Je continue à reclasser: une songfic écrite pour l'anniversaire de Djorie.
Déclaration : Les personnages de la série ne m’appartiennent pas. Ils sont la propriété exclusive de : Stéphane Giusti, Alain Robillard & Alain Tasma. Je ne tire aucun bénéfice de leur mise en situation dans cette fiction.
Pardonner
Six mois…. Six mois qu’il était parti, droit devant lui, sans se retourner, sans réfléchir, mû par le chagrin, la colère, la douleur, le désespoir…
Six mois qu’il vivait sans vivre dans ce trou perdu d’Auvergne où il savait que personne ne viendrait le retrouver.
Six mois qu’il souriait aux gens qu’il croisait, qu’il distribuait des bonjours et des bonsoirs, sans aller jamais plus loin. Il n’avait pas envie de se lier, pas envie d’être à nouveau trahi, pas envie de souffrir encore.
Six mois qu’il vivotait, de petit boulot en petit boulot, dormant dans cette vieille baraque léguée par un vague cousin de son père et dont personne n’avait jamais entendu parler parce que lui-même l’avait presque oubliée. Mais lorsque Yann l’avait laissé, seul, meurtri et blessé dans leur appartement, lorsqu’il avait entassé à la va-vite quelques affaires dans son sac et était parti la rage au cœur et le désespoir au ventre, d’un seul coup elle lui était apparue comme le havre où il pourrait faire le point, savoir ce qu’il voulait faire de sa vie et tenter de se reconstruire après tout ce gâchis.
Six mois…
Six mois à sentir son corps lourd, son cœur vide, son âme sombre et sa raison embrumée…
Six mois et aujourd’hui soudain, en voyant la date sur le calendrier il songeait que, peut-être, la fuite n’était pas la meilleure des options.
Il faudrait se revoir
Où la vie nous sépare
A l'endroit des adieux
Recommencer un peu
D'abord par se mentir
Avant de tout se dire
Avant que tout soit clair
Avoir connu le pire
Avoir connu l'enfer
Six mois….
Six mois d’enfer à chercher à comprendre où il avait dérapé, où il s’était fourvoyé.
Six mois de rage contenue à chercher un coupable à tout ce gâchis, ce ratage lamentable de ce qui devait être une belle histoire.
Six mois à cacher son désespoir aux collègues et à sourire mécaniquement, à inventer des excuses bidons à l’absence de son amour qui se faisait de plus en plus cruellement sentir à mesure que les jours et les semaines passaient.
Six mois et il ne savait toujours pas pourquoi ce jour-là il avait réagi comme un con de flic obtus plutôt que comme le soutien qu’il aurait dû être pour ce mec qu’il aimait à en crever.
Six mois durant lesquels il avait cherché par tous les moyens à se racheter et d’abord en réussissant à coincer Recht et sa clique. Et même s’il avait ressenti un pincement au cœur de tristesse lorsqu’il avait vu celui qu’il admirait tant autrefois quitter le commissariat entre deux bœufs-carottes les pinces aux poignets, le ressentiment qu’il avait envers celui qui avait tout gâché entre lui et Kevin, et qui avait laissé sa trace sous la forme d’un magnifique bleu sur la mâchoire du ripoux, avait vite balayé cette réaction faite de nostalgie et d’admiration bafouée.
Mais comment faire savoir à Kevin qu’il s’était racheté, au moins sur ce point-là, alors que personne ne savait où il était ? Même s’il les pensait capables de lui mentir sciemment pour le punir de l’avoir privé de leur ami, il ne les croyait pas assez bons acteurs pour feindre cette inquiétude, qui tournait petit à petit à l’angoisse à mesure que les jours passaient sans nouvelle de l’absent.
Insensiblement il glissait dans une chape de désespoir en pensant que plus jamais il ne reverrait celui qu’il aimait, que jamais il n’aurait l’occasion de se faire pardonner.
