Étendu dans son lit, Jérémy Ferrari gardait désespérément les yeux ouverts. Pas moyen de fermer l’œil. Comme souvent après un spectacle, il avait du mal à faire redescendre l’adrénaline, et même à 3h du matin alors que la semaine avait été éprouvante, le sommeil le fuyait. Arnaud, lui, semblait s’être endormi, sa respiration était calme et régulière. Quelque part, il était content que la production se soit plantée dans les dates de réservation des hôtels, ainsi ils avaient été obligés de partager une chambre à trois, avec Arnaud et Baptiste, cela lui permettait de ne pas être seul. Rien n’était pire pour lui que la solitude lorsqu’il avait des insomnies. Baptiste était parti avec une charmante jeune femme, rencontrée à l’improviste à la sortie du théâtre pendant la séance de dédicaces, et il ne le reverrait probablement pas avant demain matin, mais Arnaud était là avec lui, dans le lit jumeau à coté du sien.
Il se repositionna à nouveau sur le dos, et soupira. Les minutes s’écoulaient, et il ne dormait toujours pas. Les pensées négatives se bousculaient dans son esprit, et il avait beaucoup de mal à se concentrer sur quelque chose de positif. Il tourna légèrement la tête et regarda son acolyte, ou plutôt la forme sombre qui se découpait dans l’obscurité et qu’il savait être Arnaud. Doucement, il murmura :
- Arnaud ? Tu dors ?- …- Hey, tu dors ?- … Non je chasse le rhinocéros.
Le bordelais pouvait se montrer très bougon quand il manquait de sommeil, et le ton qu’il avait employé n’offusqua pas le jeune homme qui continua sur sa lancée :
- J’arrive pas à fermer l’œil non plus…- C’est plus facile quand on se tait, tu devrais essayer.- Dis… ça t’arrive de penser à ce qui se passera après ?- Après quoi ? Après t’avoir assommé ?- Après, quand tout s’arrêtera.- Jérémy, profite de l’instant présent, et dors.- Moi je flippe. Je flippe même grave.- Tu tiens vraiment à parler de ça à 3h du mat’ ?- Ouais, t’as raison, oublie. Bonne nuit.- Bonne nuit.
Et il se retourna à nouveau, en repositionnant son oreiller, comme si cela pouvait l’aider.
Quelques minutes s’écoulèrent, dans un silence religieux. Le plus vieux, conscient des inquiétudes de son ami, mais trop fatigué pour commencer un débat philosophique, cherchait une solution. Il repensa à quelque chose qui s’était passé quelques temps auparavant, lorsque Jérémy s’était fait sermonné par leur chère Catherine, et que rien ne pouvait lui remonter le moral. Sur une impulsion, il l’avait pris dans ses bras, et l’italien s’était calmé à son contact. Arnaud savait qu’il se mettait lui-même en danger en faisant cela, parce qu’il se savait secrètement attiré par son ami, et que cela ne faisait qu’attiser son envie de lui, mais il ne supportait pas de savoir que son partenaire de scène broyait du noir.
L’ardennais venait de se retourner une nouvelle fois, quand le bordelais pris la parole :
- Et avec un câlin, ça irait mieux ?- … Je… Oui, je crois.
Tandis que son ami se décalait pour lui laisser une place, Arnaud se leva et vint se glisser entre les draps du lit jumeau. Il s’allongea sur le dos, et le bel italien se lova contre lui, sans gène, comme si tout était naturel. Le plus vieux hésita sur l’attitude à prendre, et finalement passa son bras dans le dos de son ami.
- Si tout s’arrête eh bien… tu donneras des cours de judo, et moi je vendrai des patates sur les marchés. Je suis sûr d’avoir beaucoup de succès ! Et grâce à toi, la France aura toute une génération de championnes olympiques de judo, car c’est connu, on se donne toujours à fond pour un beau professeur !
L’italien esquissa un sourire. Arnaud trouvait toujours les mots qui désamorçaient une situation, quelle qu’elle soit. Pourtant, ce n’était pas vraiment cette question qui le torturait.
- Et … nous ? Je veux dire, si je ne fais plus de scène, je trouverai bien comment gagner ma vie, mais … on ne se verra plus ?- Pourquoi ? Tu ne veux pas fréquenter un honnête vendeur de patates ? C’est pas assez classe pour toi ?- T’es con… Non c’est pas ça, mais…- Mais ?, insista le plus vieux.- Mais… on aura plus la nécessité de se voir. On ne partagera plus une chambre d’hôtel, on n’écrira plus de sketchs ensembles.
