Les personnages de la série ne m’appartiennent pas. Ils sont la propriété exclusive de : Robin Green et Mitchell Burgess. Je ne tire aucun bénéfice de leur mise en situation dans cette fiction.
Songfic inspirée de l’épisode 208 : Thanksgiving. Pour ceux qui ne connaissent pas la série: Henry Reagan est le patriarche de la famille, ancien chef de la police, père de Franck (qu'il appelle Francis) qui occupe aujourd'hui ce poste. Dans l'épisode 8 de la saison 2, il est victime d'une crise cardiaque alors qu'il prépare le dîner de Thanksgiving avec sa belle-fille, Linda, l'épouse de Danny, le fils aîné de la famille. Après avoir subi une angioplastie (je crois), il veut partager avec sa famille le repas de Thanksgiving mais son fils lui dit qu'il doit rester à l'hôpital et quelques heures plus tard, il vient le chercher soi disant pour aller manger à la cafétéria mais en fait il l'emmène dans une salle où une table a été mise et où l'attend toute la famille.
Voici ce que pourraient être les pensées d'Henry à ce moment précis.
Thanksgiving
Franck l’avait contraint à prendre place dans ce fauteuil et Henry n’avait eu d’autre choix que d’accepter : il est des fois où les parents s’inclinent devant la volonté de leurs enfants. Bien sûr ce ne serait pas un Thanksgiving comme les autres mais au moins il était encore là et il pouvait espérer qu’il y en aurait d’autres, c’était bien plus que la perspective qu’il avait quelques heures avant.
Un sandwich à la cafétéria de l’hôpital ce serait toujours mieux que les pissenlits par la racine, pensait-il tandis que son fils le roulait à travers le long couloir. Et puis soudain, sans qu’il y pense vraiment, les mots étaient nés dans sa tête, ces mots qu’un jour il pourrait peut-être dire à sa famille.
Pour le bonheur de ceux que j´aime
Et qui sont là dans la maison
J´ai trouvé les mots d´un poème
Et composé cette chanson.
La surprise avait été totale. Il pensait se contentait d’un quelconque succédané de dinde, caoutchouteux et sans goût, en tête à tête avec son fils et il allait avoir ce repas de Thanksgiving supplémentaire. Il n’en aurait décidément manqué aucun, ou plutôt, comme venait de le lui rappeler Franck, il n’en aurait manqué que deux ! Deux sur tellement d’années, ça ne comptait pas n’est-ce pas ?
Ils étaient tous là, ceux qu’il aimaient, et tandis qu’il recevait sur son vieux cœur malade qui soudain se remit à battre comme s’il avait encore vingt ans, ses arrières petits enfants, il entendait la chanson dans sa tête.
Puisque ce soir ils sont ensemble
Pour me fêter à leur façon
C´est que l´amour qui nous rassemble
Est bien plus fort que la raison.
La table était mise, une grande tablée pour sa tribu. La dinde était rôtie à point et embaumait l’atmosphère au point qu’il se demanda un instant comment il avait pu ne pas la sentir plus tôt au milieu des effluves d’antiseptiques. Peut-être que son attaque avait amoindri son sens olfactif…
Mais non, ce n’était pas possible : il la sentait cette odeur de graisse sans pareille, de dorure juste à point… C’était juste que ses sens n’étaient plus aussi affûtés qu’avant mais peu importait. Il lui en restait assez pour ressentir le bonheur ineffable de ce moment particulier.
Merci d´être resté fidèles
À cette image d´autrefois
Qui m´a fait déployer mes ailes
Ce soir pour la seconde fois.
Bien sûr ils allaient le couver, regarder ce qu’il mangeait, l’obliger à avaler ses médicaments, surveiller qu’il n’en fasse pas trop mais pas trop peu non plus… Il subodorait déjà les disputes avec Franck et avec Linda… Linda… Il y avait eu Betty, puis Mary et maintenant il y avait Linda, sa petite-fille de cœur, celle qui avait repris le flambeau des femmes Reagan, fait de lui un arrière grand-père à deux autres reprises et qui se montrait digne des valeurs qu’avaient défendues avant elle son épouse et sa belle fille.
Sans Linda, sans doute ne serait-il pas là, fêté par sa famille. Ou plutôt, il aurait bien été là, au milieu d’eux, mais dans des circonstances beaucoup moins joyeuses pour eux. Il était conscient que si Linda n’avait pas été là, à ce moment précis, on aurait sans doute été en train de faire son éloge funèbre.
Merci d´exister sur la Terre
Sans vous, que serait ce caillou
Lancé pour des années-lumière
Sans âme et sans personne au bout?
