Petite songfic écrite pour l'anniversaire 2010 de Sam Sanders
Préambule:
Les personnages du film ne m’appartiennent pas. Ils sont la propriété exclusive de : Sir Arthur Conan Doyle à l’origine et Guy Richie pour l’adaptation. Je ne tire aucun bénéfice de leur mise en situation dans cette fiction.
Personnages : Holmes & Watson
Genre : Romance - Songfic
Résumé : Le Dr Watson est mandaté pour rendre hommage à son vieil ami Sherlock Holmes. Quels mots se cachent sous le discours officiel?
En italique centré : les paroles de la chanson originale de Serge Lama (censées être dites par Watson).
En italique centré bleu : les paroles détournées (censées être pensées par Watson).
Mon ami mon maître
Il s’éclaircit la voix avant de s’avancer vers le micro. Il avait les mains moites et la gorge serrée. Son regard chercha le héros de la soirée, assis au centre de la salle et leurs yeux se trouvèrent.
Pour se donner une contenance, il tapota le micro, but un grand verre d’eau et il commença le compliment qu’il avait eu tant de peine à écrire.
J'ai essayé à cent reprises
De vous parler de mon ami
Mais comment parler d'une église
Dont l'accès vous est interdit ?
Mais ce soir je sens sous ma plume
Un fourmillement familier
Quand le soleil du cour s'allume
L'éteindre serait un péché
Lorsqu’on l’avait sollicité pour être le panégyriste de cette soirée, il avait longuement hésité. Mais pouvait-il refuser, lui qui avait côtoyé cet homme durant plus de trente ans ? Lui qui le connaissait mieux que quiconque sur cette terre ? Bien mieux que ce dont pouvaient se douter ceux qui s’étaient adressés à lui et se seraient empressés de lui tourner le dos avec dégoût s’ils avaient su…
Oui, il avait sué sang et eau sur ce compliment qui ne serait jamais celui qu’il aurait aimé pouvoir lire, qu’il aurait aimé pouvoir dire, celui qui chantait dans sa tête et qu’il n’avait osé écrire…
Celui qui, en ce moment même lui revenait en tête alors qu’il disait des mots si différents, si dénués de tout ce qu’il aurait voulu pouvoir y mettre.
J’ai essayé à cent reprises
D’imaginer ma vie sans lui
Une vie monotone et grise
Sans aventur’ ni fantaisie.
Avec le temps on s’accoutume
A ne dir’ les chos’ qu’à moitié,
Mais parfois ardent’ me consume
L’envie d’enfin le proclamer
Voilà ce qu’il aurait dû dire. Voilà ce qu’il aurait dû clamer alors qu’il s’entendait dire d’une voix presque atone les phrases convenues, les phrases bienséantes qu’il avait alignées sur le papier qu’il froissait nerveusement entre ses doigts moites.
C'est mon ami et c'est mon maître
C'est mon maître et c'est mon ami
Dès que je l'ai vu apparaître
J'ai tout d'suite su que c'était lui
Lui qui allait m'apprendre à être
Ce que modestement je suis
Il croisa à nouveau son regard et il lui sembla lire dans le fond des prunelles brunes cette étincelle d’ironie qu’il avait lorsqu’il savait que son compagnon mentait, lorsqu’il sentait que les mots qu’ils disaient n’étaient pas en adéquation avec ceux qu’ils pensaient.
C’est mon amant et c’est mon maître
Il est le soleil de ma vie
Je ne laisse rien transparaître
Lorsque nous sommes en compagnie
Mais loin de lui je ne peux être
Que vivant à peine à demi.
Un demi sourire sur les lèvres charnues et il faillit manquer la phrase suivante au profit de cette voix qui cherchait à se faire entendre.
Il savait… Oh oui il savait !!!!
Il entendait au-delà des termes certes chaleureux mais ordinaires d’autres mots, d’autres vérités.
