Un texte pour le Noël de Edw7625
Préambule : Les personnages de la série ne m’appartiennent pas. Ils sont la propriété exclusive de: Hubert Besson, Georges Desmouceaux, Bénédicte Achard, Magaly Richard-Serrano & Olivier Szulzynger. Je ne tire aucun bénéfice de leur mise en situation dans cette fiction.
NOËL EN FAMILLE
- Tu l’as vraiment fait ?
Le sourire dans les yeux de Thomas, la joie dans sa voix, récompensèrent Florian au-delà des mots de la surprise qu’il venait de faire à l’homme de sa vie. Ce dernier se serrait contre lui, quémandant un baiser qu’il ne se fit certes pas prier pour accorder. Il se sentait bien, heureux d’avoir réussi à ménager cette surprise malgré tout les aléas que cela comportait et notamment les petits mensonges sur ses absences, ses retards à répétition, une ou deux annulations de dernière minutes de leurs projets qui avaient parfois conduit à une scène de son amant qui se sentait délaissait et s’inquiétait de cet état de fait.
Mais désormais tout était clair et Thomas, les larmes aux yeux, regardait les clés qui reposaient au creux de sa main, ces clés que Florian venait de lui offrir dans un petit paquet enrubanné pour leur anniversaire… Il ne s’était pas douté un moment de la surprise que lui préparait son compagnon. Il revoyait sa déception lorsqu’il l’avait convié à visiter cette maison pour laquelle il avait eu un vrai coup de cœur : tout près du Mistral, idéalement située, pourvue d’un garage et d’un petit jardin, elle était ce dont il rêvait depuis longtemps pour abriter leur amour, leur petit appartement étant décidément trop étroit pour l’immensité des sentiments qui s’y développaient.
Deux étages : au rez-de-chaussée, une grande pièce commune, une cuisine de belle taille et une petite pièce où faire un bureau pour monsieur le juge, à l’étage trois belles chambres et deux salles de bains, et des combles qu’ils pourraient toujours aménager en leur temps. Bref, un vrai coup de cœur qu’il avait voulu faire partager à son compagnon. Mais celui-ci avait regardé la bâtisse d’un air un peu dédaigneux avant d’entamer la litanie des mais, des si, des petits défauts et des grandes impossibilités, notant chaque joint à refaire, chaque planche à raboter, chaque volet à repeindre, listant l’éloignement du Mistral, ce quartier si cher au cœur de Thomas, le jardin à entretenir et le financement de l’achat… bref, le rêve de Thomas s’était vite transformé en déconvenue tandis qu’il s’apercevait que son compagnon n’avait vraiment pas les mêmes envies que lui, au point qu’il avait commencé à se demander si cela ne présageait pas la fin de leur romance, d’autant que, dans les semaines qui suivirent, Florian devint de plus en plus imprévisible et qu’il commença à le soupçonner d’avoir une liaison, ce qui ne manquât pas de provoquer des querelles plus ou moins vives.
Mais désormais il comprenait : Florian aussi avait craqué pour la jolie maison et il avait voulu faire à son amour la surprise de l’acheter, en leur deux noms, pour eux, escomptant qu’ils y passeraient le reste de leur vie. Et il avait choisi ce jour, anniversaire de leur installation ensemble, pour lui offrir les clés assorties d’un porte-clés que Thomas avait tout de suite identifié pour celui vu dans les mains de l’agent immobilier.
Il n’arrivait pas vraiment à croire que son juge lui ait fait cette magnifique surprise :
- Mais comment as-tu pu… L’argent…, finit-il par balbutier.
-J’avais de l’argent. Souviens-toi que nous avons vendu la maison avec Nathalie et je n’avais jusque là pas touché à ma part. Je voulais être sûr de trouver quelque chose qui nous plairait à tous les deux.
- Mais j’aurais dû participer. Ce n’est pas jute que tu paies tout.
-T’inquiète ! Tu paieras aussi ta part : je te signale que les prélèvements des charges seront sur ton compte, et je peux te garantir que tu vas vite voir la différence avec notre petit appart’… Mais il ne faudra pas venir te plaindre.
- Qui parle de se plaindre ? sourit Thomas en s’approchant de son homme, un sourire aux lèvres que celui-ci reconnut parfaitement pour celui qui préludait en général à ces étreintes torrides dont le barman avait le secret.
Plusieurs heures plus tard, fourbus mais heureux, les deux hommes étaient dans leur maison, commençant à imaginer l’ameublement, à se projeter déjà dans les lieux : la grande chambre avec la salle de bain attenante, pour eux, la chambre d’angle pour Elodie qui serait heureuse d’avoir une pièce rien qu’à elle, la dernière faisant une chambre d’amis de dimensions plus que respectables. En bas, ils pourraient créer un espace convivial où ils seraient heureux de recevoir parents et connaissances. Evidemment, Roland allait s’intéresser de près à la cuisine même si elle ne lui était pas destinée, mais les deux hommes savaient par avance qu’ils n’échapperaient pas aux conseils du père trop heureux de voir son fils s’installer enfin avec l’homme qu’il aimait.
Ils ne purent pas s’empêcher de baptiser par avance ce qui serait leur chambre,malgré les protestations de Florian qui n’était pas particulièrement adepte de l’amour à « la dure » mais qui cria quand même son plaisir sous les coups de boutoir de son amant apparemment particulièrement inspiré par les lieux.Le soir tombait lorsque les deux hommes quittèrent ce qui serait leur « petit nid d’amour », selon les termes d’un Thomas ivre de joie qui ne put s’empêcher d’aller clamer son bonheur auprès de leurs amis, ce qui entraîna une grande fête dans le quartier où les deux hommes étaient unanimement appréciés.
Dès le lendemain, un entrepreneur bien connu de Roland occupa les lieux pour les transformer selon la volonté des propriétaires, étant entendu qu’ils pourraient jouir des lieux dans les trois mois. Etait-ce parce qu’il travaillait pour le fils d’un ami ou pour un juge ? En tout cas l’homme tint parole et, douze semaines après le mémorable cadeau offert par Florian, les deux amants aménageaient dans une demeure rénovée à leur goût qui ne tarda pas à résonner de leurs cris de plaisir tandis que, les quelques jours suivants, ils inaugurèrent à leur manière pièce après pièce afin de bien marquer de leur empreinte leur nouvelle propriété.
****
- Voilà, vous savez tout.
L’assistance sociale regarda la jeune femme qui se tenait devant elle : un peu trop maigre, un peu trop pâle et cependant farouchement déterminée à ce qu’on en passe par sa volonté. Lorsqu’elle était entrée dans son bureau, une bonne demi-heure plus tôt, elle avait rapidement décliné son identité avant de débiter son histoire d’une traite : elle venait de découvrir, cinq semaines trop tard, qu’elle était enceinte et il était hors de question pour elle de garder cet enfant dont elle ne voulait pas. Elle n’était pas faite pour être mère, et en eut-elle douté, le fait qu’elle ait été incapable de déceler les signes de sa grossesse alors qu’elle abordait sa dix-huitième semaine, le lui aurait prouvé de manière indéniable. Désormais elle devait se résoudre à mettre cet enfant au monde, mais elle n’irait pas au-delà de cet effort et ne comptait pas s’impliquer ensuite dans sa vie :
-Vous souhaitez accoucher sous X ?
