Seul dans cette chambre impersonnelle, il ressassait des pensées lugubres. Pourquoi avait-il eu l’idée de regarder ce qu’il se passait sur Twitter ? Certes il postait quelques mots de temps à autres pour ses fans, mais il n’accrochait pas vraiment au concept et ne s’intéressait pas à ce qu’il s’y disait.
Ce soir, il se retrouvait dans cet hôtel, incapable de se concentrer pour écrire quoi que ce soit et s’ennuyant ferme, il avait pourtant parcouru les réseaux sociaux d’un œil distrait, puis de fil en aiguille, il s’était laissé absorbé par le flot étrange de mots déversés par des milliers d’inconnus, notamment tous ceux adressés aux humoristes de l’émission « On ne demande qu’à en rire », ses potes de fortune ou d’infortune. De plus en plus intrigué et curieux, il avait consultés plusieurs jours d’historique de mini messages, découvrant ainsi des dessins, des photos et un paquet de commentaires laissés ainsi aux yeux de tous, la plupart assez sympathiques, d’autres un peu inquiétant et certains carrément désagréables. Tout cela faisait parti de la vie d’un artiste ayant un peu de notoriété, et quelque part, il trouvait ça flatteur de susciter autant d’intérêt.
Au détour de ses lectures, il avait lu un message adressé à Arnaud et Cyril qui disait : « Voila ma nouvelle fic, j’espère qu’elle vous plaira, je vous aime tous les deux ! », suivi d’un mini lien.
Après s’être demandé une demi seconde ce que pouvait bien être une fic, il avait cliqué sur le lien et s’était retrouvé face à un texte d’une dizaine de page. Sans se poser de questions, il avait commencé à lire les mots qui s’étalaient ainsi devant lui, comprenant doucement qu’il s’agissait d’une histoire avec ses amis mis en scène. Ne pouvant plus détacher son regard du texte qui racontait le rapprochement amoureux des deux hommes, il finit par tomber sur la partie du récit qui détaillait leurs ébats. A ce passage, écœuré, il avait fermé d’un geste sec son ordinateur portable, puis l’avait fixé pendant de longues minutes, immobile.
Maintenant, dans sa tête, dix milles mots se bousculaient, il était incapable de réfléchir, et plus encore, il n’arrivait pas à comprendre sa réaction. Comment des gens pouvaient-ils imaginer des trucs pareils ? Respirant profondément, il essaya de remettre un peu d’ordre dans ses idées, en commençant par se demander ce qui le perturbait autant. Il n’était pas homophobe, ça il en était certain, alors pourquoi ce rejet aussi violent ? Non, il n’avait rien contre les gays, mais… Cyril et Arnaud merde ! Mentalement, il ne pu s’empêcher de visualiser les mots qu’il avait lu, la main de Cyril touchant la joue de son ami, puis posant ses lèvres sur … Arnaud ! Comme pris de panique, il ouvrit les yeux et se leva d’un bond. Non, c’était impossible, ça ne pouvait pas se produire. Se rendant dans la salle de bain, il s’aspergea le visage d’eau froide, comme si elle pouvait effacer ces images par magie, ce qui ne fut bien sûr pas le cas, mais qui eut au moins le mérite de le calmer un peu. Il regarda son reflet dans le miroir, comme s’il pouvait lui apporter des réponses, puis finit par attraper une serviette pour se sécher.
Il fut soustrait au fil de ses pensées par le bruit de son portable vibrant sur le petit bureau qui était dans la chambre. Qui pouvait bien l’appeler à.. ? Quelle heure était-il ? Il jeta un coup d’œil à sa montre, qui lui apprit qu’il était 02h17. Il finit par attraper son téléphone, pour voir apparaitre la photo d’une patate jaune avec un sourire niais. Arnaud… Sans réfléchir plus longtemps, il décrocha :
- Allo ?
- Jérémy ? J’espère que je ne te réveille pas ?
