Petite songfic écrite pour l'anniversaire de Jo. L'histoire se situe après la dernière saison.
Préambule : Les personnages de la série ne m’appartiennent pas. Ils sont la propriété exclusive de : Stéphane Giusti, Alain Robillard & Alain Tasma. Je ne tire aucun bénéfice de leur mise en situation dans cette fiction.
Lettre à Yann
Lorsqu’il vit l’écriture sur l’enveloppe, Yann sentit son cœur s’accélérer. Il y avait si longtemps qu’il espérait ce signe, cette preuve de vie… Et là, il avait entre ses doigts tremblants la preuve que son mari était vivant, quelque part, loin de lui.
Il monta rapidement à l’appartement, s’effondra dans le canapé, tournant et retournant le morceau de papier entre ses mains : le cachet de la poste indiquait la Floride. Ainsi c’était là-bas que s’était réfugié son amour après qu’il l’ait irrémédiablement trahi en refusant d’écouter ce qu’il avait à dire ?
Et pourtant il avait raison. Du moment où il avait réalisé que Kevin était parti, Yann s’était lancé sur les traces de Recht, unique fautif, avec lui-même, de la fuite de l’homme qu’il aimait plus que tout au monde. Et le ripou dormait désormais en prison, là où était sa place. Mais pour autant, lui, Yann Berthier, ne se sentait pas mieux en pensant à son ange perdu, parti peut-être avec Tiago, envolé loin de lui et de son stupide aveuglement !
Dix mois…
Dix mois à vivre sans se sentir vivant, à se nourrir, à respirer, à parler, à entendre, à voir mais sans se régaler, sans sentir, sans communiquer, sans écouter, sans regarder…
Dix mois où il avait frôlé la mort dix fois et où à chaque fois elle s’était détournée de lui, comme si elle ne voulait pas d’un traître parmi les siens.
Dix mois de vaines recherches : il avait relancé tous les amis de Kevin, sa famille, tous ceux qu’il pouvait soupçonner de savoir quelque chose. Mais personne ne savait rien, pas même Brigitte qui se désespérait doucement, pensant que son enfant n’était plus de ce monde.
Dix mois d’incertitude qui prenaient fin à cet instant précis, par cette enveloppe qu’il n’osait pas ouvrir, par peur de ce qu’il allait découvrir à l’intérieur. Et si Kevin lui annonçait qu’il avait trouvé le bonheur là-bas, si loin de lui ? S’il lui demandait de le libérer, de ne plus être son époux ? Si ce bout de papier signifiait la fin de leur histoire, saccageait le peu d’espoir qu’il entretenait encore, jour après jour, de plus en plus difficilement ?
Ne valait-il pas mieux ne pas l’ouvrir, ignorer à jamais ce qui était écrit afin de pouvoir continuer de penser que peut-être… ?
« Espèce de lâche ! gronda une voix furieuse dans sa tête. Tu as déjà reculé, il y a dix mois, quand Kevin avait tant besoin de toi, de ton soutien, de ta compréhension, de ton amour… Et là, tu vas de nouveau lui faire faux bond, pour garder tes illusions ? Ne vaut-il pas mieux savoir, même si ce n’est pas ce que tu aurais voulu savoir ? »
Il secoua la tête, comme pour faire taire l’agaçant sermon qui tournait en boucle. Puis il inspira longuement et se décida à décacheter l’enveloppe et à déplier la simple feuille quadrillée qui était à l’intérieur.
Durant quelques minutes, ses yeux brouillés par les larmes furent incapables de déchiffrer les mots, reconnaissant simplement l’écriture tant aimée tandis que ses narines frémissaient comme si elles percevaient les effluves familiers malgré les milliers de kilomètres parcourus entre l’envoi et la réception. Puis, petit à petit ses yeux s’accoutumèrent et il se mit à lire.
Yann,
J’aurais voulu écrire : Yann, mon amour. Mais je ne sais pas si j’ai encore le droit de le faire. Je ne sais pas si, depuis tout ce temps tu penses encore à moi. Je ne sais pas si tu te souviens…
Il était une fois toi et moi
N'oublie jamais ça, toi et moi
Je ne suis même pas sûr que tu vas lire cette lettre. Tu dois être furieux et avec raison. Je suis parti sans un mot, sans explication, juste comme ça, parti devant moi sans penser à toi. Tu es sans doute furieux après moi, et je le comprendrais. Peut-être que tu ne veux plus entendre parler de moi et sans doute, si les rôles étaient inversés, je réagirais ainsi aussi.
Dix mois… Dix mois sans te dire si j’allais bien, où j’étais, ce que je faisais… Tu as dû imaginer tout et n’importe quoi et surtout que j’étais parti rejoindre Tiago.