-Non. Je souhaite le laisser à son père.
-Son père ? Vous pensez qu’il voudra s’en occuper ?
-Je sais qu’il le voudra. Nous sommes amis : il a toujours voulu un enfant. Entre nous ça a été une erreur, un coup d’un soir où nous avions trop bu tous les deux…
-Vous avez pris contact avec lui ? Vous n’envisagez pas d’essayer de fonder une famille à ses côtés ?
-Non ! D’abord pour fonder une famille il faut de l’amour, un véritable amour. Je l’aime beaucoup, mais ce ne sera jamais qu’un copain. Comme je vous l’ai dit, ça n’a été qu’une lamentable erreur un soir où nous noussentions aussi mal l’un que l’autre. Nous voulions juste nous consoler mutuellement et un geste en a entraîné un autre. Je ne suis pas son type et il n’est pas le mien. Si nous nous installions ensemble juste parce que j’ai commis la bêtise de tomber enceinte et de ne pas réagir à temps, nous finirions immanquablement par nous détester. Et de toute façon il est en couple.
-En couple ? Comment croyez vous que réagira euh… son épouse ou sa compagne ?
-Ni l’un ni l’autre. Il est gay et en couple avec un homme. Vous comprenez pourquoi rien ne pourrait être possible entre nous ?
Elle vit un voile passer devant les yeux de son interlocutrice et son ton se fit plus acerbe tandis qu’elle demandait :
-J’espère que vous n’êtes pas en train de vous dire que des gays n’ont pas le droit d’élever un enfant ! Il est son père et je sais que près de lui ce gosse sera bien : il aura tout ce dont il a besoin et de l’amour en prime. De l’amour des deux…
-Des deux ? Comment pouvez-vous en être aussi sûre ? Que croyez-vous que va dire le compagnon de votre ami lorsqu’il apprendra son écart de conduite ?
-Il va râler, tempêter, et puis il se calmera. Et de toute façon il aimera ce gosse, forcément.
-Comment le savez-vous ?
-Parce que c’est aussi son oncle ! asséna la jeune femme en plantant son regard dans celui de l’assistance sociale, comme pour la mettre au défi de lui dire ce qu’elle pensait d’elle qui avait couché avec le compagnon de son propre frère.
Mais soit que la professionnelle ne fut pas du genre à juger les gens sur une erreur, soit qu’elle fut trop prudente pour attaquer de front une personne visiblement prête à en découdre, aucune condamnation, aucun reproche ne franchit ses lèvres. Elle se contenta de cette question :
-Mais en quoi puis-je vous être utile très exactement ?
-Je veux que vous me disiez comment faire pour que ce gosse, et l’assistante sociale ne put s’empêcher de remarquer que c’était la troisième fois qu’elle appelait ainsi ce bébé qu’elle portait, prouvant par là-même qu’elle n’avait pas le moindre attachement pour lui, en tout cas à ce stade de sa grossesse, soit légalement remis à son père sans aucune ambiguïté possible et sans qu’on lui fasse tout un tas de chichis parce qu’il est homo !
-Vous pensez vraiment que votre enfant…
-Ce n’est pas mon enfant ! Ca ne le sera jamais ! coupa brutalement la femme.
-Excusez-moi. Vous pensez vraiment que cet enfant pourra s’épanouir dans un couple homosexuel, en butte au regard des autres ?
-Pas plus mal qu’il ne s’épanouirait avec une mère totalement immature et incapable de s’occuper de lui, ou dans un couple qui se déchirerait…Pouvez-vous garantir que s’il était adopté par une gentille petite famille d’hétéros tout ce qu’il y a de bien, catholiques pratiquants de préférence, il ne subirait rien de dommageable ? Que l’un de ses parents ne commettrait pas un jour un acte qui le mette au ban de la société ? Que l’un de ses oncles n’abuserait pas de lui ? Qu’il ne sombrerait pas dans la drogue ou l’alcool à l’adolescence ?
-Vous savez bien que non, rétorqua l’assistante sociale. Mais toutefois il y a des garanties qui…
-La seule chose que je veux pour ce moutard, c’est qu’il soit aimé ! Et je sais qu’il le sera !
-Sauf si sa venue détruit le couple de son père.
-Ca ne le détruira pas, parce que même si ça fait des vagues, ils ont traversé beaucoup trop de choses ensemble pour se quitter pour si peu. Et je sais qu’ils seront fous de ce gosse, l’un comme l’autre ! Ils sauront lui donner une bonne éducation et veiller sur lui.
-Mais si c’est une fille…
-Mon frère a une fille : elle saura lui expliquer les choses le moment venu.
-Votre frère a…
-Oui, il a été marié à une époque. Comme quoi, les conneries, c’est de famille ! expliqua la jeune femme avec un sourire un peu ironique, un peu désespéré. Alors, vous acceptez de me dire ce que je dois faire ou je vais voir ailleurs ?
Après tout songea l’assistance sociale, son rôle n’était pas de juger la vie que menait les gens mais simplement leur aptitude à rendre heureux les enfants. Elle connaissait des couples gays dont les enfants étaient remarquablement épanouis et des couples hétéros auxquels il avait fallu retirer les leurs. Qui était-elle pour dire si une personne pouvait ou non élever un gamin à cause de ses préférences sexuelles ? Elle passa donc l’heure qui suivit à énumérer à la jeune femme ce qu’elle devait faire pour s’assurer que son enfant, une fois né, serait confié à son père. Elle vit son interlocutrice tiquer sur quelques points, notamment celui lui enjoignant de rester en contact avec l’Aide à l’Enfance pour qu’on puisse s’assurer de la capacité des deux hommes à éduquer l’enfant qu’elle allait mettre au monde. Elle sentait sa méfiance : la mentalité en France, même si elle avait évolué, restait encore peu encline à admettre que deux hommes pouvaient tout aussi bien qu’un couple « ordinaire » élever un enfant. Elle craignait qu’on juge qu’ils ne le pourraient pas sur des critères qui seraient tout sauf objectifs.
Lorsqu’elle se releva, la jeune femme avait ses réponses et surtout un plan : pas question que l’ASE mette la main sur ce môme ! Il serait confié à une pouponnière le temps d’une enquête sociale et pour peu que la personne qui en soit chargée soit l’une de ces bigotes pétries de préjugés, il finirait ballotté de famille d’accueil en famille d’accueil. Et même si elle n’en voulait pas, il était hors de question qu’elle le condamne à cette vie-là ! Autant l’étouffer dans son berceau ! pensait-elle farouchement.
Désormais elle savait très bien ce qu’elle allait faire. De toute façon aucun souci, elle n’avait pas fourni son vrai nom. Le reste lui appartenait.
