Reclassement de la songfic offerte à Allis
Les personnages de la série ne m’appartiennent pas. Ils sont la propriété exclusive de : Bruno Heller. Je ne tire aucun bénéfice de leur mise en situation dans cette fiction.
La chanson de Jane
- Tu viens ? Il est tard…
Elle avait parlé d’une voix douce, cette voix qu’elle prenait lorsqu’elle le voyait comme ça, en proie à ses démons et qu’elle cherchait à lui rappeler que sa vie avait changé, que désormais il pouvait croire en l’existence et profiter de la seconde chance qui lui était offerte.
Combien de fois encore le verrait-elle ainsi, les yeux dans le vague, fixant le liquide ambré dans son verre d’un regard vide ? Combien de temps supporterait-elle ces moments où il l’ignorait totalement, perdu dans un monde dont elle n’avait toujours pas trouvé la clé, malgré tout l’amour qu’elle lui portait ?
Pourquoi ne pouvait-elle pas l’arracher à ses démons, extirper de sa mémoire les cauchemars qui l’empoisonnaient ? Pourquoi n’était-elle pas assez forte ? Pouvait-elle donner plus d’amour, plus de compréhension, être plus patiente ?
Parfois elle aurait juste voulu faire ses bagages et le laisser là, lui qui semblait se complaire dans sa misère. Parfois seulement… Parce que même si, comme à cet instant, il ne la regardait pas, elle savait qu’elle était son ancre et que sans elle il dériverait à l’infini.
Elle le regarda une dernière fois et se décida à le laisser, sachant que c’était ce qu’il y avait de mieux à faire. A travers la brume de son regard éteint, il la vit monter l’escalier et malgré la voix qui lui hurlait de lui parler, de l’accompagner, il resta là, à mirer l’ambre dans le cristal, comme si rien d’autre n’avait d’importance.
Ce soir, je bois!
Tu peux toujours éteindre la lampe
Et ta main blanche glissant sur la rampe
Monter jusqu'à ta chambre
Pour y chercher ton sommeil noir...
Moi, je reste en bas ce soir
Et je bois!
Il savait qu’il lui faisait du mal. Il savait qu’il aurait juste dû se lever, l’accompagner et oublier dans ses bras les noires pensées qui l’habitaient. Elle était la chose la plus belle qui lui soit arrivé depuis la mort de Charlotte et Angéla. Elle était ce qui lui avait redonné le goût de vivre et surtout d’aimer.
Pourquoi fallait-il qu’il risque de tout gâcher une fois de plus, juste parce qu’il n’était pas capable de tenir parole ?
Oui, j'ai promis!
Oui, mais je bois quand même!
Va, je t'aime.
Va dans ta nuit...
Elle était montée seule, une fois de plus et il restait là, à regarder le feu qui se mirait à travers son verre et à repasser dans sa mémoire toutes ses erreurs, tous ses regrets, tous ses ratés, tous ses remords.
Tant de visages… Tant de visages aimés ou haïs… Tant de visages souriants ou éplorés…
Tant de gens… Tant d’âmes qui pesaient sur la sienne et l’empêchaient parfois de respirer.
Je bois...
Aux femmes qui ne m'ont pas aimé
Aux enfants que je n'ai pas eus
Mais à toi qui m'a bien voulu...
Avait-il tort de laisser le passé empoisonner son présent, risquer son avenir ? Comment se détacher des souvenirs ? Comment empêcher les voix de hurler dans sa tête ? Comment oublier tout ce qu’il avait vu, tout ce qu’il avait fait ?
Pourquoi le bonheur avait-il trop souvent un goût amer ?
Je bois...
A ces maisons que j'ai quittées
Aux amis qui m'ont fait tomber
Mais à toi qui m'as embrassé...
Mais à toi qui m'as embrassé...
Il avait longtemps cru que sa vie était terminée. Elle se résumait désormais à un ridicule smiley, un visage de sang figé sur le mur et dans sa mémoire. Sa vie ne serait plus qu’une longue traque à mort : lui ou John le Rouge ou plutôt, il l’espérait John le Rouge puis lui. Il n’envisageait pas de survivre au tueur implacable, soit qu’il soit tué, soit qu’il finisse ses jours entre les quatre murs froids d’une prison.