Pendant un moment j’y ai pensé, très fort, je te l’avoue. Mais entre nous il n’y avait rien de plus que beaucoup de tendresse et, en ce qui me concerne, l’envie de me réchauffer dans des bras quand les tiens me semblaient trop souvent fermés. Attention, je ne te reproche rien, je ne suis surtout pas en train de te dire que tu es responsable. Simplement Tiago est arrivé à un moment où je doutais et il m’a fait croire, il m’a fait rêver à nouveau.
Mais je ne suis pas parti avec lui. Je suis juste allé à l’aéroport et j’ai pris le premier vol qui avait une place disponible : direction New York et ses lumières. Tu te souviens ? On avait toujours rêvé d’y aller tous les deux. Je crois que c’est ce qui a motivé mon choix.
Parce que depuis dix mois, tu es chaque jour à mes côtés.
Depuis que je suis loin de toi
Je suis comme loin de moi
Et je pense à toi tout bas
Tu es à huit heures de moi
Je suis à des années de toi
C'est ça être là-bas
J’ai eu l’impression que tu étais là, que ce que je découvrais nous le découvrions ensemble. Je ne suis pas allé à Broadway, parce que je ne pouvais pas imaginer découvrir cet endroit sans toi. Et finalement je n’ai pas vu grand-chose de New-York parce que ton souvenir me hantait à cause de ces projets que nous avions faits.
Alors j’ai opté pour la côte ouest, la Californie, Los Angeles, la ville où sans voiture tu es perdu. Mais là encore, où que j’aille, je te retrouvais.
Tu vas peut-être rire, mais à chaque nouvelle découverte, à chaque pas, à chaque souffle, je te sentais à mes côtés, j’avais l’impression que tu étais là et que tu tenais ma main. Parfois, il m’est même arrivé de te parler, oubliant que tu étais si loin et que tu ne répondrais pas.
Parfois j’aurais pu être heureux, mais il y avait toujours ce vide.
La différence, c'est ce silence
Parfois, au fond de moi
J’ai repris la musique : je me suis présenté à l’audition d’un groupe qui cherchait un guitariste et ils m’ont pris ! Le crois-tu ? Depuis le temps que je n’avais pas joué, ils ont aimé ce que j’ai fait.
Peut-être parce que tandis que mes doigts couraient sur l’instrument, je m’imaginais qu’ils couraient sur ta peau, j’entendais tes gémissements, je voyais tes yeux emplis d’amour. Peut-être parce que ton âme était là pour me souffler les notes…
On a joué dans des cabarets, des petites salles plutôt miteuses : je ne serai pas le prochain Mick Jaegger… Mais chaque fois que je joue, je te sens près de moi. Et puis ça me permet de vivre : assez d’argent pour me nourrir et me loger, c’est tout ce que je demande.
J’ai vu qu’il était possible de m’abonner au quotidien que nous recevions chaque jour. Bien sûr je reçois les nouvelles avec au moins cinq jours de décalage, mais je les reçois. Dans l’un des numéros il y avait une vue de notre immeuble et du canal, dans deux ou trois autres, on relatait les exploits de la bac, tes exploits… Une fois il y avait même un cliché et je crois que j’ai pleuré en te voyant…
Tu vis toujours au bord de l'eau
Quelquefois dans les journaux
Je te vois sur des photos
Et moi, loin de toi,
Je vis dans une boîte à musique
Electrique et fantastique
Je vis en chimérique
Finalement je ne suis pas resté à Los Angeles. Je suis parti m’installer en Floride : là-bas je fais du surf et je suis devenu gardien dans la propriété d’un couple de retraités. C’est fou ce qu’il y en a.
Je crois que tu aimerais la Floride : il fait beau, même si, à la saison des cyclones, ce n’est pas de tout repos. Mais j’ai bien l’impression que tu aimerais aussi les cyclones : tu aurais cette montée d’adrénaline devant le danger et tu serais bien capable d’aller défier les éléments.
Je ne suis pas malheureux, mais je ne suis pas heureux. Nos étreintes me manquent, nos discussions me manquent et même nos querelles me manquent.
Tu me manques…
La différence, c'est ce silence
Parfois au fond de moi
Ici ma vie est simple : je m’occupe du jardin de mes patrons, je les accompagne dans leurs déplacements, je suis chauffeur, garde-du-corps, jardinier, homme de ménage, confident parfois.
Ils sont très gentils, surtout elle : Amanda… Elle a plus de soixante-dix ans et des yeux d’enfant. Tu l’aimerais je crois. Elle fait partie de ces êtres qui voient toujours le meilleur chez les autres. C’est elle qui m’a donné ma chance : je crois qu’elle voit un peu en moi l’enfant qu’elle n’a pas eu. Elle me refile des sucreries en cachette, comme si j’avais encore cinq ans ! Je suis bien ici, mais je suis vide.
