Défi 1 mot : "pathétique"
A rude épreuve
Quand ils avaient pris la décision de prendre une colocation, ils étaient loin de penser que tout basculerait ainsi. Leur belle amitié mise à rude épreuve. De plus loin qu’elle se rappelait, ils avaient toujours tout partagé. Alors lorsqu’ils avaient eu leurs bacs et qu’ils avaient été reçus dans la même université, ils avaient laissé exploser leur joie. Ils n’allaient pas se quitter sur le pas de leur village breton. Ils avaient encore un bout de chemin à faire ensemble.
Ils, c’étaient elle, Marine, et lui, Loïc, son ami d’enfance, son ami de toujours. Son meilleur ami, son confident… Ils ne s’étaient pas rendu compte que la situation leur échappait. Marine était une jeune fille au physique banal certes, mais tellement pétillante, joyeuse et ouverte d’esprit qu’elle ne laissait personne indifférent.
Quant au jeune homme, il ne semblait avoir découvert son potentiel qu’une fois débarqué dans la capitale. Châtain clair et les yeux verts, Marine l’avait trainé chez un coiffeur branché qui lui avait donné un look à la mode, mais adapté, le rendant encore plus séduisant et mystérieux. Il avait également perdu petit à petit sa réserve et lors des soirées étudiantes faisait nombre de rencontres.
Et c’était bien là que résidait le problème. Si jusqu’alors ils avaient l’habitude de ne sortir qu’ensemble en tout bien tout honneur, ils s’étaient éloignés l’un de l’autre au gré de leurs conquêtes respectives et deux ans après le début de leur vie étudiante ils avaient l’impression de se perdre.
…
« Marine ! Tu as fait les courses ? »
« Quoi ? Pourquoi moi ? »
« C’est ton tour, ma chérie ! »
« Encore ! »
« Consulte le planning si tu ne me crois pas… »
Marine entra dans la cuisine en trainant des pieds. Elle était rentrée tard et avait assez peu dormi. Elle observa mollement le calendrier collé au frigo et soupira. Elle était effectivement de corvée.
« Salut Fred »
Le dit Frédéric lui répondit en lui tendant une tasse de café.
« J’en déduis que la salle de bain est libre ? »
« Mmouais »
« Tu n’oublieras pas de reprendre du lait, il n’y en a quasiment plus. »
« Elodie et Samia sont levées ? »
« Ça fait longtemps, ma belle. Elles avaient cours de bonne heure et elles ne sèchent pas, elles »
Son ami l’embrassa sur la joue et fila, la laissant seule, assise à la table. C’est ainsi que Loïc la trouva quelques minutes plus tard. Il ne semblait pas être en meilleure forme.
« Salut ! T’es rentrée tard ? Je ne t’ai pas entendue »
« Sûrement parce que je suis rentrée avant toi et que je dormais déjà »
« Sûrement »
« C’était qui cette fois ? Une nouvelle ou celle d’hier a eu droit à un peu de rab ? »
« Tu ne la connais pas » lui répondit le châtain avant d’avaler une gorgée de son cacao.
« Pourquoi cela ne m’étonne pas… »
« Elle s’appelait Joséphine. Un tempérament… bouillant »
Le silence s’installa après cette dernière réplique. Loïc se beurra une biscotte qu’il grignota en louchant sur sa voisine.
« Et toi ? C’était bien ? »
Dans un regain de fierté, la jeune femme redressa les épaules et lâcha :
« Un coup d’enfer ! On a fait des trucs que je n’avais encore jamais faits… Non vraiment, une bonne adresse. »
« Ah bon ? Y’a encore des trucs que tu ne connais pas ? Avec tous ceux qui… » persifla-t-il.
« Stop ! Si jamais tu finis ta phrase, je… je… »
Elle se leva brusquement, renversant sa chaise et sortit comme une furie. Deux secondes plus tard, il entendit la porte de sa chambre claquer.
Et voilà, comme à chaque fois, ils se querellaient et en venaient à se jeter des paroles odieuses à la figure. Il était fatigué de ce jeu où la surenchère n’était jamais assez. Où était passé leur complicité, leurs fous-rires ? Il s’étourdissait chaque soir et chaque nuit dans des bras différents, s’enfouissait dans des corps accueillants avant de déverser sa bile.
