Une petite histoire écrite pour l'anniversaire 2012 de Dobby... basée sur ses propres histoires.
Un amour impossible
Depuis sa naissance on lui avait dit et répété qu’un jour elle rencontrerait un beau mâle, de son milieu, et qu’ils s’uniraient pour donner naissance à une flopée de petits, tous en bonne santé, les filles aussi belles que leur maman, les garçons aussi costauds que leur papa.
Il n’y avait pas d’autre voie pour elle : suivre les règles, la vie immuable tracée depuis des siècles par toute une lignée ayant eu son lot de héros et sans doute, mais là on n’en parlait jamais, sa cohorte de pleutres. Nelle était la dernière-née, le bébé de la famille, celle sur qui toute l’attention se cristallisait : elle n’avait d’autre choix que de suivre le chemin tracé et de réussir sa vie selon les préceptes du clan.
Mais dès toute petite elle avait eu d’autres aspirations, d’autres rêves, et lorsque les uns regardaient vers le ciel, elle s’intéressait à ce qui se passait en bas, au sol, dans ce monde dont elle n’aurait même pas dû soupçonner l’existence.
Au grand désarroi des siens, elle se montrait indépendante, libre, et semblait avoir des idées qui ne correspondait absolument pas à ce que l’on pouvait attendre d’une demoiselle de bonne famille. Au point que ses parents, désarçonnés, ne savaient plus comment l’empêcher de déployer ses ailes pour parcourir un univers qui n’était pas le sien. Ni les menaces, ni les punitions ne semblaient l’atteindre.
Nelle n’était pas de celles que l’on enferme.
*****
Depuis sa naissance, on lui avait répété qu’un jour il rencontrerait celle qui lui était destinée et qu’ensemble ils fonderaient une belle famille qui travaillerait la terre avec le courage qu'ils avaient hérité de leurs lointains ancêtres. Il allait de soi qu’il choisirait une compagne de son milieu, quelqu’un de simple et de travailleur, qui ne perdrait pas de temps en vaines rêveries. Ils étaient des jardiniers, de ces êtres qu’on ne voit pas et dont pourtant l’absence se fait très vite cruellement ressentir.
Bric était l’aîné, le fils tant espéré, celui dans lequel on met tous les espoirs, qui se doit évidemment de réussir parce qu’il va être le modèle de ceux qui vont suivre. Il n’avait pas le droit à l’erreur, pas le droit de choisir sa propre vie.
Mais il s’avéra rapidement qu’il n’avait aucunement l’intention de suivre le parcours étriqué qu’on lui avait balisé. Il visait plus haut, plus loin ! Il ne se contenterait pas de passer sa vie les yeux rivés au sol à retourner des mottes de terre. Et bien souvent on le surprenait, le regard vers le ciel et les yeux pleins de rêve.
Bric n’était pas de ceux qui renoncent à leurs espoirs.
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Tous deux étrangers dans leur propre caste, ils étaient obligatoirement destinés à se rencontrer et à tomber éperdument amoureux l’un de l’autre.
Et tout aussi obligatoirement, ils étaient destinés à souffrir, à devoir se battre pour leur amour, à accepter d’être mis au ban de la société qui voyait d’un bien mauvais œil l’union d’une princesse et d’un manant !
Roméo et Juliette, Tristan et Yseult, Eloïse et Abélard ont connu un chemin semé de pétales de roses comparé à l’enfer qui se déchaîna lorsque leur histoire s’exposa au grand jour. Les parents de Nelle commencèrent par l’enfermer chez eux à double tour sous la surveillance de ses frères devenus des geôliers impitoyables. Quant à la famille de Bric, elle ne le laissait sortir que pour aller aider au travail quotidien.
Ni les larmes de l’une, ni les supplications de l’autre ne parvenaient à plier leurs familles, leurs amis. Il semblait que la société dans son entier se liguait contre eux et contre leur amour. A longueur de jour et de nuit l’un comme l’autre entendait le même discours :
« Il / Elle n’est pas pour toi. Il / Elle n’est pas de ton rang. Il / Elle ne trouvera jamais sa place parmi nous. Quel sera votre avenir si il / elle est toujours rejeté(e) par ceux que tu aimes ? Où vivrez-vous si tu nous quittes ? Les siens ne voudront pas plus de toi que nous ne voulons de lui / elle. Et vos enfants ? Quel avenir pourront-ils avoir nés de parents tellement différents et comme tels rejetés aussi bien par le côté maternel que par le côté paternel ? Regarde autour de toi, tu ne manques pas de belles jeunes filles / beaux jeunes gens qui souhaiteraient t’épouser. Cesse de faire l’enfant ! Grandis un peu ! Cet amour est impossible et nous n’y consentirons jamais ! »
Mais malgré tous les discours, malgré la surveillance étroite dont ils étaient victimes, les deux tourtereaux parvenaient toujours à trouver des moments pour se rencontrer, s’embrasser, s’aimer comme seuls peuvent s’aimer ceux qui savent leur histoire condamnée.
