Jarlath Toomey ϟ Inside - Jarlath/Jordan - PG13

Ce chat n'existe pas… ce chat n'existe pas…

Durant toute son enfance, c'est ce qu'il s'est répété. Encore et encore, comme si cela pouvait suffire à le faire disparaître : “non, ce chat n'existe pas.”Toujours cette même phrase, avec ce doute. Qui persiste, s'insinue. Dans l'espoir naïf d'enfin réussir à s'en persuader. Ce chat qui va et qui vient, qui traverse les murs et qui se promène librement entre les frontières du monde. Vaporeux. Immatériel. Ce chat qu'il est le seul à voir et à entendre miauler depuis qu'il a l'âge de sept ans mais qui de toute façon, n'existe pas. C'est un fait.

D'ailleurs, beaucoup l'ont pris pour un cinglé et pas la peine d'être un grand sorcier pour le deviner.

Pourtant, il n'a rien inventé. Ce chat miaule à la mort lorsque quelque chose ne va pas ou qu'un danger imminent le guette. Il ne l'imagine pas. C'est réel. Il le sait, puisque cet animal au regard perçant lui à déjà sauvé la vie à deux reprises. Et si du temps de son vivant il ne trouvait pas d'explication rationnelle capable d'expliquer ce phénomène, aujourd'hui, il s'emploie tout du moins à lui donner un sens. Parce-qu'il est devenu son seul moyen de communication avec Jordan, son seul rempart contre le néant de la mort. Parce-qu'au travers de ses apparitions, c'est désormais cet homme qu'il aimait qui reprend forme. Alors il lui parle. Et quand il s'abandonne à d'autres bras, au gré de corps-à-corps ne renforçant que l'injustice de son absence, c'est toujours ce dernier qui lui tend la main. Une main qu'il attrape et sert si fort que ses propres phalanges pourraient se briser.

Ou alors, tout ça, toutes ces conversations, cette relation qu'ils entretiennent, cet amour qu'ils continuent de nourrir et d'alimenter, n'est plus que le fruit de son imagination débridée. Même s'il ne démord pas qu'un de ces jours, il le ramènera à la vie grâce à la magie. Faisant de ce leitmotiv sa raison d'exister.

Loin de ses préoccupations d'enfant. Jordan occupant chacune de ses pensées, comme s'il ne respirait plus qu'à travers lui. Jordan, ou ce fantôme le poursuivant où qu'il aille. Quoi qu'il fasse. Jordan. Rien que Jordan. Sur la tombe duquel il passe des heures. Assis ou allongé. Une tombe qu'il a creusé de ses mains, pour le mettre en terre. Quelque part dans le parc forestier entourant Cork.

En même temps, comment lui reprocher de perdre les pédales ?

Fils d'une cartomancienne, il a grandi au milieu des arts divinatoires. Évoluant dans une atmosphère des plus mystérieuses. Pour ne pas dire angoissante. Sa mère lui répétant du soir au matin qu'il avait un don et que c'était faire offense aux esprits éclaireurs que de ne pas en assumer les responsabilités. Mais s'il avait pu choisir, il aurait préféré avoir des amis plutôt que de prétendus pouvoirs psychiques lui pourrissant l'existence. Ses petits camarades d'école se moquant de lui quand il leur parlait de son chat et de ce qui se passait à la maison. Entre les murs fissurés du foyer familial « Maman tire les cartes, elles reçoit des gens qui la payent pour qu'elle leur prédise leur avenir.» Quoi de mieux pour passer pour une espèce d'illuminé débarquant d'une autre planète et devenir par extension, un objet de curiosité pour les autres. Une curiosité malsaine. Bien sûr, il aurait pu s'en ficher, les ignorer, seulement, il n'était qu'un petit garçon qui ne voulait pas être seul.

Néanmoins, ce fut bien la solitude qui rythma ses journées et qui fit de lui cet homme un peu particulier. Fuyant le monde. Aussi paradoxal que cela puisse paraître pour un ancien flic. Un bon flic. Ne se confiant que très peu, sauf à Jordan. Secret et réservé, sauf dans leur intimité. N'aimant pas s'afficher, appliquant la loi du silence avec force et violence. Une violence qui l'habite et qu'il ne cherche plus à réfréner. Tapant, cognant, déchargeant ses colères sur un sac de frappe. Douloureux. Brisé. Usant et abusant d'une pudeur excessive n'ayant que pour seul but de le protéger. Ni stupide ni brillant. Souriant. Avant, durant ces jours heureux où Jordan soulevait en lui toutes sortes d'émotions. La passion. La peur de le perdre. L'envie de lui appartenir corps et âme, de ne former plus qu'un avec lui. L'impatience. L'amusement et l'impression de mourir à chaque fois qu'ils se quittaient.