« Vous êtes
pathétiques… » Marmonna Fred, qui venait d’entrer dans la cuisine, en secouant la tête. Il entendit vaguement « ouvrir » et « yeux », sans trop comprendre. Son ami lui fit même les gros yeux avant de récupérer une pomme et de quitter définitivement les lieux, son sac en bandoulière.
…
Quinze jours plus tard, rien n’avait changé. Marine et Loïc sortaient toujours autant, découchaient régulièrement.
Quand ils avaient le malheur de se croiser au petit matin, c’était l’occasion pour Loïc de la jauger de bas en haut en ricanant méchamment, tandis que la jeune femme lui assenait des regards assassins ou dédaigneux selon son humeur du jour.
Mais le jeune homme n’entendait pas les sanglots qu’elle étouffait dans son oreiller une fois à l’abri de son regard. Il ne voulait pas non plus se rendre compte de la pâleur de son teint, de ses cernes sous ses yeux … de la maigreur de sa silhouette.
« Putain, Loïc... ça va durer encore longtemps vos conneries ? Regarde-là, dans quel état elle se met ! »
« Mais qu’est-ce que j’y peux, moi ! Marine est une grande fille, majeure et vaccinée. Qu’elle fasse ce qui lui chante. »
« T’es vraiment un connard quand tu t’y mets ! Tu ne vois pas que… oh et puis, tu sais quoi ? Laisse tomber ! »
« Ouais, c’est ça, Fred ! Casse-toi et fous moi la paix »
…
Marine ne savait plus à combien de verres elle en était. Une chose était sûre, elle commençait tout juste à se sentir mieux. Alors quand on lui mit un autre cocktail d’elle ne savait trop quoi entre les mains, elle ne fit pas la fine bouche et apprécia même. Le buvant un peu trop vite.
Elle se mit à rire, se leva et se trémoussa sur la musique. Quand celle-ci changea de rythme, elle remua plus langoureusement. Elle ne repoussa pas le corps athlétique qui se colla à elle. Ni celui du deuxième garçon qui la prit également dans ses bras. Ils formaient un trio plutôt aguicheur sur la piste.
La jeune femme offrit son cou aux lèvres inquisitrices et son ventre aux mains baladeuses. Elle avait de plus en plus chaud et si elle en croyait les mains moites de ses partenaires, il en était de même pour eux.
L’air frais qui les saisit en sortant de boîte ne les ramena pas à la raison. Ils prirent tout de même un taxi qui les déposa chez la jeune fille. Celle-ci mit un certain temps à retrouver les clés perdues dans son sac, un autre temps pour trouver le trou de la serrure, tout en ricanant lorsque des doigts se faufilaient sous sa jupe ou sur sa poitrine.
Ils n’étaient pas vraiment silencieux et discrets, malgré les injonctions un peu décousues de Marine pour qu’ils baissent d’un ton. Ils gagnèrent finalement sa chambre et les deux garçons entreprirent de la déshabiller à quatre mains, tout en l’embrassant. Pour l’heure, il n’y avait plus aucun gloussement. Seuls retentissaient les voix chargées de tension sexuelle, les soupirs.
C’est ainsi que les trouva Loïc, qui contrairement à ses habitudes était rentré tôt et seul. Leur dernière altercation résonnait encore à son esprit, ainsi que les paroles et les regards lourds de reproche que lui lançait Fred à longueur de temps. Mais il n’était pas tout seul dans cette histoire ! Marine avait aussi son
Il resta figé, juste devant le lit, où Marine était allongée sur un des garçons. Celui-ci essayait de lui fourrer sa…. Il vit rouge en comprenant ce que l’autre aurait fait ensuite. Alors que de toute évidence son amie n’était plus en état d’accepter ou refuser quoique ce soit. Sa tête pendait lamentablement sur le torse glabre du malotru et il était facile de voir qu’elle semblait être inconsciente.
« Mais casse-toi ! T’es qui toi ? »
Le Breton attrapa le premier par le bras en lui balançant des fringues à la figure.
« Cassez-vous ! Tout de suite ! »
« Non mais, non… On n’a pas fini. Marine nous a invité pour la nuit »
« Dégagez ou j’appelle les flics »
Fred avançait maintenant dans la chambre, les yeux ensommeillés. Il rougit en apercevant la jeune femme dévêtue et tourna le regard par pudeur. Il avait été alerté par les cris de Loïc et en comprenait maintenant la raison.