- Je… Non, t’inquiète pas, je regardais la télé. Qu’est ce qu’y se passe ? T’es dans la rue, j’entends la circulation ?
- Oui on est dehors et y’a rien de spécial, on vient de sortir du resto, et on se demandait si tout s’était bien passé à Liège.
- Impec, le public est génial ici… Finalement je rentre demain matin, l’enregistrement de l’émission sur la chaine belge a été annulé.
- Oh désolé pour toi, mais ce n’est que partie remise !
- Oui, et puis j’ai envie de rentrer, ici j’arrive pas à me concentrer, et j’ai un sketch à écrire pour l’émission de la semaine prochaine…
De l’autre coté de la ligne, il entendit une voix qui s’adressait à Arnaud, puis son ami qui lui dit :
- Tiens, on dirait qu’on va même réussir à choper un taxi… ! Je te laisse dormir faut qu’on y ailles! Bonne nuit mon p’ti diable !
- Bonne nuit… , eh Arnaud, est ce qu’on… !, dit-il précipitamment, mais la communication était déjà coupée, et sa voix se perdit dans le silence de la chambre, alors qu’il murmurait : … se voit demain…?
Dépité sans bien savoir pourquoi, il finit par jeter son téléphone de rage devant lui sur le lit. Avec qui était-il ? Qui était ce ‘on’ avec qui il était si pressé de partager un taxi ? Puis comme par enchantement, il se figea et se calma instantanément. Qu’est ce qu’il lui arrivait ? Pourquoi se mettait-il dans un état pareil ? Il repensa à ce qui s’était passé à peine dix minutes plus tôt, à la lecture de ce texte qui avait déclenché… quoi ? de la jalousie ? Etait-il possible que les mots qu’il avait lu reflètent un semblant de vérité ? Et maintenant qu’il savait qu’Arnaud était quelque part dans Paris, accompagné par… quelqu’un, cette idée le rendait malade, sans qu’il puisse mettre des mots sur ce qu’il ressentait.
Se sentant impuissant à comprendre ce soir ce qui se passait dans sa tête, il décida de prendre une douche brulante, puis une fois sec, s’allongea sur le lit, les yeux grands ouverts, attendant le sommeil qui tarda à venir.
Cette nuit là, il fit un rêve étrange. Dans un supermarché, il croisait Cyril qui portait un énorme panier rempli de légumes, et qui lui disait inlassablement « Désolé Jérémy, je n’ai pas le temps de discuter, il faut que je termine les courses pour ma patate ». Et il avait beau changer de rayon, il tombait toujours sur son ami humoriste, qui prononçait encore et encore les mêmes mots, en promenant son immense panier.
Se réveillant enfin, il mit quelques minutes à comprendre où il était. Il alluma la lampe de chevet, et regarda sa montre. 04h39. Se sentant encore fatigué, il referma les yeux, ignorant la lumière dans la pièce. Il se retourna plusieurs fois, mais ne retrouva pas le sommeil. Il avait beau faire pour tenter de penser à autre chose, le visage souriant de Cyril s’insinuait partout, et avec lui la litanie qu’il avait mainte et mainte fois répétée pendant son rêve. De colère, l’ardennais s’assit sur le lit, et tout en frappant le matelas, il hurla :
- C’est MA patate, putain !
Comprenant qu’il était incapable de se rendormir, il prit une douche, s’habilla, appela la réception pour commander un taxi, rangea les quelques affaires qui trainaient dans son sac de voyage, et parti en direction de la gare, bien décidé à prendre le premier train pour Paris et à aller voir Arnaud.
Il pu échanger son billet pour le train de 05h51, il serait donc à Paris vers 9h. Il ne savait pas encore ce qu’il allait dire à son ami, mais il avait 2h pour y réfléchir.