Et pardonner, pardonner ces heures où le temps a manqué
Où le coeur arrêté, arrêté sur les jours s'est brisé
Pardonner, c'est le moment que l'on choisit pour être aimé
Pardonner, c'est croire encore que le meilleur reste à donner
Aurait-il dû réagir autrement ? Affronter Yann avant d’affronter Recht et ses sbires ? Oser être plus que le pauvre bleu stupide qui croyait dur comme fer à la justice, à la probité, à tous ces trucs dont on vous parle durant votre formation et dont vous vous apercevez sur le terrain qu’elles ne sont pour certains que vaste fumisterie ?
Partir ainsi, n’était-ce pas laisser gagner cet enfoiré qui allait pouvoir, en toute impunité, continuer ses petites magouilles ?
On ne change pas les choses en fuyant, loin de là. Il était en train de gâcher sa vie à cause d’un salopard de flic pourri qui devait se réjouir de sa disparition, sûr maintenant d’être intouchable et intensifiant désormais ses sales petits trafics sans hésiter à recourir à l’intimidation puisque cela semblait tellement bien marcher.
Mais en vérité il savait que sa fuite était avant tout due à la réaction de Yann. Il aurait aimé que celui-ci se dresse à son côté, sans hésitation, sans réserve, au lieu de quoi il n’avait eu que de l’incrédulité, de l’incompréhension, du doute… Et cela l’avait plus blessé que les coups qui avaient marqué son corps. Cette plaie-là n’était pas encore tout à fait cicatrisée et il n’était pas sûr qu’elle le soit un jour.
Comment aimer sans confiance, sans soutien ?
Pourtant, assis sur le seuil de la petite maison, regardant le ciel lourd de nuages, il se demandait s’il n’aurait pas dû tenter de parler à Yann, de sauver leur amour à défaut de sauver sa carrière. Le silence n’arrange rien et la fuite n’est qu’une lâcheté.
Accepter qu'un chagrin
Ne vaut rien sans marin
Sans Méditerranée
On n'aurait pas rêvé
Accepter que l'amour
Est encore et toujours
Dans nos yeux qui voyagent
Dans nos mains de velours
Lourd de tous les naufrages
Il avait laissé passer quelques jours, quelques semaines avant que l’annonce de la mise en disponibilité de Kevin lui fasse comprendre que celui-ci ne reviendrait pas de sitôt, qu’il n’était pas juste parti pour réfléchir un peu.
Il aurait tout donné pour le voir revenir, même avec le reproche aux lèvres et l’insulte à la bouche. Il était prêt à tout entendre de lui, à reconnaître ses torts, à le laisser déverser sa colère, sa rancœur… Tout pourvu qu’il lui revienne et qu’il puisse le serrer contre lui, s’assurer qu’il allait bien.
Puis il s’était jeté dans la traque pour prouver à son amour qu’il le croyait et que l’imbécile dans cette histoire c’était lui qui aurait dû, dès le départ, se ranger à ses côtés et élaborer un plan pour faire tomber celui qui, de héros à ses yeux, était devenu la lie de la police.
Ensuite…
Ensuite il y avait eu ce grand blanc, ces jours de flottement…
Tant qu’il avait un but, il s’était senti vivant malgré l’absence. Mais soudain il lui semblait que les fils qui l’avaient animé durant ces semaines venaient d’être coupés par un marionnettiste fatigué de sa poupée de chiffon qui retombait au sol mollement et sans énergie.
Il avait tenté de savoir, cuisinant les bleus avant de s’apercevoir qu’ils n’en savaient pas plus que lui, affrontant la colère d’Alex qui le rendait responsable du départ de son meilleur pote. Il avait même appelé Brigitte qui s’était contentée de quelques mots secs avant de raccrocher, lui faisant comprendre qu’il n’avait rien à attendre d’elle : quand bien même elle saurait où était son fils, elle ne dirait rien. Il ne pouvait lui donner tort : c’était une mère, et une mère défend ses enfants contre ceux qui leur ont fait du mal. Et il était de ceux-là.