*****
Lorsque Déborah entra dans la chambre, elle ne s’étonna qu’à moitié de la trouver vide de ses occupants. La jeune femme qui s’était présentée dans les premières douleurs quarante-huit heures auparavant l’avait avertie : elle partirait dès que le médecin aurait signifié que tout allait bien et irait faire sa déclaration à l’état civil elle-même.
La jeune infirmière ressortit pour interroger ses collègues, savoir si l’une d’elle avait vu la patiente de la chambre 711. Mais il devint vite évident que la récente accouchée avait profité du moment du repas où chacun était si occupé pour se faufiler rapidement hors de la maternité.Elle avait passé là quarante-huit heures durant lesquelles personne n’avait vraiment su qui elle était : en général les parturientes parlaient facilement d’elles, exposaient leurs projets pour leur vie future avec leurs bébés. Celle-ci était polie, calme, trop calme peut-être, ne semblait montrer aucune affection envers sa progéniture, même si elle s’en occupait visiblement soigneusement et n’avait pas essayé de s’ouvrir aux soignants qui venaient s’occuper d’elle. Elle n’avait reçu aucune visite, demandé d’appeler personne. Tout ce que Déborah avait pu lui arracher, c’était qu’elle allait rejoindre le père dès sa sortie. L’infirmière n’avait pas manqué de remarquer qu’elle ne disait pas : mon compagnon, mon mari, mon fiancé, mais, le père.
Un instant la jeune femme se demanda s’il fallait alerter les services sociaux ou la police mais sa supérieure lui fit remarquer qu’il n’y avait rien d’illégal dans la démarche de leur patiente : son exéat lui avait été délivré lors de la visite du matin, à sa demande, et rien dans son comportement ne permettait d’indiquer qu’elle présentait un danger pour sa progéniture. L’infirmière se rendit à cette décision et repartit sur d’autres taches, gardant quelque part au fond de sa mémoire le visage de cette jeune femme en espérant qu’elle ne le verrait pas un jour s’afficher sur son écran de télévision sur le commentaire d’un sordide fait divers de mère infanticide.
*****
-Thomas ?
Le serveur sursauta et rattrapa de justesse le verre qui avait failli lui glisser des mains. Il se tourna vers l’arrivante qui venait de l’interpeller :
-Patricia ? Mais… Qu’est-ce que tu fais-là ?
Elle eut un sourire un peu crispé :
-C’est comme ça que tu m’accueilles ?
-Non ! Bien sûr que non ! Oh ! Désolé… Je suis vraiment heureux de te voir !
Et joignant le geste à la parole, il lâcha la table qu’il était en train de mettre pour aller prendre la jeune femme dans ses bras et la serrer contre lui, réellement content de la savoir de retour. Puis il se recula un peu et son visage se fit plus grave tandis qu’il demandait :
-Tu vas bien ? Je te trouve un peu maigre et bien pâle…
-Oui… Ca va… Juste un petit coup de fatigue. J’ai été un peu malade la semaine dernière et je suis encore un peu flagada, mais ça va… T’inquiète, insista-t-elle en envoyant une bourrade à son beau-frère pour lui prouver qu’elle était encore solide.
-OK… Je te crois…,concéda Thomas en se frottant le haut du bras avec une grimace : malade ou pas, elle avait un sacré crochet la gamine !
-Alors qu’est-ce qui t’amène ici ? reprit-il.
-Ben… J’aurais besoin que vous m’hébergiez quelques jours. Je suis juste de passage et… je n’ai pas très envie de descendre à l’hôtel.
«Ou tu n’as pas trop les moyens de te le payer », formula le serveur en lui-même en constatant, une fois de plus, combien la sœur de son amant paraissait frêle et négligée. Un moment il se demanda si elle n’était pas en bien plus mauvaise santé qu’elle ne l’avouait, mais il savait qu’il ne servirait à rien de la brusquer à ce sujet. De toute façon, si elle avait quelque chose à leur dire, elle finirait par le faire : c’était d’ailleurs peut-être la raison de sa demande d’asile provisoire.De toute façon, Florian serait heureux de revoir sa sœur, même si parfois les rapports entre eux étaient tendus. Donc il n’hésita pas une seconde :
-Oui, bien sûr… Aucun souci.
-Génial ! Je peux déposer mes affaires maintenant ? Je suis en taxi…
-Sauf qu’on n’habite plus ici, répliqua Thomas avec un grand sourire.
-Comment ça ? Vous habitez où ?
-Hé… Inutile de t’affoler ! On n’est pas partis à l’autre bout du monde non plus ! Forian nous a acheté une jolie maison à vingt minutes d’ici. Tu verras, c’est vraiment joli ! Et en plus tu auras une chambre pour toi toute seule.
-Vraiment ? Ca c’est le pied ! sourit la jeune femme avant de reprendre : mais… tu vas pouvoir quitter ton service ?
-Ah non ! Roland me tuerait si je le lâchais à une heure du déjeuner. Surtout qu’avec les vacances de Noël, les rues ne désemplissent pas.
-Oh… On fait comment alors ?
De nouveau elle lui sembla paumée, fragile, comme s’il y avait quelque chose qu’elle ne pouvait ou ne voulait pas dire et de nouveau il s’interdit de la brusquer :
-C’est simple : je t’indique l’adresse, je te donne les clés et je te rejoins là-bas dès mon service terminé.
-C'est-à-dire ?
-Vers quinze heures j’espère.
-Mais… pour ce soir…
-Je vais prévenir mon père et lui demander de ne revenir que vers dix-huit heures. Comme ça on passe un petit moment ensemble, le temps que ton frangin débarque.
A cette mention Patricia eut une petite grimace qui n’échappa pas à Thomas :
-Arrête, je suis sûr qu’il sera ravi de te voir.
-Ouais… On peut toujours le croire. Comment il va monsieur le juge ?
-Il va très bien. Et arrête de l’appeler monsieur le juge ! Bon sang… Est-ce que vous allez vous décider à grandir un peu tous les deux ? gronda-t-il, se demandant s’il allait, une fois de plus, devoir jouer les arbitres entre le frère et la sœur qui, bien que s’adorant, se ressemblaient trop pour ne pas se heurter.
-Je ne sais pas, répliqua-t-elle avec cette petite moue enfantine qu’il aimait tant. C’est sympa d’être un gamin non ?
-Thomas ! J’ai besoin de toi !
La voix de Roland, venue des cuisines, les interrompit et Thomas grimaça :
-Désolé, le devoir m’appelle.
-Je comprends, c’est moi qui aurais dû me douter qu’à cette heure-ci tu ne serais pas vraiment disponible.
Il fouilla rapidement dans sa poche et en sortit un trousseau de clé, puis il griffonna une adresse sur une page de calepin.
-Tiens… Va là bas et fais comme chez toi. Je te rejoins dès que possible.
-Tu n’as pas peur que je fiche le souk ?
-Si c’est le cas tu t’arrangeras avec ton cher frère. Allez file avant que je ne me fasse étriper par mon père, acheva-t-il tandis que la voix de Roland s’élevait de nouveau, exaspérée.