**********
Le voyage se passa sans encombres, si on excepte le fait que les pensées du jeune humoristes défilaient à la vitesse du Thalys. Et si Arnaud n’était pas chez lui ? Ou s’il était avec quelqu’un ? Que fallait-il lui dire ? Qu’avait-il envie de lui dire ? D’ailleurs, est ce qu’il avait envie de lui parler, lui ? Envie, il n’en était pas très sûr, en revanche, ce dont il était certain c’est qu’il en avait besoin. Il bailla plusieurs fois, le manque de repos se faisant sentir, mais il ne parvint pas à fermer l’œil, et lorsqu’il vit les premières villes de la banlieue parisienne défiler devant ses yeux, un sentiment curieux de soulagement mêlé à une angoisse grandissante se propagea en lui.
Arrivé à Paris, il pris un taxi, et donna l’adresse de son ami.
Alors que la voiture s’engouffrait dans l’avenue qu’il reconnaissait, le jeune humoriste sentit son cœur s’emballer. A l’angle de la rue, le chauffeur s’arrêta et le déposa. Le jeune homme, maintenant debout devant l’immeuble, se sentait un peu perdu. Il était à peine 09h30, et Arnaud s’était couché tard lui aussi.
Il hésita à l’appeler, pour voir s’il était réveillé, mais en regardant son téléphone, le coup de fil de la nuit lui revint en mémoire, et avec lui, la colère qu’il avait éprouvé et ce sentiment d’abandon, sur lequel il pouvait enfin mettre un mot. Il avait sans doute passé la nuit avec quelqu’un, et à cette pensée son sang ne fit qu’un tour. Il tapa le code de la porte, appuya sur le bouton de l’ascenseur, mais n’eut pas la patience de l’attendre, et couru jusqu’à l’étage de son ami.
Appuyant frénétiquement sur la sonnette, il entendit une voix qui lui criait :
- Oui c’est bon, j’arrive, on se calme !
La porte s’ouvrit, et l’ardennais se retrouva nez à nez avec l’homme qui faisait parler les légumes, vêtu d’un T-shirt gris et d’un boxer, les cheveux en pétard, et les yeux de quelqu’un qui venait de se réveiller.
- Jérémy… ?
- Salut… je peux entrer ?
- Euh, oui oui, entre ! Je te croyais à Liège ?
- J’ai pris le premier train ce matin. Pourquoi, je te dérange ?, lui répondit-il sur la défensive.
- Hein ? Mais non, je suis surpris c’est tout. Y’a un truc grave ?
- Non.
Perplexe, mais pas suffisamment réveillé pour lutter, Tsamère enchaina :
- … Ok, bon moi je vais me faire un café, tu en veux un ?
- Oui.
- … Eh ben, la journée va être longue.
Il se rendit dans la cuisine, prépara deux breuvages noirs, et revint dans le salon, où il trouva son ami debout près de la fenêtre, bras croisés. Posant les tasses qu’il tenait sur la table basse, il lui demanda :
- Alors, si tu me disais ce qui t’amène à l’aube, en direct de la Belgique ?
- …
- Jérémy ? T’es encore avec moi ?
- Avec qui t’as passé la nuit ?
- Hein ? Avec personne, j’ai dormi avec moi-même, ce qui est déjà bien suffisant.
- … Et t’était avec qui hier soir, quand tu m’as raccroché à la gueule ?
- Mais je ne t’ai pas… Oh et puis merde c’est quoi cet interrogatoire ?
- …
- Est-ce que tu vas oui ou non me dire ce qui se passe ?
- … Rien.
- Non pas rien ! Tu débarques chez moi aux aurores, tu me réponds en monosyllabes, et t’es agressif sans raison, alors explique toi !
Le plus jeune laissa sa colère prendre le dessus, et s’emporta :
- Moi je suis agressif ? C’est toi qui m’envoie chier au téléphone hier soir et c’est moi qui suis agressif ?? J’ai quasiment pas dormi de la nuit, j’ai pris le premier train qui partait pour Paris, et tu veux que je te dise pourquoi? Parce que c’est moi qui devrait remplir ce putain de panier de légumes, bordel, moi et personne d’autre, tu m’entends ?!?
- Que… quoi ?
