Toujours en plein reclassement: voici une songfic écrite l'an passé pour Ozias.
Les personnages de la série ne m’appartiennent pas. Ils sont la propriété exclusive de : Russel T Davies. Je ne tire aucun bénéfice de leur mise en situation dans cette fiction.
Qui
Ianto Jones finit de remplir les tasses et les posa sur le plateau pour les amener dans le bureau de son supérieur. Il anticipait déjà le sourire ravi de celui-ci lorsqu’il lui apporterait le nectar dont il se délectait et que lui seul savait lui préparer exactement comme il l’aimait. C’était sans doute la première chose qui avait amené le leader à lever les yeux sur lui. « Quand on veut attirer un homme, on commence par viser l’estomac ! » : il rit doucement en se remémorant ce vieux dicton qu’il avait entendu sa grand-mère dispenser sans réserve à ses petites filles. Bien évidemment, elle ne s’était jamais adressée à lui avec les mêmes mots, mais ils n’étaient pas tombés dans l’oreille d’un sourd.
Pourtant, s’il devait être absolument honnête avec lui-même, Ianto savait très bien qu’il n’avait rien fait pour séduire l’immortel. A l’époque son cœur et sa tête étaient bien trop pleins de Lisa. Mais aujourd’hui, il était piégé et, tandis qu’il emportait les deux tasses et les viennoiseries pour prendre son petit déjeuner avec l’homme qu’il aimait, son cœur se serra en pensant qu’un jour, forcément, un autre ferait ses gestes à sa place.
Qui frôlera tes lèvres
Et vibrant de fièvre
Surprenant ton corps
Deviendra ton maître
En y faisant naître
Un nouveau bien-être
Un autre bonheur?
Le sourire de Jack était exactement celui qu’il attendait : un sourire ravi et gourmand dans lequel il ne parvenait pas à déceler la part d’envie due au breuvage qu’il lui apportait et celle due à sa propre présence.
Si on lui avait dit qu’un jour il y aurait ce lien entre eux, il aurait sans doute bien ri. Certes, dès la première rencontre il s’était senti attiré par cet homme, lui qui depuis longtemps refusait de s’avouer que son amour des femmes n’était pas exclusif et qui s’était peut-être tellement accroché à Lisa en partie à cause de cela : tant qu’il se persuadait être épris d’elle, c’est qu’il n’était pas gay n’est-ce pas ?
Lisa justement : ce qu’il avait fait pour la sauver était impardonnable et pour cela le capitaine Harkness aurait dû le renvoyer, voire l’emprisonner pour haute-trahison. Pourtant il lui avait donné une seconde chance.
Et cette seconde chance était devenue leur chance à tous les deux en leur permettant de vivre cet amour dont il savourait chaque seconde avec toujours ce lancinant regret au cœur.
Qui prendra la relève
Pour combler tes rêves
Et sans un remords
D'un éclat de rire
Saura te conduire
À mieux me détruire
Au fond de ton cœur?
- A quoi penses-tu cariad ? Je n’aime pas quand tu es si sérieux.
Le capitaine s’approchait de lui pour l’enlacer et, corps à corps, il sentait son cœur battre à l’unisson du sien, s’enivrait de son odeur incomparable, se rassurait dans l’étreinte de ses bras.
Il ne pouvait pas lui faire part de son tourment, il ne pouvait pas lui rappeler qu’un jour il devrait poursuivre sa route seul pendant un moment en tout cas.
D’un autre côté, Jack était un homme aux appétits exigeants : combien de temps laisserait-il passer avant de le remplacer ? Attendrait-il même qu’il soit dans la tombe ? Ne se lasserait-il pas de lui bientôt ?
De toute façon, un jour ce ne serait plus lui qui serait dans ses bras.
Qui peut être cet autre
Qui sera cet intrus ?
Dans tout ce qui fut nôtre
Quand je ne serai plus?