Il n’avait rien demandé, rien prémédité et surtout pas d’aimer de nouveau… Pourtant, Térésa était entrée dans sa vie et avait bousculé ses certitudes, entrouvert une porte qu’il pensait à jamais scellée.
Il avait lutté contre l’évidence, lutté contre ce retour d’amour qu’il n’avait pas prévu, dont il ne voulait pas. Comment s’engager sur la voie de la vie quand on cultive la mort depuis si longtemps ? Son avenir, il ne le voyait plus qu’en noir et rouge, le deuil et la haine, la mort et le sang… Et d’un coup, elle lui avait fait comprendre qu’il y avait autre chose, un autre espoir, un autre amour…
Ca avait été violent.
Ce soir-là
On sortait d'un cinéma
Il faisait mauvais temps
Dans la rue Vivienne
J'étais très élégant
J'avais ma canadienne
Toi tu avais ton manteau rouge
Et je revois ta bouche
Comme un fruit sous la pluie...
Comme un fruit sous la pluie...
Elle avait fait le premier pas… Même s’ils avaient longtemps marivaudé, même si en sa présence il se sentait redevenir humain, il n’avait pas osé. Comment lui imposer l’homme qu’il était devenu, si tant était qu’il méritât encore le nom d’homme ? Comment la laisser l’aimer pour l’abandonner lorsque sa quête s’achèverait par la mort de celui qui avait saccagé sa vie ?
Et puis il avait cédé… Cédé à ses yeux magnifiques posés sur lui, cédé à ses lèvres rouges qui s’étaient posées sur les siennes. Il l’avait laissée atteindre son cœur et il ne le regrettait pas.
Pourtant…
Ce soir, je bois!
Heureusement, je ne suis jamais ivre.
Dors... Cette nuit, je vais écrire mon livre.
Il est temps, depuis l'temps.
C'est mon roman, c'est mon histoire!
Il y a des choses qu'on n'écrit
Que lorsqu'il est très tard,
Que lorsqu'il fait bien nuit...
C’était peut-être là qu’était la clé, la rédemption, le moyen de repartir. Depuis des semaines, en cachette, il noircissait des pages, comme pour extirper enfin de lui toute cette morbidité qui l’accompagnait depuis trop longtemps. Comme pour mettre un point définitif à l’épopée désespérée qui s’était soldée par la mort de John le Rouge, cette mort qui aurait dû mettre un point final à sa propre existence.
Pourtant il était là, des mois après, dans cette maison bâtie de ses mains, abritant ce bonheur auquel il lui arrivait parfois de croire un peu…
Juste un peu…
Dors, je t'aime.
Dors dans ma vie...
Elle reposait et il écrivait, le flacon de whisky posé sur la table, déjà plus qu’à moitié entamé. Mais au fur et à mesure les mots qui s’alignaient sur le papier allégeaient son âme, lui rendaient un peu de son innocence première.
L’alcool ne serait jamais une solution, il le savait, mais il lui donnait la force de placer les mots qui le guériraient.
Je bois...
Aux lettr's que je n'ai pas écrites,
A des salauds qui les méritent
Mais je n'sais plus où ils habitent...
Sans elle il serait où maintenant ? Six pieds sous terre sans doute, ou enfermé dans une geôle dont on aurait jeté la clé, l’esprit aussi vide que le cœur, le corps n’étant plus rien qu’un vaisseau désert en train de pourrir de solitude et de néant.
Elle avait été là pour lui, même si au départ leurs relations avaient été compliquées. Elle avait toujours été là… Toujours…
Je bois...
A toutes les idées que j'ai eues.
Je bois aussi dès qu'ils m'ont eu
Mais à toi qui m'a défendu,
Mais à toi qui m'a défendu...
Elle était ce qui l’avait ramené à la lumière. Même s’il ne savait pas trouver les mots pour le lui faire comprendre, même si trop souvent elle devait penser qu’elle ne comptait pas pour lui, il savait ce qu’il lui devait.
C’était elle qui avait esquissé le premier geste, qui avait dépassé ses propres peurs pour exprimer ses sentiments. Les femmes sont tellement plus fortes que les hommes, capables d’aller seules sur les chemins les plus tortueux, capables de tordre le cou à leurs terreurs les plus profondes pour donner une chance au bonheur.