Le silence se fit. Arnaud regardait son ami, il voyait bien qu’il était perdu, mais ne savait pas trop quelle attitude adopter. Le jeune homme pouvait se mettre en colère assez facilement, mais généralement ses propos restaient cohérents, et là il faut bien avouer que ses dernières paroles étaient étranges.
- Laisse tomber, je suis crevé, je vais rentrer chez moi, ca vaut mieux.
Alors que l’ardennais se dirigeait vers la porte et allait prendre son sac au passage, le plus vieux le rattrapa par le bras, et le força à se tourner vers lui.
- Attends une minute, tu peux pas partir comme ça, en me laissant cogiter sur tes histoires de légumes… Jérémy… qu’est ce qui s’est passé à Lièges ?
Le jeune homme regarda son ami dans les yeux puis soupira. Après tout, il était venu pour ça, et s’il ne vidait pas son sac, il avait le sentiment qu’il allait de toute façon finir par exploser. Il fit quelques pas en direction du canapé, et l’ainé, soulagé, le lâcha. Ils retrouvèrent ainsi, assis sur le divan, sans que ni l’un ni l’autre n’ait prononcé un mot de plus.
Les yeux fixant le vide, Jérémy soupira à nouveau, puis se lança :
- Il ne s’est rien passé à Lièges… Enfin, … c’est juste que…
- Hey, c’est moi, tu peux tout me dire tu sais ?
- Ouais je sais…
Prenant une nouvelle inspiration et passant sa main dans les cheveux, il enchaina :
- J’arrivais pas à écrire hier soir, et je m’emmerdais, alors j’ai eu la grande idée de me connecter à Twitter et de regarder ce que les gens disaient. Je veux dire, je sais globalement que les gens nous interpellent, et tout ça, mais j’avais jamais pris le temps de vraiment… lire…
- Et… ?, dit doucement Arnaud, pour l’encourager.
- Je suis tombé sur un message d’une fille qui t’envoyait un texte qu’elle avait écrit… Ca parlait… C’était à propos de toi, et de Cyril… et vous… enfin vous… étiez amoureux.
- … Et ça te gène d’imaginer que je sois gay ?
- Ca a pas l’air de te choquer ce que je te dis… ! Elle a carrément décrit comment vous vous êtes envoyés en l’air !
- Ca n’a rien de grave, tu es juste tombé sur une fanfic… une fiction de fan.
- Hein ? T’as lu le texte ?
- Non, pas celui là, mais j’en ai lu d’autres…
- Sérieux ? Y’en a d’autres ?
- Y’en a un paquet oui…
- Tu te fous de moi là… ?! Et c’est tout ce que ça te fait ?
- Jérémy, tu n’as pas répondu à ma question… Ca t’ennuie que je puisse être homo ?
Ferrari avait pali en entendant parler de ces histoires qui circulaient, et à présent il avait l’air d’avoir croisé un fantôme, mais comme souvent chez lui, sa rage reprit le contrôle, et il finit par crier :
- Je… Tu veux que je te dise ce qui m’emmerde vraiment ? C’est de t’imaginer en train de baiser dans un pieu avec Cyril ! Y’a quelque chose entre vous ?
- Hein ? Hey, mon petit diable, calme toi deux secondes… Tout ça c’est juste des fantasmes, que les gens écrivent parce qu’ils ont besoin de s’évader… y’a rien de vrai là dedans… ça se saurait…, finit-il, avec une pointe de regret dans la voix, presque imperceptible, mais pas suffisamment infime pour échapper à son ami.
- Pourquoi, t’aurais envie de te le faire ?, lui répondit-il, n’essayant même pas de masquer son agressivité, et se levant d’un bond pour faire les cent pas.
Le plus vieux soupira, et se demanda comment continuer la conversation. Il avait bien perçu qu’ils étaient arrivés à un point de non retour, et à présent, il fallait aller de l’avant, il n’avait plus le choix.
- Ecoute, je vais te répondre, mais d’abord dis moi : est-ce que… tu en as cherché d’autres ?
