoccuper de risquer un crime de lèse majesté, tira. La sculpture explosa, couvrant de poussière blanche la malheureuse femme figée sur son fauteuil.
- Ce n’est pas possible, ce n’est pas possible…, balbutiait-elle comme incapable d’articuler autre chose.
- Si tu continues comme ça je vais te montrer que tout est possible !
- Mais… C’est moi qui vous ai inventée… Vous êtes un personnage de papier et…
- Un personnage de papier ! s’indigna la vieille dame. Non ! Quand on crée un personnage aussi intéressant et original que moi, il ne peut pas être un simple personnage de papier ! Qu’est-ce que tu crois péronnelle ! J’existe et j’ai des besoins !
- Des besoins ?
- Oui !!!! A cause de toi j’ai besoin de mes câlins quotidiens ! Tu m’en as privée pendant quinze jours et maintenant tu censures !
- Je censure moi ?
Cette fois-ci, c’était le tour de l’auteur d’être outrée. L’accuser, elle, de censurer ! Elle qui écrivait les lemons les plus torrides, les tortures les plus raffinées, les séparations les plus déchirantes !!!! Elle qui avait séparé ses héros, les avaient plongés dans les tourments les plus effroyables, allant jusqu’à les rendre malade ou en tronçonner quelques uns quand elle ne leur faisait pas subir, avec une délectation jubilatoire ce que le commun des mortels qualifiait de « derniers outrages ». Alors lui parler de censure, c’était insulter tout ce qu’elle était et ce en quoi elle croyait !
Madame Bidle comprit, à son attitude, que visiblement le problème ne venait pas d’elle.
- Ce n’est pas toi alors ? dit-elle, encore sur la défensive.
- Bien sûr que non ! Mais racontez-moi de quoi il s’agit…
Avec des trémolos dans la voix, mettant dans son intonation tout son désarroi devant l’injustice et la cruauté de ce qu’elle avait subi, la retraitée narra par le menu l’affaire à l’auteur. A la fin, celle-ci hocha la tête en s’exclamant :
- Oui ! C’est évident ! Je connais la coupable !
- Qui est-ce ? questionna Madame Bidle les yeux étincelants de fureur.
- Stéphanie !
- Stéphanie ? C’est qui ça encore ?
- C’est la modo de la section… Cette histoire est un cadeau de Noël… La règle c’est : pas de violence, pas de sexe…
- C’est une nonne votre modo ?
- Pas que je sache… Mais elle dit qu’il faut protéger nos jeunes ouailles…
- Je ne vois pas pourquoi… Les jeunes ont bien le droit d’apprendre les choses de la vie non ? C’est même un devoir ! Bon et alors ?… Je ne vois pas en quoi…
- Et bien j’avais écrit une histoire où je décrivais leur mission… Et je peux vous dire qu’ils en ont vu de toutes les couleurs… Et au retour de l’hôpital…
- Quoi ? Quel hôpital ?
- Et bien, la mission a duré trois jours, suivis de douze jours d’hôpital.
- Ils n’avaient pas de marques !
- Les blessures n’étaient pas forcément externes…
Le sourire plein de sous-entendus qui accompagna cette réflexion fit courir le sang un peu plus vite dans les veines de la vieille dame très indigne qui se promit illico de se procurer les feuillets relatif à cette mission.
- Mais…, commença-t-elle perdant le fil de ses pensées, ce qui est totalement prévisible quand un personnage menace son créateur qui, du coup, à évidemment bien du mal à lui permettre d’agir et de réfléchir de manière cohérente, quand bien même aurait-il l’intention de le faire.
- Et au retour chez eux, ils ont fait un gros câlin… Ou plutôt plusieurs… D’ailleurs en ce moment même…, enchaîna l’auteur en laissant ses yeux s’attarder sur la page qu’elle était en train de taper quand son personnage avait fait irruption dans la pièce.
Il était temps qu’elle se remette au travail d’ailleurs parce qu’ils allaient fatiguer ainsi imbriqués et coincés au détour d’une phrase.
- Je ne vois toujours pas le rapport, proféra Madame Bidle d’une voix maussade, n’ayant décidément nullement l’intention de se montrer compréhensive.
L’écrivain eut un soupir agacé, se demandant si elle n’avait pas oublié de donner quelques neurones d’intelligence à sa créature, trop occupée à lui donner ceux du voyeurisme.
- Fidèle à ses directives, Stéphanie a dû jouer des ciseaux pour couper les parties incriminées et rendre la fiction compatible avec sa section.
Les yeux de madame Bidle se mirent à lancer des éclairs et ses doigts se resserrèrent sur l’arme, au point que ses jointures en blanchirent.
- Et on la trouve où cette Stéphanie ? demanda-t-elle, sa voix s’élevant curieusement dans les aigus sur la dernière syllabe.
- Je ne sais pas trop, hésita l’auteur, partagée entre l’envie de protéger sa condisciple et celle de sortir indemne de cette situation que, même dans un jour d’imagination débordante, elle n’aurait pas pu inventer.
- Où - on – trou – ve - cet - te – Sté - pha - nie ? reprit madame Bidle, détachant les syllabes et tournant l’arme vers sa créatrice.
Après tout, tant pis… Une fois la folle partie, elle pourrait peut-être tenter quelque chose. Et puis elle l’avait prévenue que c’était dangereux d’empêcher les gens de s’exprimer selon leurs volontés. Qu’elle assume les conséquences de ses actes…
- Quelque part en Belgique, je crois…, commença-t-elle d’un ton un peu hésitant.
Elle avait malgré tout quelques scrupules à livrer la jeune femme sans défense à la harpie incarnée.
- En Belgique… Et où ça en Belgique ?
Quelques minutes plus tard, Madame Bidle repartait aussi vite qu’elle était arrivée, direction l’aéroport tandis que la malheureuse auteur tentait de se remettre de ses émotions, se demandant comment arriver à sauver la situation.
Elle resta tremblante quelques minutes, ferma les yeux pour reprendre ses esprits et laissa ses pensées vagabonder… Lorsqu’elle reprit contact avec la réalité, la première chose qu’elle vit ce fut l’écran de son ordinateur qui affichait les derniers mots qu’elle avait tapés. Elle relut machinalement le dernier paragraphe et soudain, comme animées d’une vie propre, ses mains se remirent à courir sur le clavier.
Comme tous les auteurs, la situation qu’elle était en train de rédiger avait le pas sur tout le reste. Et en ce moment, elle était entre Don et Danny, à un moment crucial… Elle avait totalement occulté Madame Bidle.
C’est ainsi qu’alors qu’elle sortait pour se rendre à son travail, Stéphanie se trouva nez à nez avec une vieille dame qui semblait un peu perdue. D’un naturel fort complaisant, la jeune Belge se dirigea vers elle :
- Je peux vous être utile madame ?
Un inquiétant sourire fleurit sur les lèvres de la femme tandis qu’elle pointait une arme en plein sur sa tête :
- En effet, je crois que vous pouvez m’être très utile. Mais rentrez donc chez vous que nous en parlions plus tranquillement.
Ce furent les derniers cadeaux de Noël échangés sur FFF, sans que personne ne comprenne pourquoi.
FIN