Linda était un roc pour Danny mais elle avait prouvé, à maintes reprises, qu’elle était aussi la fille de la maison, au même titre qu’Erin : deux belles Irlandaises, fortes, solides et féminines à la fois, sachant tracer leur chemin, prêtes à devenir des louves pour protéger leurs enfants et ceux qu’elles aimaient. Il n’aurait pas pu choisir meilleure épouse pour l’aîné de ses petits enfants et il espérait que Jamie, un jour, rencontrerait une femme qui serait de cette trempe.
Jamie : le plus jeune, celui qu’on destinait à devenir avocat, l’orgueil de la famille, le premier accepté à Harvard. Jamie dont il n’avait jamais été aussi fier que le jour où il l’avait vu arborer l’uniforme bleu de policier. Bien sûr son vieux cœur avait déjà un peu tressauté à l’idée de ce qui pourrait lui arriver, lui si doux, semblant si désarmé dans la jungle urbaine de New York où Jo, autrement plus aguerri, avait laissé la vie. Mais pourtant, il était le seul qui, dès le départ avait non seulement accepté mais encouragé le changement de cap de son petit-fils.
Ce soir il y avait de la lumière dans les yeux de Jamie et Henry savait que c’était parce qu’il était heureux de sa vie, malgré sa rupture avec Sidney. Un flic parmi trente-cinq mille autres… Il n’était rien et pourtant il était tout.
Sa famille… Ici… Au moment où il avait tant besoin d’elle.
Ce soir, le soleil est en cage,
Ici, le bonheur est partout
C´est vous qui rendez le voyage
Plus beau plus tranquille et plus fou.
Danny arborait son air blasé, celui qui disait : « Mais moi je n’étais pas inquiet… » Et pourtant il lisait dans ses yeux la peur qu’il avait ressentie. Il lui semblait sentir encore sur son front le baiser que l’aîné de ses petits fils avait déposé avant de repartir au boulot. Oui, il savait, au plus profond de son vieux cœur usé, que Danny aurait souffert de son départ mais qu’il n’aurait rien montré pour mieux soutenir son père, son frère, sa sœur, sa nièce, ses fils et son épouse.
Parfois il aurait voulu lui dire qu’il n’avait pas à tout porter sur les épaules, que la famille pouvait tenir sans qu’il la soutienne à bout de bras mais il savait que ça n’aurait servi à rien. Danny était fait ainsi, responsable jusqu’au sacrifice de tous ceux qu’il aimait, capable de se jeter dans les flammes pour chacun d’entre eux, y compris lui, qui pourtant avait largement fait son temps sur terre.
Je peux vous offrir en échange
Le sourire que je vous dois
Quelques vers aux musiques étranges
Où chacun se reconnaîtra.
Il surprit le regard d’Erin sur lui, cligna de l’œil à son intention. Elle était belle sa petite fille, elle était forte, presque dure parfois, capable de tenir tête à son entêté frère aîné, capable de mettre à terre le plus endurci des criminels. C’était bien une Reagan ! Elle aurait sans doute fait un bon flic.
Il anticipait déjà les passes d’armes avec elle, ayant lu dans son regard que désormais elle n’allait pas le lâcher, veiller sur lui comme s’il était un enfant récalcitrant. Oui… De bons moments en perspective que celui de contrer ses attentions maternelles ou de s’arranger pour échapper à sa vigilance.
Et le souffle de la tendresse
Qui me fait frémir un instant
À l´idée de ce jour de liesse
Ce jour que j’aime tellement (1)
Ses précieux arrières petits enfants étaient autour de la table, les yeux brillants de gourmandise, ayant déjà oublié la peur ressentie, heureux d’avoir toujours leur papy à leurs côtés.
Sean et Jack, les dignes héritiers, ceux qui un jour, il en était sûr, endosseraient à leur tour la livrée bleue, symbole de service et de sacrifice. Il ne serait sans doute pas là pour les voir mais il les regarderait de là-haut, auprès de Betty, de Mary et de Jo, en espérant qu’aucun autre de ceux qui étaient autour de cette table ne serait à leurs côtés. Et il savait que ce jour-là, les garçons lèveraient leurs regards vers le ciel, l’espace d’un instant, pour leur dédier ce moment, penser à lui et à toutes les histoires dont il avait bercé leur enfance.
Et puis il y avait Nikki, sa première arrière petite fille, fière et forte comme sa mère. Grâce au ciel, elle n’avait rien pris de son père, étant le portrait craché d’Erin ! Lorsque, quelques mois plus tôt, elle leur avait fait part de sa volonté d’être la première fille Reagan à porter l’uniforme, une bouffée de joie et de fierté lui était monté au visage sachant que bientôt un nouveau Reagan porterait l’uniforme et ferait honneur à leur nom. Bien sûr elle avait le temps de changer d’avis et Erin ne ménagerait sans doute pas ses efforts pour qu’elle le fasse, mais s’il savait jauger les êtres, alors il savait que sa petite fille perdrait cette bataille-là, parce que Nikki avait l’étoffe d’un flic et le sang qui courait dans ses veines était plus bleu que rouge.