- D’autres quoi ? De quoi tu me parles encore ?
- D’autres histoires.
- Tu déconnes ?! Figure toi que les saloperies que j’ai pu lire entre Garnier et toi ça m’a suffit ! Pourquoi, y’en a d’autres où ça tourne en parthouse ?
- Calme toi et écoute moi jusqu’au bout… viens t’asseoir s’il te plait, tu me donnes le vertige…
Levant les yeux au ciel, le plus jeune finit par capituler, et repris sa place sur le canapé.
- Alors, si tu en avais cherché d’autres, tu aurais surement trouvé un tas d’histoires… sur toi et moi.
L’ardennais regarda son ami et le dévisagea, comme s’il venait de lui dire qu’il avait une patate tatouée sur les fesses.
- Et jusqu’à preuve du contraire, toi et moi… eh bien, on ne couche pas ensemble.
- …
- Et pour répondre à ta question, non j’ai aucune envie de faire quoi que ce soit avec Cyril…
Le silence s’installa. Le plus jeune essayait d’assimiler les dernières paroles de son ami, tout en maitrisant tant bien que mal ces propres émotions. Les sous-entendus du plus vieux étaient évidents, et pourtant, il ne pouvait être certain de rien, et de toute façon, il ne savait pas vraiment ce qu’il voulait comprendre…
Quelques minutes s’écoulèrent, comme si le temps s’était arrêté, et Tsamère, essayant de renouer le dialogue, demanda :
- Tout à l’heure tu as parlé d’un panier de légumes… Tu peux peut être développer maintenant ?, fit-il, dans un sourire qu’il espérait rassurant.
- Je… J’ai mal dormi cette nuit, et j’ai fait un rêve à la con… C’est rien…
- Raconte… Allez…
- Eh bien… J’étais dans un magasin, et dans tous les rayons y’avait Cyril, qui portait un panier plein de légumes, et qui n’arrêtait pas de dire qu’il n’avait pas le temps de discuter avec moi, parce qu’il fallait qu’il rejoigne sa patate… Arnaud… Arnaud, je… veux,… j’aimeraisremplirtonpanierdelegumes.
- Jérémy…
- Ce que je veux dire c’est… que t’es ma patate à moi, et rien qu’à moi…, finit-il dans un murmure.
Le regard plongé dans celui de son partenaire de scène, l’ardennais sentit doucement ses barrières mentales s’effondrer une à une, les larmes n’étaient plus très loin. Il ferma les yeux pour tenter de les contenir sans grand succès alors qu’Arnaud, le cœur gonflé d’amour, l’attirait vers lui pour le prendre dans ses bras et le bercer tendrement.
- Mon petit diable, je t’en prie, calme toi…
- Je… Chuis désolé… Chuis pitoyable…
- Non, ne crois pas ça… toi aussi… t’es mon petit diable à moi, et rien qu’à moi…
Quelques minutes s’écoulèrent encore, le jeune homme prenant lentement conscience de mots qui avaient été prononcés. Reprenant contenance, l’ardennais se détacha de l’étreinte de son ami, et lâcha :
- J’ai définitivement pas assez dormi, je vais rentrer et me pieuter…
- Hey tu t’es cru où ? J’ai aussi un lit et je te le prête volontiers pour une sieste matinale !
- Arnaud…
- Je ne te sauterai pas dessus, si c’est ce qui te fait peur…, lui répondit-il dans un sourire.
- Non, c’est juste que… je veux pas que tu te sentes obligé…
- Depuis quand Jeremy Ferrari a-t-il des états d’âme ? Qui êtes vous et qu’avez-vous fait de mon petit diable ?
Un sourire s’afficha enfin sur le visage du jeune homme.
- Ok, je reste, mais ne viens pas te plaindre si je ronfle !
- Je me plaindrais si je veux ! Je suis quand même chez moi ! Allez, va dormir !
- Oui monsieur !