L’autre jour elle m’a pris à part et elle m’a fait parler. C’est drôle, tout ce que je n’avais jamais dit à personne je le lui ai dit : désormais elle sait tout de toi, de nous… C’est elle qui m’a encouragé à écrire cette lettre me disant que de toute façon je n’avais rien à perdre : au pire tu ne la lirais pas, au mieux….
Je n’ose pas espérer ce mieux… Ai-je encore le droit à ton amour ? Ai-je encore le droit de dire nous ?
Tu es en moi qui étincelle
Et je te reste fidèle (1)
Mais, qui peut dire l'avenir
De nos souvenirs ?
Oui, j'ai le mal de toi parfois
Même si je ne le dis pas
L'amour, c'est fait de ça
Je sais ce que tu dois te demander, même si tu n’oses pas alors je vais te rassurer : il n’y a personne à mes côtés et il n’y a eu personne durant ces dix mois.
Je n’ai pas rejeté Tiago pour aller me vautrer dans d’autres bras. Les seuls bras dont je rêve ce sont les tiens, et personne n’a jamais pu me faire oublier la tendresse de nos étreintes, la douceur de tes lèvres sur moi. Personne ne pourra jamais t’effacer de ma mémoire et mon corps conserve ton empreinte.
La nuit parfois tu me rejoins et au matin c’est toujours le même déchirement à me retrouver seul entre les draps qui portent la marque de mon amour pour toi.
Il était une fois toi et moi
N'oublie jamais ça, toi et moi
Voilà… Tu sais tout… Ou presque tout…
Je pourrai rester ici : il fait beau, je vis de peu de choses, j’ai trouvé un couple aimant qui me considère plus comme un fils que comme un employé, j’ai quelques amis… des filles, je te rassure !
Mais jour après jour il me semble que le soleil brille moins fort, que l’eau est moins belle, que le vent est moins agréable, que les couleurs se fanent.
Et je sais que c’est juste ton absence qui me pèse sur le cœur… Je voudrais me réveiller dans tes bras, sentir ta peau contre ma peau, tes mains sur mon corps…
Je voudrais pouvoir me réveiller simplement pour me dire que tout ceci n’était qu’un horrible cauchemar, que tu es là à mes côtés : tu me rassurerais en me traitant d’idiot puis tu me ferais l’amour comme tu sais si bien le faire.
Je pourrai être heureux mais je ne le suis pas.
Depuis que je suis loin de toi,
Je suis comme loin de moi
Et je pense à toi là-bas
Oui, j'ai le mal de toi parfois
Même si je ne le dis pas
Je pense à toi tout bas …
Mon corps, mon cœur, mon esprit, mon âme…. tout mon être a mal de toi. J’ai besoin de toi.
Je t’aime.
Kevin
Yann replia la lettre : les larmes roulaient sur ses joues et il resta de longues minutes à regarder la feuille qu’il froissait dans ses doigts fébriles. Puis il se releva, entassa à la va-vite quelques vêtements et affaires de toilette dans un sac et sortit précipitamment.
Sur le seuil il croisa Laura qui venait lui rendre visite comme elle le faisait souvent depuis dix mois, ainsi que tous les coéquipiers de Kevin qui, loin de le haïr comme ils auraient été en droit de le faire, semblaient s’être donné le mot pour l’empêcher de sombrer, le forcer à rester en vie pour le jour où, enfin, Kevin réapparaîtrait. Et ce jour était arrivé.
- Yann ? Où vas-tu ? s’étonna Laura en le voyant prêt à partir.
- Je pars pour Saint- Petersburg…
- Quoi ? Mais qu’est-ce que tu vas foutre en Russie ? Ca a un rapport avec l’enquête sur les prostituées de la porte Dauphine ?
- Non ! pas Saint Petersbourg, en Russie, Saint Petersburg, en Floride !
- Mais… Tu pars comme ça ?
- Oui… Comme ça…
Puis il se retourna vers elle et elle reçut comme un choc le sourire éblouissant qui éclairait son visage, ce sourire qu’elle n’avait plus revu depuis trop longtemps et, avant même qu’il prononce les mots elle sut :
- Je vais rejoindre Kevin !
Elle cessa alors de poser des questions, sachant qu’elle aurait bientôt des réponses et elle le regarda disparaître, sachant qu’à cet instant précis, le capitaine Yann Berthier était l’un des hommes les plus heureux du monde.
FIN
(1) Paroles originales :
Tu n'es pas toujours la plus belle
Et je te reste infidèle
Lettre à France, de Michel Polnareff