De sociable, il ne reste plus rien en lui. Il n'aime rien, il n'aime plus personne. Ses journées n'étant plus vouées qu'à le ramener et ses nuits vide d'ennui. Autrefois éveillé, curieux et ouvert, son esprit se détachait souvent de son corps, ce qui occasionnait d'étranges pertes de conscience qui ressemblaient à de simples absences vu de l'extérieur. Timide, réservé, il ne se rappelle pas non plus avoir été très tactile. En dehors de Jordan. Quitte à planquer ses mains dans ses poches ou à tirer sur ses manches pour les occuper.

C'est là normalement, qu'il aurait dû se répéter encore une fois que ce chat n'existe pas…

Longtemps, il n'a pas cru en tout ça. Ou pas ouvertement. Il en a soupiré, souvent et beaucoup. Des soupirs de dépit. Se rassurant comme il pouvait. Sujet à la panique, et aux cauchemars. Qu'importe les raisons à présent. Le divorce de ses parents lui semblant anecdotique maintenant qu'il repose aux côtés de Jordan. Enseveli. Les battements de son cœur ne servant plus qu'à égrener les minutes glissant sur les parois trop lisses du temps.

Des temps sombres et obscurs. Ces musiques médiévales qu'il prenait tant de plaisir à écouter ayant cédées leur place à des sons plus tristes. Plus propices à la magie noire. Vaudou.

Alors si, ce foutu chat existe. Et il est mauvais. Ce chat existe et il lui permet de faire voyager l'âme de Jordan.

A suivre...

Chapitre 1

This cat is not real

Il a sept-ans, et il est assis au bord de son lit. Dans sa chambre. Ses petites jambes gigotant dans le vide. Il est tard, mais pourtant il n'arrive pas à dormir. Dehors il y a de l'orage et il a peur. Alors il fixe la fenêtre, inquiet de voir la pluie frapper contre les carreaux et d'entendre les volets battre sous les rafales de vent. Puis il y aussi tous ces éclairs qui viennent accompagner les coups de tonnerre assourdissant qui illuminent la pièce. Dessinant des ombres chinoises sur les murs. C'est pour ça qu'il voudrait pouvoir aller se réfugier dans les bras de son papa, là-bas, juste au bout du couloir. Seulement, sa maman le lui interdit. Elle dit qu'il est trop grand maintenant et qu'il n'a rien à craindre des colères du ciel. L'obligeant à serrer plus fort son nounours contre lui, ses paupières papillonnant et ses yeux se fermant. Jusqu'à ce qu'il finisse par sauter par terre pour courir à la porte.

Ses pieds son nus et il tremble. De l'autre côté de la porte tout est noir et trop silencieux. Il sait qu'il va se faire gronder s'il désobéit. En face de lui, il y a une console. Des bougies aux prises avec un vieux chandelier brûlent. Leurs flammes semblant l'hypnotiser. L'ocre-orangé de leur lumière se réfléchissant sur ses prunelles, au point de le faire se sentir bizarre. C'est la première fois qu'une chose pareille lui arrive et avec ses mots d'enfant, il ne sait pas comment l'expliquer. Un miaulement lointain le faisant brutalement revenir de cet ailleurs dans lequel il s'est perdu. Un sourire étirant ses lèvres roses et pleines. Un chat est entré dans la maison, il le voir. Il est là. Tout près. Venant se frotter contre lui en ronronnant, son pelage est doux et il s'accroupit pour le caresser. Riant. Au point d'en oublier l'orage qui rugit de plus belle dehors et la punition qu'il va recevoir si ses parents s'aperçoivent qu'il gambade dans la maison à la place de sagement dormir. Mais il repart aussi vite qu'il est apparu, et voulant le garder, Jarlath l'a suivi. Il est beau ce chat. Il marche lentement et avec grâce. Un peu comme s'il n'existait pas. Comme s'il n'avait rien de réel, léger dans l'espace et presque vaporeux.

De sorte qu'il en a lâché le nounours dont il tient la patte dans sa main, le laissant traîner sur le plancher en bois qui craque sous ses pas. Le félin le surveillant de temps à autre, tournant la tête et lui miaulant après.