Elle se détourna puis revint vers lui et se jeta dans ses bras. Il resserra son étreinte autour d’elle à la fois étonné et ému de ce geste d’affection.
-Je t’aime Thomas, murmura-t-elle en s’arrachant à ses bras.
-Je t’aime aussi Pat, répondit-il avant de demander : Tu es sûre que tout va bien ?
-Oui. Maintenant j’en suis sûre, fut la réponse sibylline de la jeune femme qui s’enfuit avant qu’il ne puisse poser une nouvelle question.
Il hocha la tête, mi attendri, mi agacé, se refusant d’écouter cette drôle de petite voix qui lui murmurait de courir derrière elle et de lui demander ce qu’il y avait vraiment derrière sa visite. Après tout se raisonna-t-il, il allait la revoir quelques heures plus tard : il serait temps alors de chercher à démêler l’écheveau, si écheveau il y avait.
Dans le taxi Patricia se laissa aller en arrière, soulagée : tout allait bien. Maintenant elle allait pouvoir se détendre et, dans quelques heures elle pourrait définitivement tourner cette page.
Thomas se dépêcha de rejoindre son père qui venait d’apparaître sur le seuil de la salle, tempêtant après lui. Il se concentra alors sur le service à venir, repoussant le souvenir de Patricia et le pressentiment qu’il aurait peut-être dû lui accorder plus de temps. Il pensait pouvoir approfondir les choses très vite et cela le tranquillisa et lui permit de rester disponible pour les clients qui commençaient à arriver. Il ignorait qu’il se passerait des années avant qu’il ne revoit de nouveau la jeune femme qu’il imaginait retrouver quelques heures plus tard.
*****
-Thomas ? Tu en as encore pour longtemps ? Tu as bientôt terminé ?
Thomas soupira : évidemment, en cette période le service se prolongeait bien au-delà de ses horaires habituels. Les chalands profitaient de cette journée plutôt douce, à seulement quarante-huit heures de Noël, pour compléter leurs achats et à chaque fois qu’il semblait au serveur que la salle se désemplissait, une nouvelle vague de retardataires arrivait. Il jeta un coup d’œil à la pendule au-dessus du bar : 14 H 10 et encore une bonne vingtaine de personnes qui attendaient ses services.
Alors non, il n’en avait pas bientôt terminé répliqua-t-il à Patricia qui venait de l’appeler. Et si cela continuait ainsi, au moment où il pourrait enfin se reposer, il serait déjà temps de préparer le service du soir ! Décidément la jeune femme n’avait pas choisi son jour pour
réapparaître.
-Ecoute… Tu t’installes tranquillement. Et si jamais je ne peux pas me libérer on profitera de la soirée pour discuter un peu. Et puis Florian doit terminer vers dix-sept heures aujourd’hui donc vous pourrez passer un peu de temps ensemble. Je suis sûr qu’il sera ravi de pouvoir avoir un peu sa petite sœur pour lui tout seul.
-Ouais… On va dire ça comme ça, répliqua Patricia d’un ton rien moins que convaincu avant de raccrocher d’une manière que Thomas jugea un peu sèche.
Mais à quoi pouvait-elle bien s’attendre ? se dit-il tout en se dirigeant vers de nouveaux arrivants. Elle déboulait comme ça au bout de… ça faisait quoi déjà ? huit ou neuf mois ? Neuf mois tout juste, comment pourrait-il jamais oublier cette période conclut-il ? Oui, neuf mois… et il aurait fallu s’occuper d’elle toutes affaires cessantes, l’accueillir comme la fille prodigue et tuer le veau gras pour elle ! Et bien non ! Il était temps que mademoiselle Estève se rende compte que le monde ne tournait pas exclusivement autour d’elle. Un instant il se demanda s’il devait avertir Florian : peut-être celui-ci pourrait-il se libérer plus tôt et ainsi la jeune femme ne se sentirait pas esseulée dans une maison qu’elle ne connaissait pas. Et puis il y renonça : son compagnon lui avait signifié qu’il avait plusieurs entretiens dans l’après-midi et qu’il ne serait donc pas disponible, mais qu’il comptait bien quitter le bureau à dix-sept heures tapantes histoire d’avoir un petit moment avec lui avant qu’il ne reparte prendre son service du soir. Et la manière dont il l’avait regardé en parlant de ce « petit moment » avait fait courir un délicieux frisson d’anticipation le long de la colonne vertébrale de Thomas qui n’avait eu aucun mal à comprendre comment Florian comptait l’occuper ce moment-là. Il soupira : encore un plan qui tombait à l’eau ! Parce que même s’il parvenait effectivement à se libérer, et rien n’était moins sûr étant donné la tournure que prenaient les choses, hors de question de s’en tenir à leurs projets premiers avec Patricia à la maison !
*****
La jeune femme tournait en rond : sa nervosité s’accroissait au fur et à mesure que les minutes s’égrenaient. Elle ne pouvait pas rester là, elle ne voulait pas rester là ! Elle avait fait ce qu’elle avait à faire et maintenant elle n’avait plus qu’une envie en tête : partir, partir loin et ne plus revenir, reprendre son envol et sa précieuse liberté, celle qui lui faisait refuser toute relation suivie, toute chaîne quelle qu’elle soit. Celle aussi qui la conduisait, trop souvent, à faire le mauvais choix et à se trouver dans des situations inextricables dont elle ne parvenait pas toujours à sortir à son avantage.
Mais pour une fois elle était sûre d’avoir choisi la bonne option. Seulement désormais elle brûlait de tourner cette page et de reprendre sa vie là où elle l’avait arrêtée quelques mois plus tôt. Elle savait qu’une fois qu’elle aurait quitté cette maison elle n’y reviendrait pas de sitôt, à la fois pour ne pas affronter les reproches des deux hommes, ceux de Florian surtout qu’elle allait décevoir, une fois de plus, une fois de trop peut-être, mais aussi parce qu’elle ne voulait pas risquer de se laisser piéger de quelque façon que ce soit. Elle était faite pour être libre, même si, par moments, elle partageait sa vie avec un compagnon qu’elle voulait de passage et qui, malheureusement, était trop souvent encore plus paumé qu’elle. Se poserait-elle un jour ? Trouverait-elle ce qu’elle cherchait de ville en ville, de bras en bras ? Elle ne le savait pas et elle s’en fichait un peu. Sa vie lui convenait telle qu’elle était : sans but, sans entrave, sans obligation… Et tant pis si personne ne comprenait ses choix.
Elle jeta un coup d’œil nerveux à la pendule : 15 h 45 ! Et cet après-midi qui n’en finissait pas ! Elle vérifia que tout était conforme : les formulaires, les lettres, toute cette paperasse qui devait rendre les choses légales. Son sac était posé auprès de la porte : il n’était pas très lourd, elle n’y avait entassé que le strict nécessaire. Son billet d’avion dépassait de la poche extérieure : aussitôt quittés les lieux elle s’envolait pour cette île au soleil où l’une de ses amies l’avait invitée à venir l’épauler dans sa petite affaire. Ca tombait juste bien : un petit boulot qui l’occuperait le temps de se reconstituer un pécule suffisant, un endroit où on ne la chercherait pas, le soleil et la mer… Juste de quoi arrêter de penser et recommencer à exister. Elle évita de regarder vers le canapé où était installé son « cadeau » : elle refusait de se poser des questions, d’hésiter…
15 h 50 ! Elle voulait partir, fuir, ne plus jamais revenir ! Pourtant elle savait qu’elle ne le pouvait pas, pas encore, pas tant qu’elle n’était pas sûre que Thomas allait rentrer très vite.