Alors on enferma Nelle dans une tour, haute, haute, qui touchait ce ciel qu’elle aurait dû continuer de contempler, et Bric dans un souterrain, loin, loin sous cette terre qu’il n’aurait jamais dû quitter du regard.
Loin l’un de l’autre, sans savoir ce qui se passait, les amants dépérissaient. Mais avec l’acharnement qui coulait dans leurs veines, chacun pensait à s’évader. Ensuite ils se retrouveraient et partiraient loin de ceux qui les vouaient au malheur éternel.
Cela prit du temps à Bric pour réussir à percer un tunnel qui remontait vers la lumière et tout autant de temps à Nelle pour réussir à percer l’épaisseur de la muraille qui l’emprisonnait. Les semaines et les mois passaient mais ils ne désespéraient pas.
On avait bien essayé de leur faire croire que l’autre s’était marié(e), l’avait oublié(e), mais les ruses grossières ne prenaient pas. Ils savaient que leurs âmes étaient unies à jamais et qu’ils seraient fidèles l’un à l’autre au-delà de cette mort qu’ils ne craignaient pas.
Après des mois et des mois de dur labeur, Bric déboucha enfin dans un joli parc, au pied d’une haute tour.
Après des mois et des mois de dur labeur, Nelle réussit enfin à forer un passage dans la lourd enceinte et se retrouva dans un jardin verdoyant.
Bric regarda vers le ciel.
Nelle regarda vers la terre.
Elle était là, plus belle que jamais dans sa robe désormais fripée.
Il était là, plus beau que dans son souvenir, malgré la fatigue qui se lisait sur ses traits.
Ils se rejoignirent, s’étreignirent, surpris de se sentir si faibles soudain mais tellement heureux d’être réunis.
- Partons !
Ils avaient parlé d’une même voix, prêts à tout quitter pour avoir enfin le droit d’être heureux.
L’herbe était douce et le soleil les réchauffait.
- Reposons-nous un peu, je suis fatiguée, dit Nelle en s’allongeant aux côtés de son amour.
- Oui. C’est une bonne idée. De toute façon ils ne s’apercevront pas de sitôt de notre fuite.
Ils s’endormirent blottis l’un contre l’autre.
*****
Nelle ouvrit les yeux et s’étonna de ne pas reconnaître l’endroit où elle s’était endormie. A ses côtés, Bric s’agita et s’éveilla à son tour.
- Où sommes-nous ?
- Je ne sais pas bien, mais en tout cas, c’est magnifique ! répondit Nelle en ouvrant de grands yeux.
Ils étaient dans une grande prairie fleurie où d’autres couples se promenaient, les yeux dans les yeux, sans se soucier de leurs voisins, le sourire aux lèvres et le rouge aux joues. Et parmi ces couples ils en virent qui ne semblaient pas traditionnels, tout comme eux, d’autres victimes de la bêtise de la société qui veut ranger chaque individu dans une case, sans tenir compte de ses aspirations profondes.
Les amoureux se relevèrent et se mirent aussi à marcher dans l’immense jardin, heureux de pouvoir s’enlacer sans qu’on leur jette des regards curieux, outrés ou assassins. Ils ne savaient pas vraiment où ils étaient mais ils s’en fichaient : du plus profond de leur cœur, ils savaient qu’ici ils allaient enfin avoir le droit d’être heureux.
- C’est le paradis ! souffla Nelle qui respirait à pleins poumons l’air embaumé d’un parfum de fleurs.
- Oui, c’est le paradis, s’émerveilla Bric qui se sentait revivre.
*****
Quelque part au pied d’une tour la lune en se levant éclaira les corps sans vie d’une coccinelle et d’un lombric partis ensemble ailleurs pour vivre leur amour en paix.
FIN