L’ardennais se rendit dans la chambre de son ami, et s’allongea sur le lit, sans prendre le temps de se déshabiller. Ereinté, il s’endormit presqu’instantanément.
**********
Resté dans le salon, l’homme qui faisait parler les légumes fixait la porte menant au couloir dans lequel se trouvait sa chambre. Son esprit était en ébullition, repassant en boucle tout ce qui avait été dit, depuis le coup de fil de la veille jusqu’à ce début de matinée mouvementé.
A cet instant, il ne parvenait pas à déterminer si les derniers évènements étaient positifs, ou si au contraire la situation était devenue incroyablement compliquée. Celui qu’il n’avait jamais voulu considérer autrement que comme son meilleur ami, de peur de le perdre à jamais, venait de lui avouer à demi mots qu’il tenait à lui, au-delà de la simple amitié… Mais avait-il bien saisi le sens de ce qu’il avait entendu ? Jérémy lui-même avait-il conscience de ce qu’il avait exprimé ? Avec le stress de son spectacle et la fatigue accumulée, ses mots avaient peut être dépassés sa pensée.
Incapable de trouver une issue à son tourment, il finit par se lever pour aller prendre une douche. A défaut d’en ressortir avec une solution, au moins, il serait propre.
Sous l’eau tiède, il tenta vainement de penser à autre chose qu’à l’homme qui dormait dans la pièce d’à coté… sans succès. Son esprit s’emballa, et les idées qui s’insinuèrent en lui étaient loin d’être chastes. Quelques dizaines de minutes plus tôt, il avait tenu son ami serré contre lui, il l’avait réconforté, et surtout, le jeune homme ne l’avait pas repoussé. Le souvenir de son corps pressé contre le sien enflamma son imagination, et sous ses yeux clos défilaient maintenant des images indécentes, un corps nu offert à lui, sans pudeur, une main qui se perd sur sa peau, la sensualité d’un regard, la douceur d’une caresse…
Comme s’il prenait conscience que tout cela ne rimait à rien, il secoua vivement la tête, chassant ainsi les visions divines qu’il avait eu, pour revenir à la réalité… humide. Il était toujours sous la douche, seul, avec son ami qui dormait à quelques pas de là, songeant qu’il ne savait toujours pas ce qu’il allait lui dire lorsqu’il se réveillerait. Il soupira et se savonna, rester sous l’eau jusqu’à la dissolution de son propre corps n’étant pas une solution en soi.
Une fois sec, il passa un peignoir et sorti de la salle de bain. Debout devant la porte de sa chambre, il hésita. Il avait besoin de vêtements propres et… il mourrait d’envie de voir son ami dormir. Toutefois, il risquait de le réveiller, et il n’était pas encore tout à fait prêt à avoir une discussion avec lui. La tentation fut la plus forte, le bordelais tourna lentement la poignée, et entra. Il faisait jour au dehors et les volets laissaient passer quelques traits de lumière, plongeant la pièce dans une sorte de clair obscur. Se glissant sans bruit près du lit, l’humoriste observa son partenaire de scène quelques instants. Les traits détendus, il ressemblait à un enfant, comme transformé soudain en petit être fragile à protéger. Cette dernière pensée le fit sourire, Jérémy était ceinture noire de judo, et il aurait pu l’étaler en moins de temps qu’il n’en fallait pour y penser.
Sans vraiment y penser, dans un élan de tendresse, il frôla sa tempe du bout des doigts, ramenant dans ce geste une mèche de cheveux derrière son oreille. L’ardennais remua un peu, et l’ainé suspendit son geste lorsqu’il entendit distinctement son ami murmurer :
Avait-il sentit sa présence ou rêvait-il de lui ? Sans en avoir conscience, il retenait maintenant sa respiration, comme si cela pouvait le faire disparaitre de la pièce. Mais le jeune homme ne dit rien de plus, dormant toujours profondément. Soulagé d’échapper à la discussion qu’ils devaient avoir pendant encore une heure ou deux, l’ainé le couva du regard une dernière fois, avant de quitter la pièce.