A ce moment-là elle entendit le moteur et se rua vers la fenêtre, se demandant qui cela pouvait être : Thomas se serait-il finalement libéré ? Lorsqu’elle vit son frère descendre de voiture son cœur fit un bond dans sa poitrine : elle aurait aimé se jeter dans ses bras, l’embrasser, lui demander de ses nouvelles. Visiblement il allait bien si elle en jugeait par sa silhouette un peu moins élancée que dans son souvenir et surtout cet air de jeunesse peint sur son visage, un air qu’elle ne se souvenait pas lui avoir vu, même dans leur jeunesse justement. Oui, Florian avait l’air heureux et elle n’avait pas le droit de bouleverser ce bonheur. Et puis elle savait que s’il refermait ses bras sur elle, elle était perdue : elle se laisserait prendre à ses mots, à ses promesses et elle n’aurait plus la force de repartir.
Alors elle saisit son sac, le jeta sur son épaule et, sans un regard, elle s’enfuit par la porte arrière, se faufilant habilement le long de la maison pour regagner la route où elle marcha d’un bon pas jusqu’à la station de taxi qu’elle avait repérée en venant. Moins de cinq minutes après avoir quitté la maison, elle était en route pour l’aéroport, retenant les larmes qui lui montaient aux yeux malgré elle : pleurer n’arrangerait rien ! Elle avait fait son choix, c’était le meilleur, pour elle et pour tout le monde ! Maintenant elle devait aller de l’avant et vivre sa vie, c’était ce qu’elle avait toujours désiré !
Quelques heures plus tard, elle embarquait à bord de l’avion qui l’emmenait vers sa nouvelle destination et elle décida d’oublier tout ce qu’elle avait vécu durant l’année écoulée : tout cela n’avait jamais existé, c’était juste une parenthèse, une parenthèse qu’elle refermait définitivement.
*****
En arrivant à la maison, Florian souriait. Il adorait cette propriété, il adorait la vie qu’ils y menaient tous les deux. Lorsqu’Elodie venait les voir, elle était toujours enchantée de l’espace dont elle disposait dorénavant. Et puis ils étaient un peu à l’écart des amis, de la famille, de toute la foule du Mistral, certes plutôt bon enfant, mais parfois un peu envahissante. Ils avaient tout pour être heureux !
Bien sûr, parfois, il voyait un peu de nostalgie dans le regard de son compagnon et il savait que celui-ci, à ce moment-là, pensait à cet enfant qu’ils n’auraient jamais parce que la loi française le leur refusait. Mais cela ne durait jamais bien longtemps. Thomas était trop sage, malgré les apparences, pour se désoler de ce qu’il n’avait pas en négligeant ce qu’il avait.
Oui, ils étaient heureux, enfin heureux. Après les tempêtes, les errances, les naufrages, après tout ce qu’ils avaient traversé, leurs querelles, leurs bouderies, leur séparation… ils étaient heureux. Et parfois Florian avait peur que ce bonheur si fragile ne vole en éclat pour rien, une broutille, un regard croisé qui ravirait le cœur de son compagnon, un dossier sensible qui le mettrait en danger, un malentendu qui les dresserait l’un contre l’autre…
Alors chaque fois qu’il le pouvait, il s’efforçait de montrer à Thomas combien il lui était précieux, combien la vie auprès de lui était ce dont il avait toujours rêvé, ce qu’il n’abandonnerait pour rien au monde. C’était pourquoi, ce jour-là, il avait prétendu ne pas pouvoir être joint de l’après-midi. Il voulait faire une surprise à son homme, et il avait acheté tout ce qu’il fallait pour ça. Il imaginait déjà le sourire ravi de son compagnon lorsqu’il pénètrerait dans la maison et l’y trouverait, puis sa mine attendrie en voyant ce qu’il lui avait préparé, et il anticipait déjà la manière délicieuse dont tout cela se terminerait.Oui, le juge Estève, à l’instant où il mit la clé dans la serrure était l’homme le plus heureux de la Terre.
Ce bonheur se ternit un peu lorsqu’il s’aperçut que la porte n’était pas fermée à clé : mais à quoi pensait donc Thomas ? tempêta-t-il intérieurement. Il allait devoir lui faire la morale, une fois de plus ! Allait-il un jour grandir et agir en adulte ? Ce n’était tout de même pas bien compliqué que de penser à donner un tour de clé !
Puis en pénétrant dans la grande pièce à vivre, il sut que quelque chose n’allait pas. Son regard se posa sur la table et il y vit des papiers qu’il ne se souvenait pas avoir laissés là le matin. Et il voyait mal Thomas commencer à faire du courrier avant d’aller prendre son boulot, lui qui avait déjà tant de mal à émerger que tenir une conversation cohérente lui était parfois bien difficile. Et puis il y avait ce parfum qui flottait dans la pièce et qui n’était ni celui de son amant, ni le sien… Quelqu’un était-il dans la maison ? Son cœur se serra un peu à cette idée : et si on l’attendait dans un coin pour s’en prendre à lui ?
Abandonnant l’idée de regarder les papiers, il décida d’abord de faire un tour du propriétaire afin de s’assurer qu’aucun intrus ne se cachait dans un recoin. Quelques minutes plus tard, rassuré, et après avoir donné un tour de verrou à la porte arrière, elle aussi ouverte (décidément il fallait qu’il ait une conversation SERIEUSE avec Thomas), il revint à la grande pièce et se dirigea vers les enveloppes et formulaires qui avaient attiré son attention. Il prit le premier et il lui sembla que son cœur s’arrêtait de battre : ce n’était pas possible ! C’était simplement un cauchemar ! Un horrible cauchemar ! Lui qui était si heureux l’instant d’avant ! Comment tout cela pouvait-il s’effondrer comme ça, en quelques secondes, juste à cause d’un nom écrit sur une ligne d’un formulaire officiel…
Il fut arraché à sa contemplation douloureuse par un bruit venu du canapé, un bruit qu’il aurait reconnu entre mille. Il s’approcha du grand meuble qui avait si souvent abrité leurs ébats et, derrière le dossier, il aperçut la cause du son qui l’avait attiré. Bien sûr, cela allait de soi, c’était tout à fait cohérent avec ce papier qu’il tenait en main. C’était la preuve que tout ce qu’il avait cru posséder n’était bâti que sur du vent !
Alors qu’il restait figé, regardant alternativement le formulaire et le canapé, il entendit vaguement la porte s’ouvrir.
-J’ai cru que je n’en finirais jamais ! Mais… Tu es déjà là ?