Il connaissait des flics un peu partout en France et, à titre personnel et amical, il leur avait demandé de fouiller un peu… Après tout, Kevin était toujours des leurs. Il n’avait pas démissionné, ou plutôt, grâce à Mercier, sa démission apparente s’était soudain transformée en mise en disponibilité. La commissaire, sous ses dehors pète-sec, s’était prise d’affection pour le jeune Basque encore trop tendre et idéaliste qui voyait d’un seul coup ses illusions s’envoler et le bandeau qu’il portait devant les yeux être brutalement arraché. Elle se souvenait d’avoir ressenti les mêmes sentiments, bien des années auparavant, mais elle, elle s’était blindée et avait continué, se contentant de rester fidèle à l’image qu’elle avait de sa fonction mais sans plus croire que la totalité des flics de France et de Navarre étaient des sortes de croisement entre Superman et Charles Ingalls avec un zeste de Starstky ou de Hutch en eux. Alors elle s’était contentée de taper une lettre de demande de congé sans solde en se foutant comme d’une guigne de faire un faux : probe certes mais pas au point de lâcher des subordonnés dont la valeur et l’honnêteté n’étaient plus à prouver.
Il n’y avait rien… Kevin s’était volatilisé. De là à penser qu’il était parti rejoindre Tiago…
A cette hypothèse son cœur saignait d’imaginer son homme dans les bras d’un autre, gémissant à ses caresses, s’abandonnant comme il savait le faire… D’un autre côté, il préférait le savoir heureux, même auprès d’un autre, que désespéré et sans ressources ou même…. Non ! Cette hypothèse-là il la refuserait jusqu’au bout, jusqu’au jour où on lui présenterait un corps, sans l’ombre d’un doute.
Il devait croire que Kevin vivait quelque part et qu’un jour il pourrait lui pardonner.
Et pardonner, pardonner ces heures où le temps a manqué
Où le coeur arrêté, arrêté sur les jours s'est brisé
Pardonner, c'est le moment que l'on choisit pour être aimé
Pardonner, c'est croire encore que le meilleur reste à donner
La vie est bizarre : durant six mois il avait ruminé sa hargne et son ressentiment. Mais il se rendait compte que c’était surtout lui qui en avait pâti.
Tout quitter comme il l’avait fait n’avait rien arrangé, ça n’avait pas calmé l’indignation, pas soigné la douleur, pas diminué la colère et pas amoindri l’amour qu’il portait à Yann et qui, jour après jour, rendait plus lourd chaque geste parce que l’absence devenait plus cruelle.
Yann…
Tous les bons souvenirs ensemble revenaient le hanter, jour après jour, estompant ces dernières semaines, cette réaction viscérale qu’avait eu le capitaine à son annonce. Comment aurait-il réagi, lui, si Yann était venu lui dire qu’Alex était la pire des ordures ?
Pardonner, tout donner
Pardonner, pardonner
Pour donner, tout donner
Aujourd’hui c’était l’anniversaire de leur première fois et il se sentait oppressé, comme si le ciel bas l’empêchait de respirer. Mais il savait que l’oxygène qui lui manquait avait des cheveux noirs, épais, les yeux les plus verts qu’il eût jamais vu et le plus fichu caractère qu’on puisse avoir sur cette terre.
Mais c’était tout ça qui faisait de lui l’homme qu’il aimait. Cet homme qu’il avait dû apprivoiser, dont il avait dû lever toute les barrières, qu’il avait révélé à lui-même, comme une nouvelle naissance.
Il réentendait maintenant les derniers mots de Yann, sa supplique… A sa manière il avait tenté de lui dire combien il comptait pour lui. Il n’osait imaginer dans quel état il se trouvait.