Avec sa pudeur londonienne*
De ses secrets il est jaloux
Et même s'il a de la peine
Il ne vous parle que de vous
Il conserve de son bel âge
Un sourire au fond de ses yeux
Et je me dis que c'est dommage
De vous le décrire sans cheveux
Un léger éclat de rire parcourut l’assemblée guindée qui jeta un coup d’œil à la fois amusé et, pour certains, un peu miséricordieux, sur la haute silhouette qui attirait tout les regards. Quand bien même il n’aurait pas été le héros de la soirée, nul doute qu’un étranger entrant dans les lieux aurait immédiatement été attiré par son magnétisme, par sa prestance.
Certes il avait perdu l’opulente crinière brune dans laquelle son compagnon aimait tant passer ses doigts durant leurs moments intimes, mais pour le reste il avait bien moins changé que lui.
Il restait l’homme à l’esprit acéré qu’on admirait ou qu’on craignait, qu’on adulait ou qu’on jalousait mais qui ne laissait personne indifférent.
Son amour coule dans mes veines
Et lorsque la nuit est à nous,
Lorsque sa peau touche la mienne
La moral’ vraiment je m’en fous !
Si seul’ment j’avais le courage
D’affronter ce monde frileux,
De lui montrer mon vrai visage,
Nous pourrions enfin être heureux.
Toutes ces années !!! Toutes ces années à se cacher !!! A se retrouver au hasard des jours, au hasard des occasions.
Toutes ces années à dissimuler ce sentiment qui le maintenait en vie.
Toutes ces années à mentir, à trembler que leur secret ne soit découvert, à tout faire pour mener une vie « normale ».
C'est mon ami et c'est mon maître
J'le vouvoie encore aujourd'hui
Et quand j'ai mal dedans mon être
Je passe une heure ou deux chez lui
L'air qu'on respire à sa fenêtre
C'est l'air le plus pur du pays**.
Que pouvaient comprendre ces gens qui les regardaient, un sourire bienveillant sur les lèvres ? Il imaginait d’avance leur air étonné et bientôt dégoûté s’il venait à ouvrir la porte aux mots qui se pressaient sur ses lèvres.
C’est mon amant et c’est mon maître
Quand je suis blotti contre lui,
Chaque fois je pense renaître,
Chaque fois je me sens en vie.
Avec lui enfin je peux être,
L’homm’ que réellement je suis.
Lui il savait !!!! Lui seul dans l’assemblée le connaissait parfaitement, physiquement et moralement.
Il était le seul être qui l’avait vu pleurer, qui l’avait vu douter, qui l’avait vu trembler. Il était le seul être qui l’avait emporté aux confins du plaisirs.
Même son épouse, qu’il chérissait tendrement et qui était la personne la plus proche de lui ensuite, n’avait qu’un petit aperçu de ce qu’il était réellement.
Lui seul savait…
Il porte en lui dur comme une arme
Un orgueil au-delà de tout
Au point que même au bord des larmes
Il vous fera croire qu'il s'en fout
C'est lui qui a fortifié mon âme
Et si je suis encore en vie
Je n'le dois pas à cette femme
Qui me rend heureux aujourd'hui
Elle avait un sourire ravi à ce compliment qui n’en était pas vraiment un. Mais pour elle, être citée au côté de cet homme qui occupait une si grande place dans la vie de son mari était déjà une victoire, tant parfois elle avait pensé qu’il le ferait toujours passer avant elle.
Non, finalement, elle comptait pour lui peut-être plus qu’elle ne le croyait…
Il surprit ce regard et il lui fit mal. Une fois encore il lui mentait, une fois encore il la leurrait, une fois encore il se servait d’elle pour présenter à cette société pétrie de préjugés la seule facette qu’elle pouvait tolérer entre deux hommes : une immense amitié, virile et sans équivoque.
Quelle hypocrisie !!!!
Un sourir’ de lui me désarme,
Une caresse me rend fou,
J’en oublie parfois mes alarmes,
Prêt presque à briser les tabous.
Contre lui je sens cette flamme
Qui brûle mon corps alangui,
C’est lui qui sauvera mon âme,
Me mènera au paradis.
Y avait-il au fond de ses yeux la nostalgie que semblait y lire l’orateur ? Que pensait-il vraiment, lui qui ne se livrait jamais totalement ?
Il se rendait compte, une fois de plus, que, si lui-même était transparent pour son compagnon, celui-ci restait, sur beaucoup de points, un mystère pour lui.