La voix de Thomas lui fit l’effet d’un électrochoc. Il se tourna vers lui et son compagnon s’arrêta net sur le seuil, douloureusement impressionné par la pâleur de son amant en même temps que par la mine sévère qu’il arborait, cette physionomie « juge d’instruction » qui n’augurait jamais rien de bon. Rapidement le barman passa en revue ce qu’il avait bien pu faire qui aurait ainsi contrarié Florian et ne trouva rien. A moins que le fait qu’il n’ait proposé d’héberger Patricia…
-Florian… Qu’est-ce qui ne va pas ? questionna-t-il, la gorge un peu serrée par l’appréhension.
-Ce qui ne va pas ? éclata alors le juge. Ce qui ne va pas ? Tu n’aurais rien à me dire par hasard ?
-Non… Je ne vois pas… Euh… Patricia ? tenta-t-il d’une voix incertaine, ne comprenant pas pourquoi son compagnon se mettait dans cet état alors qu’il s’agissait de sa sœur à lui.
-Patricia ! Oui, justement ! Patricia ! Comment as-tu pu Thomas ! Comment as-tu pu me faire ça !
La colère qui grondait en lui enflait au fur et à mesure qu’il regardait l’air abasourdi de son amant. Visiblement celui-ci n’avait pas l’air de trouver la situation si grave, c’était bien la preuve que tout ce qu’il lui avait dit n’était que mensonges !
-Il n’y a tout de même pas de quoi en faire un plat ! rétorqua Thomas qui commençait, lui aussi à sentir la moutarde lui monter au nez.
-Pas de quoi en faire un plat ? Tu couches avec ma sœur ! Tu lui fais un gosse et… je ne devrais pas en faire un plat !
La Terre se serait entrouverte devant ses pieds, Thomas n’aurait pas été plus étonné que par les paroles de Florian.
-De quoi tu parles ? finit-il par proférer d’une voix un peu incertaine.
-Je parle de ça ! hurla son amant en lui brandissant le papier sous le nez et de ça ! hurla-t-il plus fort encore en montrant le canapé d’où s’échappèrent, simultanément, deux cris qui firent sursauter le barman qui, jusqu’à présent, n’avait pas vu les deux couffins qui y étaient déposés.
Au bord de l’évanouissement, il tituba vers le sofa et, les yeux exorbités, il regarda les deux bébés qui hurlaient maintenant à pleins poumons de ce cri crispant qui est l’apanage des nouveau-nés.
-Qu’est-ce que…, commença-t-il.
Florian le coupa, d’une voix tremblante de colère et mordante d’une ironie désespérée :
-Et bien on dirait que ce sont tes enfants ! Ceux que tu as fait à ma petite sœur tandis que je gisais sur un lit d’hôpital ! Bravo ! Je vois que tu n’étais pas trop inquiet pour moi finalement ! Et félicitations !Deux d’un coup ! Tu es un champion Marci !
Epouvanté, Thomas se tourna vers Florian : ce n’était pas possible, ça ne pouvait pas s’être produit ! Il se souvenait effectivement de ce qui s’était passé neuf mois plus tôt : Florian renversé par le père d’un homme qu’il avait envoyé en prison, entre la vie et la mort à l’hôpital et Patricia, prévenue, qui était accourue pour le soutenir dans l’épreuve. Il se souvenait de ce soir où enfin son juge avait été déclaré hors de danger. Avec Patricia ils avaient joyeusement fêté la nouvelle : ils avaient bu une bouteille de champagne à eux deux et continué la soirée avec les délicieuses cigarettes apportées par la jeune femme de son voyage aux Pays-Bas. Ensuite… ensuite il se souvenait seulement s’être réveillé au milieu d’un drôle de champ de bataille, nu comme à son premier jour et d’avoir découvert Patricia à ses côtés, dans un aussi simple appareil que lui.
Il s’était longtemps torturé pour tenter de se souvenir de ce qui s’était passé ce soir-là : est-ce qu’ils avaient ? Non ! Il ne pouvait pas l’envisager. Les femmes ne lui avaient jamais fait aucun effet ! Et celle-là… c’était comme sa sœur ! Il aurait aimé en avoir le cœur net mais Patricia n’avait pas plus de souvenirs que lui et les doutes étaient restés. Ensuite il s‘était demandé s’il devait en parler à Florian, mais comment faire ? D’abord son juge avait été bien trop faible pour qu’il envisage de le bouleverser ainsi, ensuite il y avait eu la rééducation, douloureuse, et il était trop fatigué… Puis… la maison, les projets… Non… Il n’y avait jamais eu de bons moments. Sans compter qu’il n’était pas sûr et qu’il préférait penser qu’il ne s’était rien passé.
Mais visiblement il s’était bien passé quelque chose conclut-il, désemparé devant le regard empli de colère mais surtout de souffrance que son compagnon posait sur lui :
- Florian, dit-il en faisant un pas vers lui, laisse-moi t’expliquer…
-M’expliquer quoi ? ricana son amant douloureusement. Tu crois que je ne sais pas comment ça marche ? Pour le reste tu vas me dire que tu avais trop bu, que tu étais perdu, que tu ne savais pas ce que tu faisais…
-Oui, c’est…
-Non ! C’est trop facile ça Marci ! Beaucoup trop facile ! Mais, félicitations ! Toi qui voulait un môme tu en as deux pour le prix d’un !Alors amuse-toi bien avec ta progéniture !
Et avant qu’il ne puisse le retenir, Florian quitta la maison, partant droit devant lui. Il avait l’impression d’étouffer : il voulait fuir le plus loin possible et ne jamais revenir ! Comment Thomas avait-il pu lui faire ça ? Et avec sa propre sœur en plus ! Si au moins il avait choisi quelqu’un d’autre ! Non… Ca aurait été tout aussi écoeurant. Et lui qui se croyait si heureux ! Quel con il avait été !
Thomas s’élança pour rattraper son compagnon puis fut arrêté par les cris des bébés. Quoi qu’il en pense, quoi qu’il en soit, il devait s’occuper de ces deux bouts de choux qui n’étaient pour rien dans les histoires d’adultes ! Il était la cause de leur arrivée sur Terre, il devait assumer ! Heureusement qu’il avait déjà donné un coup de main à des amis en charge de tout petits, songea-t-il tandis que, durant les deux heures qui suivirent, il nourrit les nouveau-nés avec les biberons qu’il trouva dans le sac posé entre les couffins, puis les changea avant de les recoucher tendrement. Déjà il les aimait ces petits bouts : un garçon, une fille !
Son cœur était arc-en-ciel : il saignait du départ de Florian et s’inquiétait de ce que celui-ci allait décider, s’affolait à l’idée qu’il puisse le quitter, et d’un autre côté il se réjouissait de l’arrivée des bébés, ses bébés, des enfants qu’il allait pouvoir choyer et qui éclaireraient sa vie. Tandis que les petits s’endormaient,il téléphona à son père en lui disant qu’il ne pouvait pas venir le soir et qu’il lui expliquerait tout le lendemain. Roland tempêta, menaça, insulta, mais ça avait du bon d’être le fils du patron et celui-ci dut bien se résigner à trouver un remplaçant au pied levé à son lâcheur de fils qui verrait son salaire amputé de celui de son remplaçant, conclut le père tout en s’inquiétant tout de même de savoir si son rejeton n’était pas malade.