**********
Vers midi, l’ardennais se réveilla doucement, sans trop savoir où il était, mais avec la certitude qu’il était « bien ». S’étirant comme un chat, il bailla, puis regarda autour de lui, essayant de comprendre où il était, quand il se souvint de tout. La Belgique, Twitter, le train, Arnaud, la conversation qu’ils avaient eu, ses larmes, et les bras d’Arnaud qui le berçaient. Avalant sa salive avec difficultés, il prit une profonde inspiration. Pas plus tard que ce matin, il avait quasiment avoué à son meilleur ami qu’il l’aimait, et pire, il avait cru comprendre que c’était réciproque. Qu’est ce qu’il allait se passer maintenant ? Déjà, avait-il bien interprété tout ce qu’Arnaud lui avait dit, ou son imagination lui jouait-elle des tours ? Se passant les mains sur le visage, il bougonna pour lui-même :
- Dans quel merdier je suis encore allé me foutre moi, putain…
Que pouvait-il bien faire maintenant ? Sa première idée fut de se barricader dans la chambre, en se disant que le propriétaire des lieux finirait peut être par l’oublier… avant de se dire que ça ressemblait beaucoup plus à Arnaud qu’à lui-même, ce genre d’idées débiles. Malgré la situation, il sourit à cette pensée.
- Y’a pas cinquante options non plus, hein… Et en plus je parle tout seul, ce type va finir par me rendre cinglé…
Réalisant que la situation ne pouvait qu’être affrontée, le jeune homme se leva d’un bon, se passa les mains dans les cheveux pour se donner du courage, et sorti de la pièce rapidement, comme s’il avait eu peur de changer à nouveau d’avis. Arrivé bout du couloir, à l’entrée du salon, il aperçu son ami près de la fenêtre ouverte, assis devant son MacBook, entrain de relire un texte, une clope à la main. L’ardennais se cala sur le chambranle de la porte, et l’observa quelques instants.
L’ainé prit une bouffée de fumée, puis posa sa cigarette dans le cendrier à coté de lui, et tapa quelques mots sur le clavier. Son visage était fermé et il secouait la tête de temps à autre, il n’était pas satisfait de son texte, et n’arrivait pas à se concentrer suffisamment pour être efficace. Se sentant observé, il leva la tête et croisa le regard de son petit diable qui le fixait. Sourire aux lèvres, mais sentant son cœur louper un battement, il lui lança :
- V’la la marmotte ! Bien dormi ?
- Ca peut aller… Tu bosses sur quoi ?
- Une idée de sketch pour le festival d’Avignon, mais j’arrive pas en faire sortir un truc... T’as faim ?
- Là j’ai surtout envie d’une clope, mais tu proposes quoi ?
- Pizza ?
- Ok, ce me va… En parlant de sketch, j’ai promis d’en écrire un pour Constance… Elle a un thème sorti tout droit de l’espace, à croire que c’est Barma qu’il l’a trouvé…
- Tu veux un coup de main ?
- Si t’as rien d’autre à foutre, ouais, au moins pour l’amorce, parce que ça m’inspire vraiment pas… Je trouve pas l’angle d’attaque qui va bien…
Tout en parlant, le jeune homme s’était rapproché de son ami. Il se sentait toujours aussi stressé, mais les quelques mots prononcés l’avait rassuré : ils se parlaient comme avant, aucune distance ne s’était installée entre eux, comme si tout ce qui s’était passé le matin n’avait pas existé. Fallait-il pour autant ignorer ce moment de leur vie ?
Maintenant debout derrière le bordelais, il récupéra la cigarette qui fumait dans le cendrier, et aspira une bouffée de fumée, et la reposa là où i l’avait prise.
- Ferrari, t’es censé avoir arrêté de fumer j’te rappelle !
- Je sais… j’aime pas être dépendant de cette merde.
- Du coup t’es dépendant de mes clopes ?
- … Ou peut être juste de toi.
