Introspection ou pas? C'est... Euh, spécial, tordu et à demi fictif. Verdict?« Tu regrettes? »
L’adolescente suspend son geste quelques secondes, sans lever la tête vers la personne assise en tailleur sur son lit.
« Ça fait un mois Lyra, élude-t-elle en replongeant dans son devoir de maths.
- Je sais. » Soupire la concernée.
Elle se mord la lèvre inférieure dans une moue ennuyée.
« Tu regrettes? » Répète-t-elle.
La jeune fille soupire à son tour, posant son crayon avant de se redresser sur sa chaise. Lyra n’a pas bougé lui semble-t-il quand elle consent à poser les yeux sur elle.
« Ce n’était pas volontaire. » Continue Lyra.
Une évidence, pas une excuse. Elle en est consciente. Lyra ne s’excuse jamais pour la simple et bonne raison qu’elle ne s’en donne jamais l’occasion.
« Mais c’est arrivé.
- Oui. »
Elle sait que Lyra va lui redemander si elle regrette. Elle n’arrêtera que quand elle aura une réponse. Positive ou négative. Pourtant elle tarde à accéder à sa demande, se demandant brusquement depuis quand Lyra pose ce genre de question.
Elle la regarde plus attentivement, caressant du regard les courbes voluptueuses de son corps, ses rondeurs à elle plus affinées, plus travaillées. Tout comme ses cheveux, d’un châtain foncé tirant sur le brun, longs, légèrement ondulés, retombant en cascade sur ses épaules. Elle s’attarde sur le visage à la peau saine, aux sourcils épilés pour finir par ses yeux.
De grands yeux bordés de cils fins, muant du vert au marron suivant la clarté de la pièce.
Au début, et encore maintenant, il lui arrive de détester Lyra. De lui envier ce qu’elle ne sera jamais. Belle, vibrante de vie et d’énergie. Puis elle se rappelle que Lyra est son amie. Et si elle a du mal à l’aimer, elle sait que Lyra sera toujours là.
Même si les autres ne la voient pas. Lyra est là.
Lyra a toujours été là.
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Les années précédentes, quand l’adolescente était encore une enfant, Lyra ne lui disait jamais la vérité. Quand les autres mômes se moquaient d’elle parce qu’elle était grosse et moche, Lyra lui racontait qu’elle changerait en grandissant.
Elle deviendrait mince, elle deviendrait belle. Et Lyra ne l’empêchait pas de s’empiffrer en cachette quand ses beaux mensonges ne séchaient pas ses larmes.
Puis elle a grandi et elle est restée comme elle était.
Mais elle n’en a pas voulu à Lyra. Pas vraiment. Pas surtout quand cette dernière a commencé à la défendre.
« Tu regrettes? »
Pourquoi la réponse est-elle si longue à venir? Elle secoue doucement la tête et Lyra patiente.
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Elle se rappelle de ce jour de gym lors de sa première année de collège. Elle attendait son tour devant les barres parallèles tandis qu’un con s’amusait à faire des grimaces dans son dos. Personne ne lui avait fait de signes pour le lui faire remarquer.
Et encore moins la fille qui se disait sa meilleure amie.
« Il se fout de toi. » Avait dit Lyra.
Juste avant de lui envoyer un coup de talon dans le creux de la cheville.
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Quand elle pleure, Lyra est en colère. Quand elle sourit, Lyra éclate de rire. Quand elle est seule, Lyra est là.
« Tu es toute seule? » Demandent souvent les surveillants d’une voix douce et rassurante quand il la voit assise sur un banc, dans la cour du collège.
Elle peut encore entendre la pitié en suinter et elle les hait pour cela. Elle a envie de leur rétorquer:
« Non, il y a Lyra, vous voyez bien? »
Mais non justement, ils ne voient pas parce qu’il n’y a qu’elle qui peut voir Lyra.
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Comme la fois où cette sale pute d’Anne-Sophie l’a traînée dans la boue.
Elle la revoit encore passer à côté d’elle et lui dire de venir la rejoindre pour manger. Lyra lui a dit de se méfier mais elle n'a pas voulu l'entendre. Elle a suivie Anne-Sophie, s’est assise à côté d’elle et l’a écouté la descendre peu à peu mais vicieusement tout au long du repas.
« Tu sais que le pain ça fait grossir?
- Euh non. »
Elle a reposé le morceau qu’elle allait enfourner.
