Avant dernière histoire à reclasser, qui était destinée à Yseult (d'où la fin...
)
Les personnages de la série ne m’appartiennent pas. Ils sont la propriété exclusive de: Hubert Besson, Georges Desmouceaux, Bénédicte Achard, Magaly Richard-Serrano & Olivier Szulzynger. Je ne tire aucun bénéfice de leur mise en situation dans cette fiction.
Je ne peux plus dire je t’aime
- Alors on en est là ?
- A qui la faute ?
La voix n’était même plus coléreuse, juste triste, résignée et Florian comprit que c’était sans appel : Thomas le rejetait définitivement.
Je ne peux plus dire je t´aime
Ne me demande pas pourquoi
Toi et moi ne sommes plus les mêmes.
Pourquoi l´amour vient et s´en va
Si dure que soit la solitude
Elle te ramène à ton destin
La loi du grand amour est rude
Pour qui s´est trompé de chemin
Comment en étaient-ils arrivés là ? Trois ans plus tôt, lorsque, pour la première fois, il s’était abandonné dans les bras de son barman, il avait eu l’impression de s’éveiller d’un long, trop long sommeil. Durant plus de trente ans il avait fait semblant : semblant d’aimer, semblant d’être un bon époux, semblant d’être celui que ses parents attendaient qu’il soit, semblant de présenter l’image qui seyait à sa position sociale !
Et soudain tout avait été bouleversé : par la magie de deux yeux bleus, de cheveux blonds et d’un sourire à renverser les montages, il avait osé arracher le masque qu’il portait depuis si longtemps. Enfin il avait été lui : Florian Estève, un homme fait de chair et de sang et pas seulement un petit juge coincé, rigide, mal dans sa peau et dans sa vie, qui refusait de s’avouer ce qu’il était vraiment.
Grâce à Thomas il avait appris à rire, à aimer, à regarder l’existence avec une légèreté qu’il ne se connaissait pas. Grâce à Thomas il était devenu plus humain, plus vivant…
Aimer un homme s’était révélé un effarement de tous les jours, mais il y avait pris goût. Certes, il se rassurait en se disant qu’il n’était pas homosexuel : seul Thomas pourrait ainsi le faire s’abandonner, lui seul pourrait jamais le toucher de cette façon intime, le faire gémir sous son assaut, le faire se tordre de plaisir, le faire oser ces gestes qu’il n’aurait pas même imaginé quelques mois plus tôt. Il était Thomasexuel, comme lui avait dit Elodie en riant…
Mais aujourd’hui Thomas se tenait face à lui et son visage s’était fermé, ses yeux ne souriaient plus, ne lançaient pas d’éclairs, n’exprimait rien que la froideur tandis qu’il ouvrait la porte de ce qui avait été leur petit nid d’amour.
Je ne peux plus dire je t´aime
Sans donner ma langue à couper
Trop de serpents sous les caresses
Trop d´amour à couteaux-tirés
Si la solitude te pèse
Quand tu viens à passer par là
Qu´un ami vienne à manquer
Tu peux toujours compter sur moi.
Il avait tout gâché ! La vie lui avait offert une magnifique chance et il n’avait pas su la saisir !
Certes il pouvait se dédouaner en arguant que Thomas avait fauté le premier. Certes leur amour n’avait pas été exempt de tumultes, de jalousies, de trahisons. Mais que vaut un amour plat dans lequel on s’ennuie ? Ils étaient encore, l’un comme l’autre, à l’âge des exaltations, des envoûtements, des coups de cœurs, des désirs brûlants. Ils étaient des hommes, avec leurs défauts qui les rendaient plus humains et les crises traversées leur avait toujours permis de se retrouver. Les draps froissés du petit matin avaient souvent été la preuve de leurs réconciliations.
Mais cette fois-ci il savait qu’il n’y aurait pas de retour en arrière : il y avait trop longtemps maintenant qu’il jouait avec le feu. Le Thomasexuel des débuts était bel et bien devenu un homosexuel, un de ceux qui collectionnaient les conquêtes d’une heure ou d’une nuit, un de ceux qu’il avait si vigoureusement condamné au début de sa liaison avec Thomas.