Dix minutes plus tard, les deux inconnus étaient à la porte, à moitié rhabillés mais les occupants de la maison s’en fichaient royalement.
« Qu’est-ce qu’on fait pour Marine ? » Demanda Samia.
« Je m’en occupe » Le ton était sans appel et si les trois autres se regardèrent, aucun ne bronchèrent. Chacun retourna dans son lit. De toute façon, c’était Loïc et Marine ne risquait rien avec lui. Même s’ils s’engueulaient tout le temps.
L’étudiant prit un gant de toilette humide, prit une bassine par précaution et se dirigea vers le lit de la jeune femme. Il la contempla d’abord longuement, s’imprégnant de chaque détail et se mordit la lèvre en sentant une réaction dans son boxer. Il s’en voulut aussitôt et se hâta de s’allonger près d’elle après lui avoir passé le gant sur le visage, ce qui ne la réveilla même pas. Il les recouvrit de la couette.
Longtemps, il resta immobile à ses côtés, se demandant ce qu’il faisait là. Et la rage qu’il ressentait à revoir la scène immonde avec ces deux mecs qui allaient… la toucher faisait place à un autre sentiment. Son cœur se gonflait en observant les paupières baissées, la bouche rose et les traces de maquillage qui avait coulé. Malgré cela, il la trouvait jolie. Désirable. Oui, il avait juste envie d’être à la place des garçons qui avait pu la caresser.
Mais bien au-delà du désir qu’il ressentait à cette seconde, c’est cette bouffée de tendresse et ce besoin de la protéger qui lui firent fermer les yeux et tendre les bras pour la blottir contre lui. Dans son sommeil, Marine soupira d’aise et sa tête se cala sur la poitrine de son compagnon, tandis que sa jambe douce l’emprisonnait en remontant le long de sa cuisse.
…
Le soleil s’invitait à travers les rideaux mal tirés et sortit Marine de ses rêves. Elle se sentait en sécurité. C’était chaud et douillet. Comme cela ne lui était arrivé depuis longtemps. Péniblement, elle parvint à ouvrir les yeux. La migraine était moins forte que ce à quoi elle aurait pu s’attendre. Elle se rappelait avoir bu… beaucoup. Et vaguement de deux garçons dont elle n’avait aucun souvenir des prénoms. Il en était resté un, à priori. Elle leva la tête doucement et resta bouche bée.
« Loïc ? »
Le Breton l’observait. Il n’avait pas bougé d’un pouce et attendait qu’elle se réveille. Attendait les cris qu’elle allait pousser. Mais ceux-ci ne vinrent pas. Juste les larmes. Et Loïc n’était pas programmé pour bien réagir face aux larmes de sa meilleure amie. Il paniqua totalement, s’éloignant un peu, ne voulant pas qu’elle pense qu’il ait pu profiter de la situation.
« Non, attends Marine… Il…Il ne s’est rien passé, je te le jure ! C’est juste ces deux cons, là…Ils… allaient… Tu étais inconsciente bon sang, je ne pouvais pas les laisser te tripoter ! »
Son cœur s’était emballé et sous sa paume, Marine perçut parfaitement cet état. Comme elle vit l’angoisse et l’inquiétude dans ses yeux. Le brin de jalousie. Et autre chose qu’elle avait envie de partager avec lui.
« Tu… t’es inquiété pour moi ? »
« Je m’inquiète toujours pour toi, Marine. »
Tout à coup, tout embarras s’évanouit. La jeune femme avait refermé les yeux et ses lèvres se posaient déjà sur la mâchoire de Loïc, comme ses doigts traçaient un chemin sur son torse, s’attardant sur les tétons.
« Marine… »
« Je t’aime »
C’était simple mais l’aveu le bouleversa.
Et puis plutôt que de lui avouer par des mots qu’il tenait bien plus à elle que tout autre chose au monde, il se pencha pour capturer sa bouche. La renversa doucement sous lui et lui montra de tout son corps.
Pour une fois, Fred n’entendrait pas leur dispute comme tous les matins depuis de longs mois. Pour une fois, il aurait aimé avoir des boules Quiès pour ne pas entendre leurs gémissements quand il passa devant la porte de la jeune femme.
Pour une fois, il irait faire les courses avec les filles, même si ce n’était pas leur tour.
FIN