« Dans ton cas, je ferais gaffe. T’es déjà assez grosse comme ça. »
Installée en face d’elle, Lyra avait grondé comme un chien prêt à mordre. La pimbêche s’était ensuite essuyé la bouche avec le dit-morceau de pain, avant de le balancer dans son assiette et de se lever avec un :
« Grossis bien! »
Mais Lyra avait détendu sa jambe et Anne-Sophie s’était vautré dans son plateau.
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Il y en avait eut d’autres, beaucoup même. Elle se demande encore aujourd’hui pourquoi les gens qu’elle rencontre lui colle directement l’étiquette « Bonne poire » sur le front autant que certains lui jette leur mépris à la gueule.
« Trop gentille. » Lui a un jour affirmé Lyra.
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Puis il y a un mois, le bahut a connu une effervescence peu commune.
« Tu regrettes? »
Mais elle repart dans ses souvenirs. Après tout elle en est le centre de cette effervescence.
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Le cours d’histoire-géo est le dernier de la journée. Et la sonnerie vient de retentir. Lyra l’attend près de la porte d’entrée, la regardant ranger ses affaires tandis que la salle se vide. Elle la rejoint en dernier. Le couloir est maintenant désert.
Non, pas tout à fait, une fille marche dans sa direction pour prendre l’escalier situé juste à coté de la salle de cours qu’elle vient de quitter. Celui qui mène aux salles du rez-de-chaussée. Elle ne lui a jamais adressé la parole mais sait de par d’autres qu’elle s’appelle Angélique et que c’est une conne.
Elle ajuste la bandoulière de son sac sur son épaule quand une douleur vive la saisit au niveau du cuir chevelu au moment où Angélique la frôle.
Elle porte instinctivement une main à son crâne et hurle dans la cage d’escalier:
« Hey pétasse!! Le tirage de cheveux ça fait maternelle tu ne trouves pas?! »
La blonde se stoppe sur le palier du milieu, se retourne d’un bloc pour remonter à elle lentement:
« Comment tu m’as appelée? S’insurge-t-elle en plissant légèrement les yeux.
- T’as très bien entendue, p-é-t-a-s-s-e, pétasse!! »
La dite pétasse arrive à sa hauteur, se voulant menaçante mais elle n’a pas une once de couilles quand elle est toute seule.
« Pauvre fille! » Lance-t-elle en même temps que sa main en avant pour agripper de nouveau une mèche qui dépasse.
Mais Lyra est bien plus rapide. Elle accroche sa queue de cheval positionnée sur le haut de sa tête et tire sur le côté. La blonde perd l’équilibre, cherche à se rattraper mais ses pieds s’emmêlent et elle bascule en arrière. --
Revenant au présent, elle croise le regard de Lyra. Ce regard si semblable au sien.
« Pourquoi tu me le demande maintenant?
- Parce que ça fait un mois. » Répond Lyra le plus naturellement du monde.
Puis elle change de position, étendant ses jambes sur la couette.
« J’ai lu un truc récemment, raconte-t-elle. Sur la mémoire. Quand quelque chose de traumatisant arrive à quelqu’un, il peut oublier ce quelque chose pour surmonter le choc. »
Ça y’est, elle voit où Lyra veut en venir.
Elle esquisse un sourire. Non elle n’a pas oublié. Elle revoit Angélique tomber à la renverse, son corps dégringoler les marches carrelées de l’escalier, sa tête heurter le sol du palier dans un crac sonore. Le bruit lui a fait penser à celui qu’on entend quand on casse du bois mort. Une seconde avant qu’une flaque de sang pourpre ne se forme autour.
La suite aussi elle s’en souvient. Elle a couru chercher de l’aide, sachant qu’il était déjà trop tard. Et il y a eut des cris, des larmes, de la panique. Il y a eut aussi la police qui l’a interrogé, ses parents qui l’ont réconforté, le monde qui a cessé de tourner.
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Depuis un mois, tout lui paraît différent. Mais pas pour les raisons que son entourage semble penser. Elle a accepté de suivre une thérapie et demandé qu’on la laisse reprendre le cours de sa vie.
« Marina tu viens manger?! L’appelle une voix familière de la cuisine.
- J’arrive papa!! »
Elle joint le geste à la parole mais s’arrête alors qu’elle a posé sa main sur la poignée de la porte. Doucement, elle se retourne à demi pour faire face à Lyra:
« Non, je ne regrette pas. »
Et Lyra
me sourit.
Fin.--
Je vous rassure, je n'ai pas tournée sociopathe ^^