Thomas, son amour, son ancre, celui pour qui son cœur battait toujours : pourquoi alors l’avoir ainsi trompé, bafoué, humilié ? Pourquoi lui avoir imposé ces nuits sans lui, ces affronts répétés ? Pourquoi lui avoir fait tant de mal ?
Quel démon s’était saisi de lui ? Quelle perversion l’avait poussé de bras en bras, de draps en draps, se réveillant auprès d’un presqu’inconnu avec au fond de lui ce dégoût qui grandissait ? Fallait-il qu’il fasse sa crise d’adolescence, lui qui n’en avait pas connu, à l’aube de ses quarante ans ?
Il savait que les mots seraient vains, qu’aucune excuse ne serait à la hauteur de sa déchéance. Rien de ce qu’il pourrait dire ou faire maintenant ne lui rendrait l’amour de Thomas.
Je ne peux plus dire je t´aime.
Ne me demande pas pourquoi
Je ne ressens ni joie, ni peine
Quand tes yeux se posent sur moi
Si la solitude te pèse
Quand le destin te mène ici
Et qu´un ami t´a oublié
Tu peux toujours compter sur moi.
Amis, bien sûr…
Qui aurait dit combien il était cruel ce mot que tant de personnes disent avec tendresse et joie, dans lequel on trouve tellement de réconfort les jours difficiles ?
Ami ! C’est l’un des plus beaux mots qui soit, l’un de ceux qu’on aime à dire avec dans la voix un soupçon d’émerveillement, d’attachement, d’indulgence. C’est si doux de savoir qu’on a un ami, quelqu’un sur qui on pourra toujours compter, quelqu’un qu’on a choisi et qui nous a choisi en dehors de toute attirance sexuelle, quelqu’un qui nous accompagnera, où qu’on aille, qui saura nous remettre dans le droit chemin quand le besoin s’en fera sentir, qui saura nous encourager quand il faudra, qui saura nous consoler lorsque le chagrin nous atteindra ?
Ami ! C’est l’un des mots les plus difficiles qui soit quand vous lui préfèreriez amant, amour, tous ces mots qui parlent des élans du cœur et du corps, qui embrasent vos sens et peuplent vos nuits, vous donnent la fièvre et mêlent plaisir et douleur dans la même volupté.
Ami quand vous pensez amour, amant ? Le mot devient alors tiède et cruel. Comment être un bon ami quand on voudrait bien plus que cela ? Comment se réjouir du bonheur de celui quand on voudrait tant le partager avec lui intimement ? Comment accepter qu’il soit heureux avec un autre, de faire bonne figure à celui-ci quand vous le détestez de toute votre âme pour vous avoir volé celui sans qui vous n’êtes rien ?
Amis… La rupture était consommée : Thomas venait de le rejeter loin de sa vie, loin de son cœur.
Je ne peux plus dire je t´aime.
Ne me demande pas pourquoi...
Florian saisit son bagage, jeta un regard autour de lui et partit, le dos voûté, déjà vieux, sans espoir, sans projets, sans avenir…
Thomas le regarda partir, figé, puis se laissa tomber dans le canapé, ce canapé qui avait si souvent abrité leurs ébats. Avait-il fait le bon choix ? Aurait-il dû laisser une autre chance, une de plus, à Florian ? Pouvait-il encore supporter ses mensonges, ses tromperies, ses coucheries ? N’aurait-il pas pu trouver en lui la force de s’accrocher encore un peu en espérant que Florian redeviendrait l’homme un peu trop sage dont il était tombé éperdument amoureux ? Mais il est un moment où il faut savoir couper une branche pourrie : à force de compromis leur amour s’étiolerait et ils en viendraient à se détester. Cela il ne le voulait à aucun prix.
En tranchant ainsi dans le vif, en s’éloignant de celui qui avait fait de sa vie un enfer après l’avoir mené au paradis, il sauverait peut-être ce qui pouvait encore l’être. Et si pour le moment sa raison lui dictait sa conduite, il savait que tôt ou tard son cœur se ferait entendre.
Alors ce jour-là, peut-être qu’ils auraient une nouvelle chance.
FIN
Chanson de Patrick Bruel