-Non… Ca va…, le rassura Thomas.
-Ouais… Quand tu me dis ça va de ce ton là, ça veut dire que tu t’es encore embrouillé avec Florian. Qu’est-ce qu’il a encore fait ce grand couillon ?
-Rien ! Il n’a rien fait du tout papa, je t’assure. C’est moi.
-Evidemment ! Et tu as fait quoi toi, grand couillon ?
-C’est compliqué… Je te dirai tout ça demain.
-Il est où Florian ?
-Je sais pas.
-Humf…. Décidément, vous ne pourrez jamais rien faire comme tout le monde vous autres ! Bon, tu m’appelles si tu as besoin de quelque chose fils.
-OK… Merci.
Thomas raccrocha, rasséréné par ce court entretien : au moins il avait un allié qui ne le lâcherait jamais ! Ramené à sa préoccupation première, il se dirigea vers les papiers laissés sur la table et les passa en revue : un certificat de naissance sur lequel était mentionné que la déclaration en mairie devait avoir lieu dans les vingt-quatre heures désormais, il devrait y aller le lendemain, un formulaire d’abandon des droits parentaux signé par Patricia, un autre de reconnaissance en paternité qu’il devrait remplir et deux lettres cachetées : l’une qui lui était adressée, l’autre qui était pour Florian.
Il s’assit à côté des enfants qui dormaient comme des bienheureux et lut la lettre : les larmes lui montèrent aux yeux, quel gâchis ! S’il avait su plus tôt ! Il devait parler à Florian ! Il tenta de l’appeler, mais la sonnerie du portable résonna dans le salon : évidemment, son homme était parti sans rien. A ce souvenir, il s’inquiéta : et s’il allait attraper froid ! La nuit était désormais tombée et la température avoisinait les cinq degrés, il fallait que Florian rentre.
A peine eut-il émis cette idée qu’il entendit la porte s’ouvrir. Il se redressa et fit face à son amant, frigorifié, qui le regarda d’un air lamentable. La colère avait fait place à une souffrance qui lui serra le cœur. Il s’élança vers lui et le prit dans ses bras :
-Florian ! Enfin ! Mon Dieu ! Tu es gelé ! Viens te réchauffer !
Il l’installa au coin du feu, dans le grand fauteuil où ils aimaient se blottir l’un contre l’autre. Il remarqua le raidissement de son compagnon au moment où ils passèrent devant le canapé :
-Tout va bien… Je vais t’expliquer. S’il te plaît, laisse-moi t’expliquer, pria-t-il.
Il voulait juste avoir l’occasion de lui parler, de lui faire comprendre. Si Florian repartait il le perdrait à jamais. Mais le juge était trop fatigué, trop déboussolé pour avoir encore l’énergie de s’indigner, de se mettre en colère. Dans sa fuite éperdue, droit devant lui, il avait abouti dans un square et s’était assis sur un banc. Et là, la colère avait fait place au chagrin : il ne comprenait pas et il avait besoin de comprendre. Il voulait à toute force qu’il y ait encore un espoir pour Thomas et lui, il refusait d’abdiquer ainsi, pas après tout ce qu’ils avaient traversé ensemble. La raison lui revenant, il se dit que fuir n’était pas la bonne solution : il devait écouter ce qu’avait à lui dire son compagnon et ensuite seulement prendre une décision. C’était ainsi qu’il procédait chaque jour dans son métier : serait-il moins juste dans sa vie privée ?
Alors il avait décidé de rentrer pour s’expliquer avec Thomas, savoir ce qu’il en était vraiment.
Et maintenant, recroquevillé dans le grand fauteuil, une couverture sur les épaules et une tasse de chocolat chaud entre les mains, il se demandait s’il avait fait le bon choix. Son regard était irrémédiablement attiré par les deux couffins où dormaient les objets denla discorde. Comment pourrait-il jamais faire comme s’il ne s’était rien passé alors que ces deux enfants seraient toujours là pour le lui rappeler ? Il était évident que Thomas les couvait déjà d’un regard de père et que s’il lui demandait de choisir entre eux et lui son choix, même déchirant, irait vers ceux qui méritaient sa protection et qui n’avaient pas eu d’autre choix que d’arriver dans un monde qui n’avait pas besoin d’eux. Ces enfants étaient son neveu et sa nièce, il se devait aussi de leur apporter son soutien, de les guider… Pourquoi tout était-il si compliqué ?
-Tiens, je pense que tu devrais trouver quelques réponses.
Thomas lui reprit la tasse des mains et la posa sur la table basse, lui tendant une lettre à son nom. Il l’interrogea du regard :
-Patricia nous a laissé une lettre à chacun, voici la tienne.
Il n’était pas vraiment sûr d’avoir envie de lire ses excuses, ses explications foireuses, ses ébauches de raisonnement pour lui avoir volé son amour, ne serait-ce que l’espace d’une soirée. Mais il était venu chercher des réponses et sans doute cette lettre lui en apporterait certaines. Il décacheta donc l’enveloppe et se plongea dans la missive :
Mon grand frère adoré,
Je sais qu’en ce moment tu dois me maudire. J’espère seulement que le pauvre Thomas n’a pas fait les frais de ta colère et que, pour une fois,tu as réfléchi avant de t’emporter. Parce que Thomas n’a absolument rien à se reprocher, je t’en donne ma parole. Il y a neuf mois, lorsque je suis venue ici, il ne s’est rien passé entre nous.
Quand on t’a déclaré sauvé, on a fait la fête tous les deux : on a un peu trop bu et fumé… Je sais, je sais monsieur le juge, je plaide coupable, on n’aurait pas dû ! Mais dis-toi que c’est parce qu’on était heureux pour toi ! Alors j’étais un peu partie, un peu pompette et j’ai eu une envie folle de faire l’amour. Ben oui, l’alcool et l’herbe ça me fait souvent cet effet là, désolée de te choquer ô mon vertueux frère qui n’a jamais abusé de l’un ni consommé de l’autre !
Je me suis donc jetée au cou de ton Thomas, qui était plutôt parti lui aussi. Et figure-toi qu’il n’a rien pu faire ! Tu imagines ma déconvenue ! D’un autre côté, le lendemain, dégrisée, j’étais plutôt contente qu’il ne se soit rien passé. Quant à lui il ne se souvenait de rien et il angoissait. Alors, par petite vengeance féminine, je lui ai dit que je ne gardais aucun souvenir non plus, juste histoire de le laisser mariner un peu.
