Reclassement d'un cadeau d'anniversaire pour Mapi
Préambule : Je ne connais pas les personnes et je ne sais rien de leur vie. Je me contente de les mettre en scène dans une fiction, sans en tirer aucun bénéfice.
Méfie-toi : on t'aime
Lorsqu’il entra dans sa loge, il vit tout de suite la superbe composition posée sur sa coiffeuse. Il ressortit aussitôt et entra comme un boulet de canon dans la loge de son frère :
- Merci ! Elles sont superbes !
Interdit, Shannon se tourna vers lui :
- De quoi tu me parles ?
- Tes fleurs ! Je croyais que tu avais oublié mon anniversaire mais non !
La rougeur qui envahit les traits de l’aîné lui fit comprendre qu’il faisait fausse route avant même que le batteur ne dise :
- Oh non ! C’est ton anniversaire ? Oh Jared ! Je suis désolé ! J’ai… Tiens, ce soir je t’invite au restau ! On va fêter ça !
Jared haussa les épaules :
- Non… Ce n’est pas grave. Je sais bien qu’avec la tournée, ton expo à préparer, les répétitions, les interviews… Je comprends.
Puis, pour chasser la mine coupable qu’affichait son frère, il ajouta :
- Et puis au moins, il y a quelqu’un qui a pensé à moi ! Je retourne voir s’il y a une carte.
Une présence une chaleur
Des fleurs pour commencer,
Une enveloppe et un cœur
Pour ne pas l'oublier.
Juste un petit carton et un cœur percé d’une flèche : N/J…
Il sourit : encore une échelonne, ou un échelon, qui pensait à lui dans ses rêves. Parfois il trouvait cela bizarre : peupler la vie de personnes qu’il ne verrait jamais, qu’il croiserait sans doute un jour sans les reconnaître.
Cet amour à distance aurait pu être troublant, mais ça le réconfortait de savoir qu’il comptait dans la vie de quelqu’un.
Y a quelque part quelqu'un
Qui voit sans être vu,
Qui lit dans un bouquin
Comment il t'a connu.
- Encore un cadeau ?
Jared se retourna vers son frère et lui sourit :
- Oui… Je crois que quelqu’un est accro quelque part.
- Aucune idée de qui il s’agit ?
- Comment veux-tu ? Il n’y a jamais que cette carte avec ce cœur percé surmonté des deux lettres enlacées, N/J.
- Ce qui veut dire ?
- J, je présume que c’est Jared. N… Aucune idée. Je ne me souviens pas avoir rencontré quelqu’un dont le prénom commençait par cette lettre. Je ne sais même pas si c’est une fille ou un garçon.
Shannon s’approcha de lui et l’enlaça :
- Tu veux que je te dise… J’espère pour toi que c’est une fille.
- Et pourquoi donc, sourit le plus jeune en se fondant dans l’étreinte.
- Parce que je refuse que tu penses à un autre homme que moi. Et puis les filles sont bien moins dangereuses.
- Ca, ça reste à voir mon cher frère.
L’instant d’après, ils avaient oublié la groupie anonyme dont le présent gisait à terre, parmi les autres objets ayant encombré la coiffeuse et qui avaient valsé lorsque Shan les avaient balayé d’un revers de main pour pouvoir asseoir son frère sur la coiffeuse et le déguster comme il en brûlait d’envie.
Méfie-toi on t'aime.
C'est un amour de loin
Un amour fait pour un...
Méfie-toi on t'aime,
Sans désir sans haleine
Qui s'approche de la haine.
Méfie-toi on t'aime
Quand ton soleil s'éteint.
Autre ville, autre public, toujours le même succès, les cris, les pleurs, les mains qui se tendaient vers eux, la cohorte des fans qui s’époumonaient pour tenter d’attirer leur attention.
Il savait qu’il ou elle était là, parmi ces visages qu’il ne voyait pas vraiment. Il savait que, peut-être, il avait touché sa peau ce soir-là, tandis qu’il distribuait des poignées de mains rapides, que peut-être il ou elle était l’un des rares élus à avoir le pass backstage. Mais une fois encore l’anonyme n’était pas sorti de l’ombre.
Mais il avait eu la confirmation de sa présence en voyant le bracelet de cuir sur sa coiffeuse, la carte avec son cœur familier.
Et personne n’avait rien vu…
A croire que son fan numéro un était un fantôme.
Ils te guettent ils te parlent.
Ils te cherchent ils te suivent.