- J’aimerais arrêter le temps, murmura Ianto en se blottissant dans les bras aimés.
Arrêter le temps juste à cet instant, pour vivre l’éternité ensemble, cette éternité qui n’appartenait qu’à Jack et dont il serait exclu.
Y aurait-il un jour un autre homme capable, comme lui, de savoir quand l’immortel cachait sa souffrance, de trouver les mots pour le faire exprimer celle-ci puis ceux pour le réconforter, le consoler ? Y aurait-il quelqu’un d’autre qui saurait poser les gestes, les effleurements, les baisers qui le faisait chavirer de plaisir ? Y aurait-il un autre être qui bientôt se nicherait ainsi contre lui avec les mêmes tourments au cœur ?
Qui prendra ta faiblesse
Avec des caresses
Et des mots d'amour
En couvrant d'oubli
Nos jours de folies?
Qui prendra ta vie
Au bout de mes jours?
Peut-être qu’il aurait dû simplement refuser de se lancer dans cette histoire. Peut-être qu’il aurait dû écouter la raison plutôt que son cœur et ses sens.
Mais non… Il préférait souffrir un jour d’avoir vécu cet amour que de ne l’avoir pas vécu, parce qu’il savait désormais que Lisa n’avait été qu’une chimère : son âme sœur c’était Jack et pour lui il aurait décroché la lune ou serait allé affronter les feux de l’enfer.
- Qu’est-ce qui t’inquiète ? murmura Jack en venant picorer ses lèvres de doux baisers.
- Pourquoi crois-tu que je sois inquiet ?
- Parce que je te connais cariad… Je sais tout de toi et de ce que tu ressens.
Tant d’amour ! Tant d’amour qui allait se consumer à l’usure du temps ! Même si le capitaine restait à ses côtés lorsqu’il ne serait plus capable de le satisfaire, il arriverait forcément le jour où leurs mains se détacheraient.
Nous vivons à des vies d'écart*
Notre amour est démesuré
Et j'ai le cœur au désespoir
Pour ces années
Car lorsque mes yeux seront clos
D'autres yeux vont te contempler
Aussi je lutte avec ce mot
De ma pensée
C’était égoïste et Ianto le savait. Ils avaient déjà parlé de cette échéance qui, avec leurs occupations, pouvait être bien plus proche qu’ils ne l’envisageaient. C’était l’immortel qui, avec un visage crispé, avait détourné la conversation. Le Gallois avait alors compris que c’était sans doute encore plus douloureux pour lui d’imaginer qu’un jour il perdrait son compagnon et il n’avait plus reparlé de cela, ne voulant pas ajouter à ce tourment qui le hantait.
Lorsqu’il y pensait, il imaginait combien Jack devait parfois considérer son immortalité comme un fardeau : perdre tous ceux que l’on aime, ses amis, ses compagnons de combat, ses amants… Savoir que, quoi qu’il se passe, on survivra même à ses propres enfants ou petits enfants… Il n’avait qu’à se souvenir des transes qu’il traversait chaque fois que le capitaine était tué, de cette douleur qui lui broyait le cœur jusqu’au moment où les yeux bleus s’ouvraient de nouveau et où retentissait la voix tant aimée.
Lui, lorsqu’il tomberait, demain ou dans des décennies, il ne reviendrait pas et la douleur ne cesserait jamais pour celui qu’il aimait. Ou bien, cesserait-elle plus tôt qu’il ne le pensait ?
Qui sans que tu protestes
Refera les gestes
Qui ne sont qu'à nous
Lorsque je t'embrasse
Lorsque je t'enlace
Qui prendra ma place
Autour de ton cou?
Après tout, ne se leurrait-il pas sur l’intensité du sentiment qui les liait ? De siècle en siècle et d’univers en univers, Jack avait collectionné les aventures, il avait même été marié.
Mais il ne parlait jamais de ceux qui l’avaient précédé dans son lit ou dans son cœur : était-ce le signe qu’il les avait oubliés ou simplement de l’auto-préservation ?
