Un petit texte écrit pour l'anniversaire de Cali l'an dernier...
Petite sœur
Sarina, ma sœur, mon alter-ego, ma confidente.
Aujourd’hui je veux lever ce voile qui s’est abattu sur nous depuis trop longtemps. Je veux pouvoir te parler, comme nous l’avons toujours fait, du plus loin que je me souvienne.
Quel âge avions nous ce premier jour ? Tu portais des rubans bleus dans tes cheveux blonds et j’en avais des rouges dans mes boucles brunes. Les mêmes couettes et le même sourire : le soir même, chacune de nous arborait un ruban bleu à la couette droite, un ruban rouge à la couette gauche et nous savions, de tous nos cœurs d’enfant, que nous venions de rencontrer celle qui nous accompagnerait longtemps.
On se quitte plus depuis longtemps
Depuis nos premiers rubans
D'écolières
J'imagine moins la vie sans toi
Que le ciel de Yasmina
Sans lumière
Tu te souviens de nos bêtises ? De nos mères qui criaient lorsque nous rentrions les chaussures crottées d’être allées traîner dans les flaques du parc ? De nos frères qui tempêtaient lorsque nous nous cachions pour les épier quand ils voyaient leurs petites amies ? Tu te souviens de nos colères, de nos fous-rires, de nos chagrins ?
Du plus loin que je puisse remonter, tu as toujours été là : lorsque j’avais besoin d’une oreille, je savais que je pouvais tout te dire, lorsque j’avais besoin d’une main, je savais que je n’avais qu’à tendre les bras et que je trouverais tes doigts.
Les « siamoises »… Tu te souviens Sarina ? Tu te souviens ?
Et moi, je t'aime, petite sœur
Je t'aime avec tout mon cœur
Mais sans mon corps
C'est vrai, je t'aime, petite sœur
Aimerais-je un homme aussi fort ?
Quel âge avions-nous lorsque nous avons entrepris cette croisade contre les petits tyrans du bac à sable, ceux qui croyaient pouvoir dicter leur loi ? Quel âge lorsque nous avons décidé de repeindre ta chambre en violet, ta couleur favorite à l’époque : tu te rappelles la tête de tes parents ? Je crois que c’est à cette occasion qu’ils ont essayé de nous empêcher de nous voir durant deux jours… Ils ont dû tenir deux heures tant nos larmes et nos cris les ont chavirés.
Ensemble tout nous était possible : nous nous sentions de force à déplacer des montages, à abattre les murs les plus épais. Là où on voyait l’une on savait que l’autre n’était jamais loin.
Combien de nuits avons-nous passées l’une contre l’autre, combien de vacances où nos parents nous manquaient moins que nous ne nous serions manquées et qui voyaient alternativement l’une ou l’autre famille s’agrandir d’un membre pour quelques jours.
J’ai visité l’Ukraine de tes grands-parents, tu as découvert l’Irlande de mes aïeux… J’ai appris l’histoire de tes ancêtres et tu savais mieux que moi les origines des miens.
Notre état civil est différent
On n'a pas le même sang
Dans les veines
Mais la vraie famille est celle de l'âme
Pas celle qui verse des larmes
Au baptême
« Tu seras la marraine de ma fille, je serai la marraine de la tienne. »
Tu te souviens de notre pacte Sarina ? Quel âge avions-nous alors ? Huit, neuf ans ?
C’est pour cela que tu as choisi Alexia, la sœur d’Hugo, pour marraine de Théo, et Céline, ta cousine, pour être celle de Gaëtan.
Pourtant c’est moi qu’ils connaissent le mieux tant j’ai passé chez vous de temps. A chaque anniversaire j’étais là : tatie Morgane… Pour eux je suis de leur famille plus que ton frère ou Alexia. Tu te souviens : c’est moi que Théo a appelée lorsqu’il t’a trouvée en larmes après une dispute violente avec Hugo ; c’est chez moi que Gaëtan s’est réfugié lors de sa « fugue ». Tu me l’as laissé deux jours, le temps qu’il comprenne et qu’il revienne vers vous de son plein gré.
Il suffisait que je t’appelle pour que tu accoures, tu avais toujours un mouchoir pour sécher mes larmes, une plaisanterie pour ramener un sourire sur mes lèvres et j’en avais autant à ton service.