Night'nd day en secret,
Ils t'engueulent ils t'écrivent.
Les missives avaient commencé à arriver après ce concert. La première consistait en une simple question : « Pourquoi ne portes-tu pas ton bracelet ? » signé du cœur et des deux lettres familières.
Puis il y en avait eu d’autres, plus longues, d’abord presque timides, puis plus affirmées, clamant son amour, son dévouement, jurant fidélité et protection. Petit à petit s’étaient glissée l’amertume et quelques reproches :
« Pourquoi ne me réponds-tu pas ? Pourquoi ne m’as-tu pas souri ? Que faisait cette fille à tes côtés ? »
Et rien ne permettait de savoir s’il avait à faire à un admirateur ou une admiratrice.
- Ca devient glauque tu ne trouves pas ? s’inquiétait Shannon.
- Mais non ! C’est juste une groupie qui vit son rêve. Elle finira bien par se réveiller.
- Tout de même : comment fait-il, ou elle, pour nous suivre partout comme ça ? Quelqu’un de l’équipe ?
- Tu rigoles ! Personne de l’équipe ne s’inquièterait d’une fille à mes côtés !
Ils se sourirent : effectivement, leurs proches savaient ce qui les unissait au-delà des liens fraternels et personne n’avait rien trouvé à y redire, à leur grand étonnement. Bien sûr ils restaient discrets : ils savaient que la société n’était pas prête à accepter leur relation au nom d’une morale que pour leur part ils trouvaient rétrograde et hypocrite. Pourquoi ne s’indignait-ton pas que des frères puissent se haïr mais qu’on leur interdisait de s’aimer ? On ne choisit pas à qui on donne son cœur avait dit Jared à son frère lorsque celui-ci luttait encore contre leur attirance mutuelle. On ne choisit pas sa famille mais on choisit ses amis, ses amours, les liens du sang n’empêchent pas les liens du cœur.
- Et puis comment arrive-t-il à chaque fois à entrer dans ta loge sans qu’on le voie ?
- Tu sais bien que pendant les concerts on fait moins attention à ce qui se passe en coulisse qu’à ce qui arrive sur scène. Et heureusement pour nous !
- N’empêche, peut-être qu’on devrait…
- Peut-être que tu devrais m’embrasser et arrêter de cogiter frangin ! coupa Jared en se collant à son aîné.
Et tandis que celui-ci obtempérait, le cadet fit un clin d’œil amusé à l’ourson qui trônait sur la coiffeuse, dernier cadeau de son admirateur secret.
Y a quelque part quelqu'un
Dont tu n'as pas idée,
Qui croit te faire du bien,
Qui veut te protéger.
Il était là l’ourson, trônant à nouveau au beau milieu du miroir et Jared sentit son cour battre plus vite. Il se souvenait très bien l’avoir entassé avec tous les cadeaux de son fan dans un carton qu’il avait entreposé dans le coffre de leur bus suite aux dernières lettres reçues où les grands serments d’amour se teintaient de menace et de haine.
Le jour où il avait trouvé un autre ours, éventré, le cœur cousu sur sa peluche percé d’un poignard, il avait compris à quel genre de fan il avait à faire et l’inquiétude avait remplacé l’attendrissement. Cette fois-ci Shannon ne lui avait pas laissé le choix : la loge serait surveillée par un vigile durant le spectacle et il n’allait nulle part sans lui !
C’est alors qu’il avait rassemblé tous les présents pour les mettre dans ce carton : à défaut de faire son bonheur, ils feraient celui de personnes démunies et il comptait bien les donner à une association caritative à la première occasion.
Mais la première occasion, durant une tournée, tarde parfois à se présenter et, au fil des jours et des concerts, il s’était rassuré à ne plus trouver de cadeaux, ne plus recevoir de lettres, comme si par la simple magie d’un geste, il avait désamorcé la menace diffuse.
Mais ce soir-là, en entrant dans sa loge, l’ourson était là, bien reconnaissable à la tache de maquillage sur son museau blanc : il ou elle était revenu !
Méfie-toi on t'aime.
C'est un amour de loin
Un amour fait pour un...
Méfie-toi on t'aime,
Sans désir sans haleine
Qui s'approche de la haine.
Méfie-toi on t'aime
Quand ton soleil s'éteint.
- Je ne te laisse pas !
- Shan…
- Il n’y a pas de Shan ! Ce cinglé est entré de nouveau dans la loge ! Malgré le vigile ! D’ailleurs il va m’entendre cet incapable.