L’amour n’est pas la possession, se répétait le Gallois lorsqu’il sentait ce sentiment stupide de jalousie s’insinuer en lui à l’idée que quelqu’un un jour prendrait sa place. Il aimait tant Jack qu’il souhaitait qu’il ne reste pas seul dans sa longue éternité, et pourtant il ne pouvait s’empêcher de ressentir ce vilain petit pincement au cœur en imaginant qu’un autre le pousserait aux portes du néant.
Qui connaîtra tes scènes
De folie soudaine
Ou bien de courroux?
Qui aura la chance
D'avoir ta présence
Souvent quand j'y pense
Je deviens jaloux
Pouvait-il décemment espérer que son compagnon le pleure pour l’éternité ? Pouvait-il, s’il l’aimait autant qu’il le disait, le vouer à cette vie de solitude et de chagrin ?
Bien sûr qu’il devrait l’encourager à refaire sa vie. De toute façon, à l’aune du temps, leur amour n’aurait duré qu’une fraction de seconde, juste une étincelle aussi vite éteinte qu’allumée. Dans cent ans, mille ans, dix mille ans, la mémoire de Jack aurait emmagasiné tellement d’informations qu’il ne serait plus qu’une parcelle infinitésimale qui reviendrait peut-être parfois le hanter vaguement comme une impression floue qu’on ne parvient pas à saisir et qu’on finit par repousser en s’agaçant un peu de ne savoir pas de quoi il s’agit.
Et lorsque cela arriverait, il voulait qu’il y ait auprès de Jack quelqu’un qui passe sa main sur son visage, qui vienne prendre ses lèvres d’un baiser et qui se donne à lui pour qu’il sache qu’il n’était pas seul. Il le voulait et pourtant…
Qui? Nul ne peut le dire
Qui? Nous n'en savons rien
Et mon cœur se déchire
En pensant que quelqu'un
Te prendra un je t'aime
Et par ce je t'aime
Je le sais déjà
Il prendra ta bouche
Il prendra ta couche
Et m'enterrera
Pour la seconde fois
- Ianto ?
Il leva les yeux vers son amant, lui sourit, tentant de dissiper les pensées qui l’obsédaient depuis quelques jours. Peut-être parce que cette affaire était tellement difficile, parce que de jeunes vies étaient en danger, des vies qu’il voulait sauver.
- Ce n’est rien Jack… Je me disais simplement que…
- Que…
- Un jour… un jour je ne serai plus là.
Il sentit le leader se crisper à ses mots tandis que ses bras se refermaient plus étroitement autour de lui, presque douloureusement, comme si Jack essayait ainsi de le protéger de tout et surtout de la mort.
- Ne parle pas de cela… Je ne peux pas imaginer la vie sans toi, balbutia-t-il.
- Pourtant un jour…
- Nous avons le temps, coupa Jack. Je ne veux pas en parler. Je ne peux même pas imaginer qu’un jour tu me quitteras. Tu es mon ancre Ianto ! Sans toi je ne suis plus rien ! Je veux passer ma vie à tes côtés !
- Tu veux dire : je veux passer TA vie à mes côtés, tenta de plaisanter le Gallois.
- Non ! MA vie ! Tu seras toujours dans mon cœur Ianto ! Après toi il ne pourra plus y avoir personne !
- Jack…
C’était le moment de lui dire qu’il ne voulait surtout pas qu’il reste seul, qu’il devait trouver un nouveau compagnon ou une nouvelle compagne, quelqu’un pour prendre soin de lui, le rassurer, le consoler, quelqu’un qui l’aimerait autant que lui l’aimait.
C’était le moment, mais Ianto n’arrivait pas à dire les mots.
Bien sûr c’était égoïste.
Mais qui a dit que l’amour est altruiste ?
FIN
*Paroles originales : Nous vivons à vingt ans d'écart
Chanson de Charles Aznavour