Reclassement d'une fiction pour ma chère Aragone... C'est particulièrement gai
Les personnages de la série ne m’appartiennent pas. Ils sont la propriété exclusive de : Russel T Davies. Je ne tire aucun bénéfice de leur mise en situation dans cette fiction.
Le dernier rendez-vous
Ils étaient seuls dans cette pièce et Ianto savait que c’était le bout de sa route. Lui n’était pas immortel et le gaz qui s’échappait sans répit allait bientôt mettre un point final à son histoire. Il s’était souvent demandé comment il se comporterait lorsque ce moment viendrait, s’il aurait peur, s’il supplierait ou si simplement il se résignerait.
En fait c’était un peu de tout cela… Mais sa plus grande peur, c’était de laisser derrière lui cet homme qu’il aimait plus que tout, plus qu’il n’aurait jamais cru pouvoir aimer, un homme surtout. Il y avait encore tant de choses qu’ils ne s’étaient pas dites, tant de choses qu’ils n’avaient pas faites.
Ils avaient cru avoir le temps.
Mon seul amour, embrasse-moi.
Si la mort me veut avant toi,
Je bénis Dieu ; tu m'as aimé* !
Ce doux hymen eut peu d'instants :
Tu vois ; les fleurs n'ont qu'un printemps,
Et la rose meurt embaumée.
Mais quand, sous tes pieds, renfermé*,
Tu viendras me parler tout bas,
Crains-tu que je n'entende pas ?
Crains-tu que je n'entende pas ?
Personne ne pouvait entendre ce qu’ils se chuchotaient dans cette étreinte désespérée. C’était leur moment de vérité, celui ou personne ne ment parce qu’on n’en a plus le temps, celui ou les faux-semblants n’ont pas leur place, ou la pudeur n’a pas ses droits.
Tout ce qu’il n’avait pas osé lui dire de peur de le voir partir loin de lui, effrayé de cet amour qui touchait à la dévotion, il pouvait maintenant le laisser échapper en flots de mots ininterrompus. Parler avant que la mort ne vous prenne. Parler avant que plus rien n’ait de sens.
Parler… Le rassurer… Tenter de lui faire comprendre qu’il serait toujours là, en lui, à jamais.
Je t'entendrai, mon seul amour !
Triste dans mon dernier séjour,
Si le courage t'abandonne ;
Et la nuit, sans te commander,
J'irai doucement te gronder,
Puis te dire : "Dieu nous pardonne !"
Et, d'une voix que le ciel donne,
Je te peindrai les cieux tout bas :
Crains-tu de ne m'entendre pas ?
Crains-tu de ne m'entendre pas ?
Y avait-il quelque chose dans ce ciel infini ? Au-delà de ces autres galaxies, de ces autres mondes que Jack avait pu voir, y avait-il un être qui commandait tout, un être qui avait écrit que, pour lui, la route s’arrêterait ici et maintenant ? Il voulait le croire. Il voulait croire que tout était possible, que tout était réversible.
Il voulait croire qu’un jour ils se retrouveraient parce qu’un amour tel que le leur ne devait pas se disperser dans les limbes du temps et de l’espace.
Il voulait croire qu’il serait là, jour après jour, à guider les pas de son amour, à l’aider à surmonter sa peine.
Il savait pourquoi Jack avait mis tant de temps à accepter leur relation, pourquoi il ne lui avait jamais dit les trois mots qu’il avait si longtemps espéré avant de se résigner. Pour l’Immortel, avouer son amour c’était enlacer la souffrance qui forcément le prendrait lorsque le moment serait venu pour son compagnon de quitter une vie que lui, malgré tous ses désirs, ne pourrait jamais laisser derrière lui, quoi qu’il puisse lui en coûter.