Sur quoi, le petit garçon est arrivé à hauteur de l'escalier. Son nouveau compagnon s'asseyant un peu plus bas, pendant que lui-même descend quelques marches pour en faire autant. Ses doigts s'enroulant autour des barreaux de la rampe. Le visage collé contre. Ses joues s'écrasant et sa bouche s'arrondissant. Le laissant enfin s'apercevoir que la cuisine est allumée et que quelqu'un cri. Bien sûr, il ne lui a pas fallu longtemps pour reconnaître la voix de son père. Ce dernier n'est pas content. Lui, il ne saisit pas tout ce qu'il dit. C'est compliqué. On parle de lui, il reproche à sa mère de porter plus d'intérêt à ses cartes qu'à son propre fils. Ils parlent même de divorcer. Le faisant pleurer. Parce-que lui, il ne veut pas ressembler à ses camarades d'école qui ne voient plus leur père que le weekend ou qui chaque semaine, sont obligés d'emporter leurs affaires d'un endroit à l'autre. Il aurait voulu pouvoir serrer son nounours entre ses bras, mais il se souvient l'avoir abandonné dans le couloir. Du coup, il s'est relevé et sans faire de bruit, il est retourné dans sa chambre en se demandant où son chat a bien pu passer. Haussant les épaules, il aime mieux se dire que demain tout s'arrangera.

Papa et maman ne se rappelleront pas qu'ils ne se supportent plus et ils s'occuperont de lui. Après tout, il n'est encore qu'un enfant. Puis il veut aussi espérer que son chat reviendra, ce chat qui n'existe pas…

A suivre...

Interlude

River Crow 2042

Il marche dans les rues de River Crow. Il pleut et il porte un imperméable. Sa capuche l'abrite. Il aime bien le bruit que font les gouttes en venant s'écraser sur cette espèce de matière plastifiée dans laquelle ce vêtement si peu élégant mais tellement pratique est confectionné. Sur le bitume, les roues de sa valise ne rencontrent aucun obstacle majeur. D'un pas décidé, Il prend la direction de la Citée Médiévale. Avant de venir s'installer ici, il a fait en sorte d'obtenir un logement qui correspond un minimum à ses attentes.

Et plutôt que de faire tout ce chemin à pieds, il aurait pu prendre un taxi. Mais bon. Ça lui dégourdit les jambes et puis ça l'aide aussi à faire redescendre un peu le stress. Au fond, rien ne presse et personne ne l'attend. Pas encore. Puisque le grand saut, il ne le fera que le lendemain en se rendant au commissariat pour prendre ses nouvelles fonctions. Même s'il ne comprend pas pourquoi Jordan l'a fait muter. Peut-être pour l'éloigner de lui, ou peut-être pour d'autres raisons. Il l'ignore. Tout ce qu'il sait se résumant au fait qu'il lui en veut. En attendant, on l'a officiellement envoyé ici pour remplacer un agent tombé pendant son service. Sauf que ça n'a aucun sens pour lui. Il lui semble juste absurde qu'on l'ait choisi alors qu'il n'a quasiment pas d'expérience sur le terrain. Et pour cause, ça ne fait qu'une petite année qu'il est sorti de l'école de police. Une année qu'il en a rejoint les effectifs. Une pauvre année qu'il porte l'uniforme et tout ça. Du coup, dans ce nouvel endroit, il se demande comment ça va se passer. Nerveux. Le manque de Jordan à ses côtés occupant déjà tout l'espace.

Puis il a hâte. Hâte de rencontrer son coéquipier. Un certain : Damon McAvoy. Mais pour l'instant, il n'est pas au courant de grand-chose à son sujet. Ne lui reste plus qu'à patienter. Il verra bien comment les choses se présentent et s'amorcent entre-eux. Néanmoins, il espère quand même qu'il prendra le temps de le briefer et de l'accompagner dans ses premières démarches. Non pas qu'il ait besoin d'être assisté, il peut se débrouiller seul. Le truc, c'est que lorsqu'on est nouveau et qu'on arrive dans une nouvelle ville, c'est toujours rassurant d'avoir quelqu'un sur qui compter. Sauf qu'à ce stade, il est loin de se douter de ce qui l'attend. Des cons, il y en a de partout et il n'a vraiment pas de chance, parce-que le roi des cons est justement pour sa gueule.