Surpris par cette déclaration, l’ainé se retourna et fixa son ami dans les yeux, alors que ce dernier ne bougeait plus, comme tétanisé par ses propres mots. Il n’avait pas pu les retenir, il n’avait même pas essayé, et pourtant à cet instant précis, il aurait bien aimé disparaitre. Il vit celui qui n’était jusque là que son partenaire de scène se lever et se rapprocher, doucement, presque jusqu’à le toucher, alors qu’une main frôlait sa joue, si légèrement qu’il se demanda un instant s’il ne l’avait pas simplement imaginée.
Le bordelais hésita une seconde, le temps qu’il lui fallut pour décider s’il devait laisser passer ce moment magique ou s’il voulait aller jusqu’au bout, au risque de perdre définitivement son ami. L’envie fut la plus forte, et se laissant enfin guider par son instinct, il ferma les yeux et posa ses lèvres sur celles de l’ardennais, les touchant à peine, puis se recula un peu, attendant ainsi la réaction de son ami, qui ne vint pas. Puisque Jérémy ne l’avait pas étalé par terre avec une prise de judo, l’ainé s’enhardit et recommença, soudain envahi par une vague de bonheur lorsqu’il sentit que le jeune homme répondait à son baiser.
Timidement, leurs langues s’apprivoisèrent, alors que leurs corps se rapprochaient sensiblement, jusqu’à être collés l’un à l’autre. Tandis que le baiser devenait plus passionné, sans vraiment réfléchir à ce qu’il faisait, le plus vieux glissa une main sous le tee-shirt de son amoureux. Instantanément le jeune homme se figea, prenant soudain pleinement conscience de la situation et le bordelais, comprenant le malaise de son compagnon, stoppa son geste et libéra ses lèvres.
- Désolé… je voulais pas t’effrayer, je suis qu’un pauv’type…
Contre toute attente, l’ardennais secoua doucement la tête en signe de négation, prit le visage de son ami dans ses mains, et l’embrassa à nouveau. La passion avait momentanément disparue, laissant place à la tendresse et à la douceur, chacun essayant de rassurer l’autre sur ses intentions : non, Jérémy ne fuirait pas devant la nouvelle vie qui s’offrait à lui, et oui, Arnaud saurait être patient, et laisser à son homme tout le temps qu’il lui faudrait pour franchir chaque étape de leur relation. Lorsque le baiser prit fin, Tsamère regarda son petit diable, à la recherche du moindre signe qui pourrait exprimer un regret ou un dégout, mais ce qu’il vit le rassura. Le jeune homme arborait ce petit sourire en coin dont il avait le secret et qui faisait fondre toutes les filles, sauf que là, c’était bien lui à qui il était adressé. Soulagé, il lui rendit son sourire, tandis que son futur amant lui disait :
- A défaut de t’offrir un tas de légumes, je paye les pizzas ?
- Tu peux même les commander si tu veux ! Moi je vais retrouver le tweet de la fille qui a posté cette fiction avec Cyril…
- Pourquoi ? Je croyais que tu t’en foutais ?
- Du texte oui… mais j’aimerais lui dire merci, sans le savoir, elle a fait mon bonheur en te rendant … jaloux.
- Quoi ? Moi jaloux de Garnier ? Tu déconnes ou quoi ? Avec moi tu vas prendre ton pied comme jamais avec lui !
Le bordelais fit appel à tout son self control, mais ne parvint pas à retenir son rire. Son homme était bel est bien jaloux pour une histoire imaginaire.
- T’es conscient que là on parle du pied que j’ai pris dans un texte que j’ai même pas lu ? lui répondit-il, les yeux remplis de malice.
- Tsamère tu me gaves !
Sur ces mots, le jeune humoriste fut emporté par le fou rire contagieux de son ami. Il venait de réaliser que malgré lui, cette histoire d’amour, qui n’existait que dans l’esprit d’une jeune fille un peu rêveuse, l’avait réellement touché, et venait de changer sa vie.