Avait-il souffert de sa décision de vivre la vie stéréotypée qu’on lui avait dévolue de l’heure de sa naissance ? En tout cas il ne la lui avait jamais reprochée.
Mais pour sa part il avait continué de mener sa vie sans se préoccuper de ce qu’en dira-t-on tyrannique. Sa seule concession avait été qu’il n’avait jamais dévoilé leur secret. Peur de le perdre ou amour assez fort pour accepter ce sacrifice ?
Il n’avait jamais abdiqué sa liberté, son originalité. Mais parce qu’il était lui, la société avait toléré ses écarts de conduite, le fait qu’il n’ait jamais accepté l’une des nombreuses demandes en mariage qui lui parvenaient…
Que voulez-vous ? Un génie a ses droits !!!
Mais à mon ami à mon maître
Et dans la chanson que voici
Je sais qu'il va se reconnaître
Mais puisque nous sommes entre amis
Ce soir je peux bien me permettre
De vous le présenter aussi
Il en avait terminé de ce que la salle, désormais debout, allait le lendemain appeler un « vibrant hommage où on pouvait, entre les lignes, comprendre la réelle amitié qui liait ces deux hommes », et qui, pour lui-même s’apparentait plus à un pensum compte-tenu de ce qu’il aurait vraiment voulu dire, ce qu’il aurait vraiment dû dire.
C’est mon amant et c’est mon maître,
L’homme qu’en secret je chéri.
Certains auraient compris peut-être
Dans le compliment que voici
Si enfin j’avais osé mettre,
Tout cet amour que j’ai pour lui…
Encouragé par l’organisateur de la soirée, le héros s’avançait maintenant à son tour vers l’estrade. Et une fois encore l’orateur se demanda pourquoi il avait accepté cet hommage rendu à ses trente ans de bons et loyaux services, lui qui, en toute occasion, fuyait les mondanités et les cérémonies en tout genre.
Une façon de lui faire passer un message ? Une façon de lui laisser, une fois de plus, l’opportunité de proclamer la vérité à la face du monde ?
Qui le saurait jamais ?
- Merci docteur Watson, s’enthousiasmait le thuriféraire, c’était vraiment splendide. Nous savions qu’en nous adressant à vous nous aurions le meilleur des rédacteurs.
Il répondit par un regard gêné : tout ce qui lui importait, c’était ce qu’allait dire Holmes.
Celui-ci le fixait d’un regard à la fois amusé et ému dans lequel il lui sembla déceler aussi une pointe d’humour.
- C’est vrai docteur Watson… C’était vraiment magnifique. Je ne suis pas sûr d’en mériter autant.
Il lui sembla percevoir un sous-entendu dans ces mots comme si, fidèle à ses habitudes, son compagnon n’avait pas été dupe du discours officiel et avait distingué les autres mots, les autres phrases, ce qui venait vraiment du fond de son cœur.
- Venez Sir Holmes, le pressait l’organisateur, appuyant sur le tout nouveau titre auquel il allait désormais falloir s’habituer.
Holmes leva une main impérieuse : on ne lui dictait pas sa conduite. L’homme dut le comprendre et se contenta de piaffer sur place, se mordant nerveusement les lèvres au retard que prenait une cérémonie qu’il avait prévue dans ses moindres détails.
Le regard du détective plongea dans celui de son ami :
- Vraiment magnifique, répéta-t-il. J’aimerai beaucoup relire ce texte en privé si vous n’y voyez pas d’inconvénient.
Watson déglutit péniblement tandis qu’une vague d’excitation l’envahissait :
- Aucun inconvénient, cher ami. Justement mon épouse accompagne des amis pour quelques jours dans le Sussex. Elle part aussitôt cette soirée finie.
- Alors à tout à l’heure docteur Watson.
- A tout à l’heure Sir Holmes.
Il y avait toutes les promesses du monde dans les voix lorsque les deux hommes se détournèrent l’un de l’autre pour s’en aller vers leurs places respectives.
FIN
Paroles originales :
* Comme une chèvre vendéenne
** C’est l’air le plus pur de Paris.
Chacun comprendra pourquoi j’ai jugé bon de changer ces deux vers…