Enfin, pour l'instant, tout ce qu'il voit c'est qu'une voiture a roulé dans une flaque d'eau et qu'il sait fait rincer. Le froid de l'humidité le gagnant et le transperçant. Si désagréablement qu'il est maintenant pressé de se mettre au chaud. De se changer. Et de se tirer les cartes pour en savoir un peu plus son avenir…

Évidemment, il a fini par pénétrer dans l'enceinte du vieux quartier. Et tout lui a paru si sinistre au travers de cette nuit pluvieuse sans Jordan pour lui dire que tout irait bien. Pourtant, il se sent exalté. Au point qu'il en a souri. Déambulant dans cet environnement émergeant du temps, et stimulant son imagination encore fantasque à cette époque. Avec devant ses yeux des chariots qui, déséquilibrés par les trous, se heurtaient entre-eux et perdaient une partie de leur chargement au risque de provoquer des accidents. L'agitation régnant dans les rues et le claquement des sabots des chevaux contre les pavés. Les magasins ouverts sur la rue et les artisans qui, par faute de place, exposaient leurs produits sur la chaussée. Ici, la draperie, là-bas, la tannerie, juste à côté, la boucherie. Un peu plus loin, l'artisanat consacré aux objets d'orfèvres et sur la place des églises, les libraires.

Tout ceci prenant vie dans son esprit, jusqu'à entendre le grincement caractéristique des enseignes en fer forgé mises à rude épreuve par les rafales de vent. Et passant devant une boutique, il se trouve idiot. S'il s'amuse à y regarder de plus près, il n'y a rien d'étonnant à ce que leur tintement rouillé lui paraisse aussi réel. Ce n'est pas comme si l'une de ces enseignes se trouvaient en ce moment même au-dessus de sa tête.

Amusé, il a donc poursuivis son expédition. Pressant le pas. Tout en songeant que ce n'est pas le meilleur timing pour tomber malade. Grelottant qu'il est. Courbaturé par l'humidité. De sorte qu'en arrivant à l'adresse indiquée, c'est un vif sentiment de soulagement qu'il a ressenti.

Le reste lui paraît assez flou, assez insignifiant. Il se rappelle avoir monté les quelques marches conduisant à son appartement. Cherché ses clefs et introduit la plus grande d'entre-elles dans la serrure de la porte d'entrée. Le mécanisme forçant un peu, mais le cliquetis finissant par jouer. Lui permettant de prendre possession de ses murs et de s'abriter. Ce n'est pas grand, mais ça à l'avantage d'être cossu et meublé. Il va s'y plaire, c'est certain. Après, il s'est déchaussé afin d'arpenter ce lieu de vie qui était sien désormais. Retirant son imperméable, puis tous ses vêtements pour se précipiter sous la douche. Mettant le reste de côté…

A suivre...

Chapitre 2

Les arts divinatoires

Il a huit ans, et comme chaque jour il rentre seul de l'école. Il est environ 16 heures 30. Mais comme sa mère est encore en consultation, il va sagement poser son cartable dans sa chambre. Sans bruit. Pour ne pas la déranger. Il n'a pas beaucoup de devoirs à faire, alors il redescend prendre son goûter et avant d'arriver à la cuisine l'enfant qu'il est passe devant le salon. La pièce est plongée dans la pénombre. Les rideaux des fenêtres sont tirés et des bougies sont éparpillés sur la table recouverte d'un napperon brodé.

Seulement, il est trop jeune pour prendre la pleine mesure de tout ces rituels. Les symboliques lui échappant. Tout ce qu'il voit, c'est que les bougies sont grises et que sa mère semble comme possédée. Elle lui fait peur des fois. Avec son maquillage trop noir et ses drôles de pendentifs autour du cou. Puis elle parle dans une langue qu'il ne comprend pas. Sa voix est bizarre. Les flammes dansent sous ses vibrations. Les cartes s'abattent les unes après les autres sur le socle ou ce qui aujourd'hui s'apparente à un pentacle. La cliente de sa mère ne la quitte plus des yeux. Elle est comme hypnotisé, et elle écoute chacun des mots qui sortent de sa bouche avec avidité. Comme si tout son avenir se jouait ici, et maintenant. Lui, ça le dépasse. L'odeur que dégage la fumée des bâtonnets en résine oliban le dégoûte. Pire. Ça lui colle mal au cœur.