Au départ, tout à sa colère, il avait voulu se persuader que Yann le remplacerait vite. Mais son cœur savait que ce ne serait pas le cas. Et aujourd’hui son cœur parlait plus fort que sa tête. Et les images qui passaient devant ses yeux étaient celles d’un bonheur perdu où chaque geste, chaque mot s’inscrivait en lettres de feu dans sa mémoire.
Et s’il décidait enfin de tourner cette page ? S’il trouvait le courage de revenir, d’affronter ses démons, réels ou supposés, de faire enfin ce qui était bien, ce qui était juste ?
Pardonner, pardonner
Pour tout donner, tout donner
Il marchait sur le chemin, le cœur battant. C’était un signe, c’était forcément un signe qu’il ait eu cette information juste ce jour-là, à cette date-là.
Il marchait parce que sa voiture ne pouvait pas emprunter le chemin pierreux, uniquement accessible aux quads ou aux motos de trial.
Il marchait et il remerciait ce collègue anonyme qui s’était intéressé à ce jeune dont parlait son grand-père, qui ne frayait pas avec grand-monde, même s’il était « bien brave », et qui venait de s’installer dans la maison du vieil Antoine. Comme quoi il y avait encore des flics qui faisaient leur boulot sans attendre les ennuis ou les ordres.
Il marchait et rassemblait les mots qu’il aurait à dire pour que Kevin l’écoute, l’entende, lui pardonne.
Il marchait et il priait pour qu’il soit là, pour qu’il accepte au moins de lui laisser une chance de s’expliquer.
Pardonner, pardonner
A quoi bon rester là à ressasser des souvenirs qui ne menaient à rien ? Il était temps qu’il sorte de sa léthargie douloureuse, temps qu’il affronte enfin la vie en homme et plus en gamin effrayé par son ombre, temps qu’il se batte pour ce qu’il trouvait juste, pour ce qu’il voulait faire de lui !
Au moment où il se relevait, il vit une silhouette sur le chemin et s’immobilisa. Personne ne venait jamais ici ! Il ne recevait pas de courrier puisqu’il n’avait donné son adresse à personne et quand bien même, la boîte se trouvait à cinq cents mètres de là, sur le petit chemin vicinal que pouvait emprunter le facteur, la maison elle-même étant inaccessible aux voitures.
Aucun villageois n’était jamais venu ici : il les croisait au village, leur rendait service à l’occasion, surtout dans la mesure où le plus jeune avait cinquante ans bien sonnés, mais il ne s’était lié avec aucun d’eux, n’ayant ni le cœur, ni la force de nouer de nouvelles relations.
Il plissa des yeux, cherchant à reconnaître l’intrus. En tout cas, son pas était bien trop alerte pour être celui d’un de ses « voisins ».
Puis soudain son cœur fit un bond dans sa poitrine : cette silhouette, cette allure… Non ! Il devait rêver ! Son désir brûlant lui faisait imaginer ce qu’il souhaitait si ardemment.
Pourtant…
Yann s’arrêta soudain en voyant l’homme debout devant la maisonnette. Il lui sembla qu’il allait s’effondrer sur ce chemin. Il était là : plus mince que dans son souvenir, les cheveux plus longs, une barbe de quelques jours picorant ses joues… Mais c’était lui.
Pardonner pour donner
Ils étaient face à face, se mangeant des yeux, chacun enregistrant chez l’autre les changements que le temps et le chagrin avaient infligé, le souffle un peu court et les cœurs battant une sarabande endiablée.
Ils étaient face à face et les semaines s’abolissaient, les remparts se fissuraient, les blessures se colmataient.
Ils étaient face à face et les mots étaient inutiles tant tout se lisait dans leurs yeux.
Kevin tendit la main et Yann s’y accrocha, comme un noyé s’accroche à la bouée salvatrice qu’on vient de lui lancer.
Le Basque entraîna son compagnon à l’intérieur et la porte se referma sur eux.
Il faudrait se revoir
Où la vie nous sépare
FIN
Chanson de Chimène Badi