Il se souvenait de cette soirée d’été où il était entré dans ce piano bar bizarrement situé en haut d’un petit immeuble. Quelques heures plus tôt Térésa avait fait fi de sa fierté et de sa réserve pour lui avouer son amour et il n’avait rien su dire, restant figé quelques minutes avant de tourner les talons et de fuir comme s’il avait le diable à ses trousses.
Il était dans l’un de ces soirs où il voulait séduire pour se sentir vivant, où il avait besoin d’un auditoire pour se sentir moins minable. Très vite il avait attiré autour de lui un groupe de joyeux drilles et s’était mis à leur unisson jusqu’au moment où, selon ses bonnes habitudes, il avait réussi à se mettre à dos le plus costaud du groupe. Il ne se souvenait même plus de quelle manière il l’avait provoqué : il était tellement doué pour déceler la faille qui transformerait l’individu le plus urbain en hooligan décérébré !
Qui, pourquoi, comment… ? Tout ce dont il se souvenait ensuite c’était qu’elle était là, le fixant de son regard à la fois inquiet et furieux, ce regard qui lui disait qu’il ne s’en tirerait pas avec quelques bleus et bosses. Mais elle était là… Et elle était ce dont il avait besoin.
Ce jour-là,
Dans un café au quinzième,*
Tu m'avais dit: "je t'aime"
Je n'écoutais pas.
Y avait toute une équipe.
On parlait politique.
Je m'suis battu avec un type
Et tu m'as emmené
Comme un enfant blessé,
Comme un enfant blessé...
Un petit rire le souleva au souvenir de cette nuit-là, des mots qu’elle lui avait adressés et qui lui avaient fait comprendre qu’il allait la perdre s’il ne réagissait pas.
Ils s’étaient aimés pour la première fois dans la tiédeur de cette nuit d’été et son corps avait exulté comme jamais depuis bien longtemps. Il avait alors décidé de se laisser une chance d’être heureux.
Mais comme il y a loin de la coupe aux lèvres !
Je bois...
Au combat que tu as mené
Pour m'emmener loin de la fête.
Ce soir, je bois à ta défaite.
Elle avait tout essayé pour le distraire de ses obsessions, lui ôter l’idée qu’il portait malheur et que près de lui elle était en danger.
Jour après jour, avec une patience qui était pourtant bien loin de son tempérament, elle l’avait relevé, rassuré, réhabitué à la douceur, au rire, à l’espérance.
Il s’était laissé faire, avait réappris à faire confiance, à envisager l’avenir sous un jour meilleur, osé penser que, peut-être, il avait droit à sa part de bonheur.
Pourtant, des soirs comme celui-ci, il était de nouveau à deux doigts de tout gâcher.
Je bois...
Au temps passé à te maudire,
A te faire rire, à te chérir,
Au temps passé à te vieillir.
Encore quelques mots, les derniers, ceux qui clôtureraient définitivement cette vie d’avant, cette vie qui, couchée sur le papier, semblait désormais appartenir à un autre.
Je bois...
Aux femmes qui ne m'ont pas aimé,
Aux enfants que je n'ai pas eus
Mais à toi qui m'a bien voulu,
Mais à toi qui m'a bien voulu.
Un dernier point et c’était terminé. Tout était là, feuillet après feuillet. Tout était là de ses erreurs, de ses terreurs, de ses remords…
Tout était là et tout cela, désormais c’était son passé.
Patrick Jane réunit les feuillets et il le jeta au feu, les regardant se consumer un à un et se sentant libéré au fur et à mesure que son passé disparaissait sous ses yeux. Le feu purifiait tout, il allait lui rendre son innocence originelle et lui permettre de redevenir celui qu’il était avant de se croire plus malin qu’un John le Rouge, avant de provoquer le destin et de devenir cet homme sarcastique qui ne croyait plus en rien, ni en personne.
Il regarda le verre dans lequel stagnait encore un peu de whisky et il le jeta à son tour dans les flammes, souriant au brusque sursaut qui les anima : elles dévorèrent l’alcool comme elles avaient dévoré ses démons. C’était son dernier verre, sa dernière soirée seul à ressasser des idées noires.
Son avenir il était là-haut, auprès de Térésa. Auprès de cette femme qui l’avait aidé à aimer à nouveau la vie, auprès de cette femme qu’il aimait plus que tout maintenant qu’il s’autorisait à le penser, après de cette femme qui portait son enfant…
FIN
Paroles originales : un café du quinzième
Chanson de Serge Reggiani
Titre original : La chanson de Paul