- Il me semble qu’il t’a suffisamment entendu déjà. Enfin ! Il n’allait pas se faire dessus tout de même ! plaida Jared en se remémorant les foudres qui s’étaient abattues sur le malheureux gardien lorsque Shannon avait compris que l’admirateur secret de son frère rôdait toujours autour d’eux. L’homme avait eu beau tenter d’expliquer qu’il avait été pris d’un besoin pressant et ne s’était pas absenté plus de dix minutes, l’aîné avait déversé sur lui sa frustration et son inquiétude.
- En tout cas, cette fois-ci je préviens les flics !
- Pour leur dire quoi ? Qu’on m’a offert un ours ?
- Non ! Qu’on a récupéré un ours dans nos affaires et qu’on te harcèle depuis des mois !
- Harceler… Tout de suite les grands mots.
Shannon s’arrêta et se tourna vers son frère :
- D’accord ! Dis-moi que tu n’es pas inquiet, que tu es certain que tout va bien et je cesse aussi de m’en faire !
Il planta ses yeux dans les prunelles bleues de son cadet, le défiant de lui mentir. Jared se mordit les lèvres : il ne pouvait pas prononcer ces phrases parce qu’au fond de lui il n’était pas vraiment tranquille. Un éclair de triomphe brilla dans le regard de Shannon qui se détourna en disant :
- La cause est entendue ! On va voir les flics.
Ils approchaient du tour-bus et Jared haussa les épaules, comprenant qu’il ne parviendrait pas à faire entendre raison à son frère et pensant qu’après tout ce n’était peut-être pas une mauvaise idée. Alors qu’ils n’étaient qu’à quelques mètres, une silhouette sortit de l’ombre et Shannon sursauta violemment, faisant passer son cadet derrière lui, comme pour lui faire un rempart de son corps.
- Relax frangin, rigola le plus jeune en voyant la mince jeune fille qui se tenait devant eux, toute timide, apparemment très jeune, et qui les regardaient comme si elle venait de voir le Messie.
- Je suis désolée… Je ne voulais pas vous faire peur, flûta-t-elle d’une voix enfantine.
- Aucun souci mademoiselle… Mon frère est un peu nerveux après les concerts. Comment êtes-vous arrivée là ?
- Je ne suis pas bien grosse, j’arrive à me faufiler partout, sourit-elle. Je voulais tant avoir un autographe !
- Vous êtes seule ? s’enquit Shannon en regardant autour de lui, étonné qu’une si jeune fille puisse ne pas être accompagnée si tard dans la nuit.
- Non… Mon grand frère m’attend à la voiture. Je l’ai supplié de me laisser tenter ma chance.
- Et évidemment le grand frère a cédé, sourit le batteur conquis.
- Oui… Il me cède toujours…
- Humm… Je comprends ça, rigola l’aîné en fixant son cadet qui, lui aussi, savait très bien comment le manipuler. Alors comme ça vous voulez un autographe !
- Oui, oh oui ! J’en rêve !
- Vous avez un papier ?
- Euh… Oh non ! C’est mon frère qui a mon programme !
Elle avait les larmes aux yeux et Jared s’empressa de dire :
- Ce n’est pas grave ! On en a dans le bus ! Il suffit d’aller en chercher un…
Et ce disant il fixait son frère de cet air qui, justement, faisait que celui-ci lui accordait ses moindres désirs. En soupirant, le batteur ouvrit la porte et entra pour chercher un programme à signer.
Alors qu’il ressortait, il entendit la voix qui n’avait plus rien de charmant s’élever dans un cri hystérique :
- Tu étais à moi ! A moi ! Tu n’aurais pas dû me trahir !
Glacé, il sortit en trombe, laissant tomber le livret. La fille avait disparu et son frère était au sol. Il se précipita vers lui, hurlant pour qu’on vienne les aider tandis qu’il prenait dans ses bras le corps percé de plusieurs coups de couteau.
- C’est toi qui avait raison, gémit Jared en se cramponnant à lui.
- Chut ! Tais-toi ! Garde tes forces ! Ca va aller ! Ca va aller !
Ca devait aller ! Il ne pouvait pas en être autrement ! Il n’était pas possible que cet amour qu’on leur portait puisse s’achever ainsi, sur un parking qui peu à peu se remplissait de cris et de pleurs, de bruits et de lumières.
Il n’était pas possible que l’amour puisse tuer.
C'est un amour qui n'aime personne
Souviens-toi du canon de Lennon...
FIN
Chanson de Michel Sardou