Et moi, je t'aime, petite sœur
Je t'aime avec tout mon cœur
Mais sans mon corps
C'est vrai, je t'aime, petite sœur
Aimerais-je un homme aussi fort ?
Ce jour-là, dans cette école maternelle, nous nous sommes choisies et rien ni personne n’aurait pu empêcher que nous nous reconnaissions. Rien ni personne depuis n’a jamais pu nous séparer, ni nos petits amis, ni ton mari. Tes enfants sont ceux que la vie ne m’avait pas accordés jusqu’alors.
Grâce à toi je sais que ma vie n’aura pas été vaine, elle ne l’aura pas été parce que ce sentiment que nous avons partagé et qui nous a portées est de ceux qui embellissent le monde, en tout cas notre monde.
On a tout partagé : les joies et les peines, les colères et les émerveillements, les déceptions et l’enthousiasme, les réussites et les échecs, nos premiers émois d’adolescentes, nos premiers flirts, nos premiers baisers…
Tu me dis ton mari, tes amants
Ton ennui, ce monument
Si solide
Mais je t'entends mieux quand tu te tais
Je sais le moindre secret
De tes rides
On a tout partagé…
Jusqu’à lui…
Lui que tu rencontré à ce moment de ta vie où tu voulais tout recommencer et que tu m’as présenté. Lui qui m’a aimée dès ce premier coup d’œil et pour lequel j’ai craqué. Lui avec lequel je suis partie, en te laissant derrière moi après cette scène qui repasse en boucle dans ma mémoire.
Tous ces mots que je t’ai dits ce jour-là, je ne les pensais pas. Et je sais que ceux que tu m’as jetés tu ne les pensais pas non plus.
Je l’aime et j’attends un enfant de lui, une petite fille. Tu te souviens Sarina ? Nous avions décidé que nous aurions chacune une fille et qu’elles seraient les meilleures amies du monde, tout comme nous, que chacune de nous serait la marraine de la fille de l’autre. Et aujourd’hui j’ai besoin de toi, besoin que tu reviennes. Je sais que je te demande beaucoup, que je te demande de voir cet homme pour lequel tu as éprouvé des sentiments et que je taie pris sans hésitation. Je sais que je n’ai pas le droit de te le demander et pourtant, pourtant je le fais. Je sais que cette colère, la première entre nous, a peut-être définitivement tout saccagé, mais je veux croire.
Il n’y a plus de colère en moi Sarina, juste une profonde tristesse et un désarroi sans bornes. Lui, c’est l’homme avec lequel je veux vivre, dont nous pourrons rire ensemble, dont je pourrais te parler, sans artifices, comme tu me parlais de ton mari, de tes doutes, de ta lassitude. Mais il ne pourra jamais combler ce vide que tu as laissé.
Reviens-moi Sarina…
Ton amie, ta sœur, ton alter-égo, Morgane.
Et moi, je t'aime, petite sœur
Je t'aime avec tout mon cœur
Mais sans mon corps
C'est vrai, je t'aime, petite sœur
Aimerais-je un homme aussi fort ?
Sarina replia la lettre : les larmes roulaient sur ses joues. Hugo, lorsqu’il avait vu l’adresse au dos de l’enveloppe la lui avait tendue sans un mot puis s’était éloigné : il savait qu’elle aurait besoin d’être seule, de réfléchir.
Elle avait découvert chez son mari une facette qu’elle n’imaginait pas : elle l’avait pensé dur, égoïste, indifférent et, lorsqu’elle était rentrée après la rupture avec Morgane, qu’elle avait voulu le punir, lui, de cet immense gâchis, elle avait retrouvé l’homme dont elle était tombé amoureuse : compréhensif, attentif, aimant. Ils s’étaient retrouvés et l’enfant qui allait naître au printemps était le symbole de ce renouveau, cette petite fille qu’elle avait attendue quinze longues années, dont Morgane aurait dû être la marraine selon leur pacte d’enfant.
Il n’y avait pas à réfléchir.
Sarina essuya ses larmes et appuya sur la touche 1 de son téléphone : depuis sept mois elle n’avait pas pu se résoudre à l’effacer de son répertoire, malgré les mots blessants et l’adieu jeté avec cette voix haineuse qu’elle n’avait jamais entendu auparavant.
« Morgane, c’est moi…
C'est vrai, je t'aime, petite sœur
Et l'amitié c'est l'amour du cœur
FIN
Chanson d’Alice Dona