J´ai beau partager cette ivresse
Revivre tout ce temps vécu (2)
Pourquoi vous cacher ma faiblesse
Sans vous, mon cœur ne battrait plus.
Des souvenirs et un avenir… Son vieux cœur fatigué lui permettrait bien d’accumuler les uns et d’avoir encore un peu de l’autre.
Il voulait vivre d’autres moments encore auprès des siens : voir grandir les deux pirates, avoir la chance de voir Jamie obtenir son badge de détective, Danny passer capitaine, Erin devenir, qui savait ?, procureur, Nikki arborer son premier uniforme…
Et Franck… Son unique enfant, son fils bien aimé… Il l’avait jeté dans la carrière alors qu’il n’était encore qu’un bébé en couches. Les histoires qu’il lui racontait, son sens de la justice, l’amour et l’attention qu’il lui portait… tout avait poussé son fils dans cette profession exigeante et dangereuse. Betty avait eu du mal à lui pardonner le choix de leur enfant, enfin… à ce qu’elle lui avait dit. Mais il savait qu’elle n’avait jamais été dupe de la voie que choisirait Francis.
Francis… Franck… Ils n’étaient pas de ces hommes qui se congratulent, s’embrassent, se font de grands serments d’amour. Pourtant ils s’aimaient, de cet amour unique qui lie père et fils, exclusif, jaloux sans être étouffant, fait de fierté et d’indulgence, d’intransigeance et de compassion. Il avait failli le perdre à deux reprises et puis encore si récemment… C’était peut-être là qu’il fallait chercher l’origine de ce raté de son vieux cœur : il avait enterré un petit fils, il ne survivrait pas à la perte d’un fils. Il ne pourrait pas rester seul dans la grande maison où Franck et Mary l’avaient accueilli à la mort de Betty.
Son fils… ses petits enfants… ses arrières petits enfants… Toute une vie à vivre encore.
Je voudrais vieillir de la sorte
En amour et en amitié
Sans jamais refermer la porte
De mon cœur où vous êtes entrés
Aujourd’hui ça avait été très proche, trop proche peut-être et il lisait cela dans les yeux des adultes et de Nikki. Les petit garçons, eux, étaient simplement heureux de ce repas en famille, d’avoir toujours leur arrière grand père au bout de la table et ils oublieraient vite l’alerte.
Combien de temps encore avant que la vieille mécanique ne s’arrête pour de bon ? Certes, à cet instant précis, il avait l’impression de renaître et d’avoir retrouvé ses artères de vingt ans : l’amour qui l’entourait était meilleur qu’un bain de jouvence. Par la magie de leur jeunesse, il retrouvait un peu la sienne.
En ouvrant tout grand les fenêtres
Et mon âme à la volupté
De sentir chaque jour renaître
En sachant que vous existez.
Il avait dit les grâces d’une voix empreinte de ferveur et de reconnaissance. Il avait encore un jour pour les aimer, un jour pour profiter de leur présence. Et après ce jour il y en aurait un autre et encore un autre… Il espérait être là au Thanksgiving suivant, et au suivant encore…
Et lorsque sa place serait vide, lorsqu’il aurait rejoint son épouse bien aimée, sa belle-fille tant regrettée, son petit-fils adoré, il savait qu’il y en aurait toujours un pour rappeler que ce jour, parmi tous, était le préféré de leur père, grand-père, arrière grand-père.
Ce jour parmi tous… Ce jour pour rendre grâce… Ce jour pour remercier…
Il remercia d’être là, devant ce repas qu’ils allaient partager une fois de plus, il remercia d’être en vie, il remercia d’avoir sa famille près de lui. Chacun d’entre eux avait une place à part dans son cœur, c’était un peu par eux qu’il battait encore et qu’il battrait il l’espérait encore longtemps. Ils étaient ce qu’il avait de plus cher, ce qui le retenait en ce monde… Ils étaient un bout de ce vieux cœur qu’il sentait de nouveau battre dans sa poitrine, un peu de cet air qu’il respirait à pleins poumons, et tout de sa joie d’être en vie.
Ils étaient sa famille, sa raison d’être, sa fierté, sa victoire : eux vivants, la mort ne l’aurait jamais tout à fait parce qu’ils garderaient mémoire de lui et qu’ils la transmettraient à leur propres enfants.
Aujourd’hui Henry Reagan était heureux et il se sentait invincible.
FIN
Chanson : Quarante ans de Yves Duteil
Paroles originales :
(1) Où l´on fête mes quarante ans
(2) Avec des milliers d’inconus