Alors il a trotté aussi vite que possible vers la cuisine pour prendre une des boîtes de gâteaux qui l'attendent dans le placard. Trop petit, ça l'oblige à monter sur une chaise. Sans surveillance. Sans sécurité, livré à lui-même. Parfois, il aimerait être un enfant comme les autres, avec une famille normale et une mère qui se soucis un peu de lui. Seulement voilà, la sienne ne pense qu'à ses arts divinatoires. Bref. Une fois en possession de son paquet, il s'est servi un verre de lait. S'installant ensuite à table en dessinant avec ses doigts des formes invisibles. En fait, il s'ennuie tout seul et pour s'occuper un peu l'esprit, il pense à tous ces symboles qu'un jour il saura peut-lui aussi interpréter. Un jour pas si lointain, un autre jour. Pas plus loin que demain.

C'est pour cela qu'à mi-voix, il récite ce qu'il a appris à propos du cœur, du carreau, du pique et du trèfle…

« Le coeur, égal les liens de parenté et les liens affectifs. Il est dessiné sous la forme d'un calice ou d'un Graal évoquant l'enjeu spirituel des croisades avec la conquête du Saint Sépulcre à Jérusalem en Terre Sainte. Le carreau, s'apparente au mouvement, à la communication, de même qu'à l'énergie. Il apparait de façon stylisée comme un bâton tour à tour terminé par une pointe tranchante ou par une pointe en fer et un empan de plumes. Le pique symbolise le pouvoir de l'action et l'action du pouvoir. Il proviendrait de l'emblème des épées et représente l'expression du combat au corps à corps, ainsi que de l'action offensive. Il symboliserait également le glaive de la justice. Le trèfle, dans le tarot de Marseille, se figure par l'intermédiaire d'un denier. Sur les cartes mauresques, on le retrouve sous l'apparence d'un médaillon rond transformé dans les anciens jeux de tarots italiens en un bouclier protecteur. Le trèfle véhiculerait donc deux sens, il est ambivalent. L'écu et la monnaie dans le sens financier ou l'écu et le bouclier dans le sens talisman.

Le système de personnification repose essentiellement sur huit cartes. Dont quatre à cœur et quatre à trèfle permettant au cartomancien de désigner une personne en tenant compte de trois critères. A savoir sa couleur de cheveux, son âge et son sexe. Les cœurs, du fait de leur couleur rouge identifient quelqu’un à la chevelure claire. Blond, châtain clair, roux. Les trèfles, de couleur noire, représentent quelqu'un aux cheveux foncés. Châtains foncés, bruns ou noirs. Aux rois et aux dames sont attribués un âge égal ou supérieur à trente-cinq ans tandis que les valets et les huit sont âgés de moins de trente-cinq ans. Les rois et les valets appartiennent au sexe masculin, les Dames et les huit, au sexe féminin.»

Sur quoi, des cris sont venus l'interrompre. C'est la voix de son père, mais normalement, il ne devrait pas être rentré à cette heure-ci. Son cœur bat fort et il abandonne les restes de son goûter. Terrorisé. Lorsqu'un miaulement a attiré son attention. Il est là. Il est revenu, après des semaines d'absence. Son chat. Il a le poil hérissé et ses yeux brillent. Il tourne autour de lui. Comme s'il voulait l'empêcher de passer, comme s'il voulait le protéger. Mais Jarlath est habité par ce même besoin de savoir qu'ont tous les enfants. Il veut savoir pourquoi son père n'est pas au travail, curieux. Alors il retourne au salon. Salon dans lequel la table ronde a été renversée. Les cartes de sa mère jonchant le sol et les bougies menaçant de mettre le feu à la maison. Il dit qu'il revient de chez un avocat, que les papiers qu'il tient à la mains sont ceux du divorce et qu'il veut sa garde exclusive.

Pourquoi les adultes font ça ? Pourquoi est-ce qu'ils fondent une famille pour finir par se déchirer ? Jamais il ne se mariera. Jamais il ne tombera amoureux. Jamais il ne fera confiance à quelqu'un qui se lassera de lui et qui l'oubliera. Jamais jusqu'à Jordan. Jordan, Jordan, Jordan. Jordan pour qui il n'arrive plus à pleurer, tant tout ce qu'il ressent est faussé. Bloqué. Et il a peur, peur de cette heure où tout ressurgira. Les larmes, les hurlements, comme un an plus tôt, tandis qu'il menaçait sa mère de se tuer si elle n'invoquait pas Bekah.

Une première épreuve qui avait marqué son enfance au fer rouge, à ne pas en douter...

A suivre...

Cissy a écrit:

Et bien tu  nous les distilles au compte-goutte les renseignements sur Jarlath, par ces flashbacks aussi prenants qu'intrigants.
On a toujours envie d'en savoir plus...