Ianto ne pouvait pas imaginer la somme de douleurs, d’adieux, de déchirures qu’il avait endurée et qu’il endurerait encore tout au long de cette vie éternelle. Même si cela pouvait passer pour de l’égoïsme, il priait pour qu’un jour Jack soit délivré de cette malédiction que d’aucuns auraient sans doute pris pour une bénédiction, confis qu’ils étaient dans leur égocentrisme leur faisant penser que, sans eux, la Terre ne serait plus la même. Mais être seul éternel c’est être condamné à voir périr tous ceux auxquels on tient, tôt ou tard, et cela, le Gallois ne le souhaitait à personne, pas même à ses ennemis. Alors à son amour…
J'irai seul*, en quittant tes yeux,
T'attendre à la porte des Cieux,
Et prier pour ta délivrance.
Oh ! dussé-je y rester longtemps,
Je veux y couler mes instants
À t'adoucir quelque souffrance ;
Puis un jour, avec l'Espérance,
Je viendrai délier tes pas ;
Crains-tu que je ne vienne pas ?
Crains-tu que je ne vienne pas ?
Combien de semaines, de mois, d’années, de siècles passeraient ? Il ne pouvait pas, et peut-être ne voulait-il pas le savoir. Mais ce qu’il voulait, au plus profond de lui, c’était croire qu’un jour l’éternité de Jack prendrait fin, d’une manière ou d’une autre et que ce jour-là ils se retrouveraient.
A ce dernier instant, il voulait penser qu’un jour, auréolé de cette blanche lumière que l’on décrit lors du passage vers l’au-delà, Jack lui apparaîtrait, tendrait la main vers lui et qu’ils auraient ensuite toute leur mort pour s’aimer au-delà des tabous, des dangers et des chagrins.
Il voulait croire que, lorsque le capitaine quitterait ce monde, pour une minute ou pour quelques jours, comme cela lui était déjà arrivé, comme cela lui arriverait encore, alors ils auraient du temps pour se retrouver : quelques secondes, quelques heures… Juste le temps de se parler, juste le temps pour lui de le consoler, de lui dire qu’il était là, fidèle et qu’il ne l’oubliait pas.
Il voulait croire qu’il y avait un pont entre la vie et la mort.
Je viendrai, car tu dois mourir,
Sans être las de me chérir ;
Et comme deux ramiers fidèles,
Séparés par de sombres jours,
Pour monter où l'on vit toujours,
Nous entrelacerons nos ailes !
Là, nos heures sont éternelles :
Quand Dieu nous l'a promis tout bas,
Crois-tu que je n'écoutais pas ?
Crois-tu que je n'écoutais pas ?
Jack pleurait maintenant en se gorgeant de ces derniers mots, de ce dernier souffle. Il aurait voulu à son tour lui dire tant de chose qu’il n’aurait pas le temps de formuler. Il voulait n’avoir aucun regret et savait qu’il en aurait, forcément… Parce qu’il n’avait pas su vivre cette histoire autant qu’il l’aurait pu, autant qu’il l’aurait dû. Parce qu’il avait refusé de se laisser aller, pensant garder ainsi la souffrance à l’écart.
Mais à cet instant précis, au moment de l’adieu, tous les mots de son amour lui revenaient en mémoire : il aurait pu réciter chacune de ses phrases, répéter chacun de ses reproches, formuler chacune de ses déclarations.
Crois-tu que je n'écoutais pas ?
Crois-tu que je n'écoutais pas ?
- Je t’aime Ianto… Je t’aime… Ne me laisse pas.
Les yeux bleus étaient déjà emplis d’ombre mais toujours fixés sur lui avec ce mélange d’adoration, de tristesse et de remords. Les lèvres ne pouvaient désormais plus laisser échapper les mots : tout juste parvenaient-elles encore à exhaler un dernier souffle.
Et soudain, il lut cette dernière prière, celle qu’il pouvait exhausser sans difficulté.
Mon seul amour, embrasse-moi.
Mon seul amour, embrasse-moi.
Embrasse-moi...
Lorsque leurs lèvres se désunirent, Ianto était parti et Jack se coucha près de lui, enveloppant son corps du sien. Juste avant de fermer les yeux à son tour, il pria pour ne plus jamais se réveiller.
Quelque part, dans l’éternité, leurs deux âmes se présentèrent ensemble à la porte des cieux, enlacées comme l’étaient leurs corps et rien ni personne n’arriverait jamais à les séparer.
FIN
Chanson de Pascal Obispo