Le bordelais hésita. Comment lui dire qu’il ne pourrait jamais plus se passer de sa présence dans sa vie, qu’il lui était devenu indispensable ? Sans s’apercevoir du trouble de son ami, le plus jeune continua :
- Et puis, je suis sûr que toi la célébrité ne te quittera pas… Pourquoi est ce que tu t’encombrerais d’un looser ?- Hey ! Déjà tu n’as rien d’un looser, tu es le mec le plus talentueux que je connaisse ! Ensuite…- Ensuite ?- Quoi qu’il advienne de nos carrières respectives… Jamais je ne pourrai me passer de toi Jérémy.- C’est sympa d’essayer de me rassurer, mais ça reste des mots…- Jérémy… Je t’assure que…- Prouve-le !
L’ardennais s’était relevé sur un coude et avait haussé la voix. Les deux derniers mots prononcés résonnaient autant comme un appel à l’aide que comme un défi lancé au plus vieux. D’un geste rapide, il alluma la lampe de chevet afin de pouvoir regarder son ami dans les yeux.
Désemparé, ce dernier tenta de le raisonner :
- Enfin Jérem’, comment veux tu que je…- Tu vois, tout ça c’est que des mots ! Des putains de mots en l’air !, cria presque le jeune homme, sentant les larmes lui monter aux yeux.- Jérémy…
Ne sachant plus quoi dire, le cœur déchiré par la détresse de son ami, le bordelais suivit une impulsion soudaine, et attrapa le visage tant aimé. De son pouce, il sécha l’unique larme qui était parvenue à s’échapper de ses yeux, et rassemblant le peu de courage qui lui restait, posa ses lèvres sur les siennes. Le contact ne dura que quelques secondes, mais il avait le sentiment qu’il se souviendrait toute sa vie de la douceur de ses lèvres. Posant son front sur le sien, il reprit la parole, d’une voix basse :
- Je ne pourrai jamais me passer de toi, parce que ça…- Arnaud…- Ne dit rien je t’en prie… Je suis désolé, je n’aurais pas dû, excuse moi… Promets-moi d’oublier…, supplia-t-il, en s’éloignant un peu, comme si cela pouvait tout effacer.- J’ai pas l’intention d’oublier… Jamais, lui répondit-il, la voix assurée, mais sans aucune trace d’agressivité.
Alors que le plus vieux allait répondre, l’ardennais passa sa main sur la nuque de son ami pour l’attirer à lui, et l’embrassa à son tour. Cette fois le baiser se fit plus appuyé, et lorsque leur langue se rencontrèrent pour la première fois, le bordelais crut que son cœur allait s’arrêter, juste avant qu’il ne s’emballe définitivement.
Quand l’échange prit fin, ils restèrent silencieux quelques minutes, savourant la tendresse de l’instant. Une fois l’émotion passée, parvenant enfin à retrouver quelques pensées cohérentes, le plus vieux murmura :
- Rien ne t’oblige tu sais… Je…
Posant son index sur sa bouche pour le faire taire, l’ardennais lui répondit :
- Je sais… j’en avais envie.
Profitant encore un peu de leur complicité, le bordelais finit par dire, à regret :
- Je vais devoir retourner dans mon lit maintenant… - Non.
Le ton du plus jeune était décidé, ne laissant aucun choix possible à son ami. Le plus vieux tenta une autre approche :
- A moins qu’il ne soit tombé sur la femme de sa vie, Baptiste risque de rentrer tu sais… - Rien à foutre. Et puis il comprendra.- …- Sauf si… ça t’emmerde ?
L’inquiétude était palpable dans la voix de l’italien, Arnaud avait-il déjà honte de leur nouvelle relation ?
Un sourire éclatant se dessina sur le visage de l’ainé. Non seulement son ami ne l’avait pas rejeté lorsqu’il l’avait embrassé, mais il était également prêt à l’assumer totalement. Remettant doucement une mèche rebelle de l’ardennais en place, il lui répondit simplement :
- Non… Je suis juste heureux.
S’écartant un instant pour éteindre la lumière, Jérémy se recala ensuite contre cet homme qui était tout pour lui, et toutes ses peurs envolées, s’endormit rapidement. Encore sous le charme de ces moments, Arnaud eu plus de mal à retrouver le sommeil, mais finit par sombrer également.
Au petit matin, ayant délaissé sa compagne d’une nuit, Baptiste entra dans la chambre, éclairée par les premières lueurs du jour qui filtraient au dessous des rideaux. Lorsqu’il vit les deux corps enlacés, dormant paisiblement, il sourit et murmura :
Ne voulant pas les déranger ou les gêner, il ressortit, se disant que le bonheur de ses amis méritait bien le sacrifice de quelques heures de sommeil.