Chapitre 3

La cour des grands

Il vient d'avoir 11 ans et il s'apprête à rentrer au collège. Jeune garçon timide et plus effacé depuis quelques mois. Qui se cache derrière des sourires, mais pour lequel en vérité rien ne va plus. Ces dernières années ont été pénibles à traverser, tous les changements occasionnés par le divorce, cette espèce de mal-être qui s'est installé et l'adolescence qui ne l'aide pas. Ce mois de septembre est terne, son père n'a pas pu l'accompagner ce matin. Alors qu'il est sur le point d'intégrer une classe dans laquelle il y a autant de filles que de garçons. Un soucis de parité. Il suppose. Une fois l'appel fait, il a suivi les autres. L'établissement est de taille raisonnable, il ne devrait pas se perdre en changeant de salle. Certaines affinités se créent déjà, pourtant, il reste en retrait. Observant ses camarades et tirant sur ses manches. Geste machinal qui lui occupe les mains, des mains dont il ne sais jamais quoi faire. Non pas qu'il n'ait pas envie de se mélanger et de faire connaissance lui aussi. En fait, il ne demande pas mieux. Comme tout le monde, il a besoin d'avoir des amis. Le soucis, c'est qu'il n'ose pas. Sa pudeur maladive l'en empêche. Il a juste la trouille de ne pas leur plaire. Du coup, il préfère se protéger d'une éventuelle déception. En arrivant en classe, il s'est donc assis au dernier rang. Place qu'il trouve à tort ou à raison plus rassurante. Afin de ne pas s'exposer aux yeux de tous. De nature timide et solitaire, quoi de plus logique que de ne pas aimer attiser les curiosités. Se voyant mal leur expliquer qu'il ne vit pas dans le même monde qu'eux, que le sien est peuplé d'esprits et que la vie ici bas n'est qu'un passage obligatoire. Qu'ailleurs, dans l'absolu, l'invisible dicte sa loi aux vivants. Des fois, il pourrait tuer pour leur ressembler. Ne serait-ce qu'un peu. Aussi, préfère-t-il garder le silence sur toutes ces absurdités en lesquelles il commence lui aussi à croire. Comme s'il avait d'autres choix. C'est ça ou accepter le fait d'être complètement cinglé. Et il est trop jeune pour ça. Il sait qu'il voit son chat. Il sait que sa mère n'est pas folle. Il sait que son père ne peut pas l'accepter.

Les jours se sont écoulés. Le collège étant encore pire que l'école primaire. À longueur de journée, il lui a fallu subir des moqueries. Les garçons le trouvant étrange, et les filles différent. Comme s'il n'avait de place nulle part. Les semaines passant, toutes semblables. Pour autant, il est resté ouvert et accessible.  Ne voulant pas devenir l'un de ces adolescents suicidaires parce-que la faune l'entourant se révèle être beaucoup plus sauvage que prévu. Surtout qu'en comparaison d'autres, il n'a pas vraiment eu de quoi se plaindre.

Il ne manquait de rien. En tout cas, pas sur un plan matériel. Certes, il avait deux maisons et après ? Son père n'ayant pas réussi à obtenir sa garde exclusive et sa mère redoublant d'efforts pour lui faire plaisir. Au point qu'il a fini par se persuader que tout ce qui lui faisait mal n'était qu'une invention. Qu'il le fabriquait, dans sa tête. Le manque de recul l'empêchant de s'avouer qu'il s'agissait d'autre chose. Que le déchirement a été trop violent et qu'il est obligé de compenser pour ne pas s'effondrer. Puis les années ont défilées à un rythme effréné. Pendant que les autres flirtent et se découvrent, lui s'emploie à maintenir entre lui et la moindre douleur une distance de sécurité. Créant son propre malheur et refusant d'admettre que ce n'est pas aussi volontaire qu'il veux le croire. Quitte à se construit sur de faux-semblants. Se façonnant une personnalité en cultivant cette fragilité qui lui donne l'air d'être tellement hors de portée, alors qu'il n'en est rien. Il suffit d'un peu creuser pour s'en rendre compte et de le regarder au fond des yeux pour le trouver. Tel qu'il est.

Quoi qu'il en soit, la cour des grands est bien plus dangereuse que celle des petits. Son cœur s'éprouvant, battant plus fort puis ralentissant. Tandis qu'il s'éprenait de la solitude. La déclinant sous toutes ses coutures. Le rassurant, l'apaisant, le laissant en marge d'une danse à laquelle il n'avait pas envie de prendre part…

A suivre...