Je comptais lui dire la vérité très vite et puis… tu me connais… ça m’est complètement sorti de la tête !Environ un mois plus tard j’ai fait la connaissance d’un mec un peu barré. On a eu une aventure… et je suis tombée enceinte. Quand je m’en suis aperçue il était trop tard pour avorter alors j’ai paniqué : je ne voulais pas de ce môme ! Je ne suis même pas capable de prendre soin de moi, j’aurais fait quoi avec un moutard sur les bras ! Je suis allée voir l’assistante sociale qui m’a parlé d’accouchement sous X, d’adoption… et soudain j’ai pensé à Thomas. Pendant que tu étais dans le coma on a beaucoup parlé tous les deux et il m’a confié qu’il rêvait d’avoir un gosse mais que vraisemblablement ce ne serait jamais possible. Bien sûr il m’a dit aussi qu’il s’en foutait, qu’il préférait ne pas avoir de gosse en vivant avec toi que d’en avoir un en vivant sans toi. Alors j’ai dit à l’assistante sociale que j’allais donner le gosse à son père.C’était la solution : et je me suis renseignée pour savoir comment faire pour que la garde lui soit confiée légalement.
Et lors de la première échographie, trois jours plus tard, j’ai eu la mauvaise surprise d’apprendre qu’il n’y avait pas un mais deux chiards à venir ! Ce qui explique que j’ai accouché un petit mois avant terme. Les bébés allant très bien et n’ayant pas besoin de couveuse, je les ai emmenés au bout de quarante huit heures, comme j’en avais le droit. Vous ferez ce que vous voudrez… C’est votre problème désormais. Mais je crois savoir ce que vous déciderez.
A tous ceux qui m’ont posé la question, j’ai indiqué Thomas comme étant le père des gamins. En plus c’est génial, parce que Thomas étant le père déclaré et toi l’oncle maternel, s’il arrive quoi que ce soit à Thomas (Dieu sait que je ne l’espère pas mais malheureusement on ne sait jamais), tu pourras garder les mômes, sile cœur t’en dit bien sûr.
Alors je crois que, pour une fois, j’ai tout bien fait monsieur le juge : déclaration d’abandon, déclaration de paternité que Thomas devra remplir, la déclaration d’état civil est à faire avant demain soir (tu sais bien sûr que tu as trois jours pour la remplir), les papiers de la maternité sont dans l’enveloppe kraft avec les premiers examens des gamins. Ah, et je ne leur ai pas donné de prénoms : ce ne sont pas mes mômes mais les vôtres,à vous de vous y coller.
Je sais, j’aurais pu vous dire ça de vive voix, mais je n’ai pas osé. Je n’avais pas envie d’affronter ta colère ou ta pitié, ou que tu essaie de me faire revenir sur ma décision. Je ne suis pas faite pour être mère, en tout cas pas pour le moment. Ces gosses je les ai portés huit mois, c’est tout ce que j’ai envie de faire pour eux. Quand même je vais rester avec eux jusqu’à ce que toi ou Thomas arriviez : je ne suis pas complètement inconsciente, malgré ce que tu peux penser. Mais s’il vous plaît, n’essayez pas de me retrouver. J’ai besoin de vivre ma vie. Plus tard, peut-être que je viendrai faire la connaissance de mes « neveux », vous leur direz si vous voulez que je suis leur mère, ça m’est égal. D’ailleurs non, je ne serai jamais leur mère : leur génitrice au mieux… Pour le reste ils vont avoir deux papas formidables et ils seront heureux, je le sais.
Je t’embrasse grand frère et ne sois pas trop en colère contre moi. Considère que je viens de vous faire un joli cadeau de Noël… Je t’entends d’ici maugréer : « cadeau empoisonné », mais je suis sûre que tu vas très vite l’apprécier.
Bisous.PatriciaFlorian laissa tomber la lettre et croisa le regard anxieux de Thomas posé sur lui :
-C’est vrai ?
-Tout ce qu’il y a de plus vrai mon amour. Si tu savais comme j’ai eu peur !
-Peur ?
-Oui, je ne me souvenais pas de cette putain de nuit ! J’avais tellement peur de t’avoir trahi, peur de te perdre !
Florian se leva et alla prendre son compagnon dans ses bras :
-Pardon Thomas, pardon d’avoir douté de toi. J’aurais dû t’écouter avant de m’emporter.
-Il faut avouer que les apparences étaient contre moi, concéda le barman en offrant ses lèvres à son amour qui ne se fit pas prier pour les prendre.
Leurs corps se serrèrent plus fort et leurs mains commencèrent à se glisser sous les vêtements tandis que le désir grandissait entre eux. Alors que Thomas entreprenait de déboucler la ceinture du pantalon de son homme, un vagissement interrompit son geste. D’un même mouvement les deux hommes se tournèrent vers les couffins où les jumeaux s’agitaient :
-Et oui, déclara Florian d’une voix faussement découragée, il va falloir s’y faire ! Désormais les câlins risquent fort d’être compromis. Ces deux démons vont nous prendre tout notre temps.
-Tu es d’accord pour qu’on les garde alors ? chuchota Thomas, ivre de joie. Même si ce ne sont pas mes enfants ?
-Ce sont toujours mes neveux et puis, les liens du sang ne sont pas les plus importants. Tu les aimes déjà, je le vois, et c’est tout ce dont ils ont besoin, d’amour.
-Et pour les câlins on trouvera toujours un moyen. Tu vois, ça fait environ trois heures qu’ils pioncent… On aurait eu largement le temps.
-Ouais… On en reparlera lorsque tu auras deux mois de nuits blanches dans les pattes. Les trois heures entre deux biberons, tu pionceras aussi, je te le garantis, rigola Florian, se souvenant des premiers mois avec Elodie.
Et là, ça allait être multiplié par deux !
Les vagissements se transformant en cris, les deux hommes se hâtèrent d’aller prendre les bébés et de leur donner les soins qu’ils réclamaient, chacun s’attendrissant de voir l’autre avec ce petit être dans les bras. Lorsque les jumeaux reposèrent à nouveau dans leurs couffins, dûment nourris et changés, les deux hommes étaient désormais leurs pères et rien ni personne ne pourrait briser ce lien qui venait dese créer.
Le reste de la nuit, ils le passèrent à discuter, à envisager les aménagements à apporter : dans un premier temps la chambre d’ami deviendrait celle des bébés, ensuite, il serait temps de voir. Pragmatique, Florian fit une liste de ce qu’ils avaient à faire le lendemain : d’abord passer à la mairie, puis acheter le mobilier, des vêtements, des biberons, une poussette double, des sièges auto… A peine arrivés et ils leur coûtaient déjà un mois de salaire tempêta-t-il, faussement indigné mais si heureux de la joie manifeste de son amour, et ravi finalement d’avoir à partager avec lui cette responsabilité qui allait cimenter leur couple.
Ensuite vint la discussion sur les prénoms : ce n’est déjà pas facile de choisir un prénom lorsqu’on a neuf mois pour s’y préparer et ils n’avaient que quelques heures. Enfin, après l’une des plus belles nuits blanches dont ils se souviendraient lorsqu’ils atteindraient cet âge où on défile son passé parce qu’on n’a plus vraiment d’avenir, ils avaient pris toutes les dispositions nécessaires pour de couple, devenir une famille.
Le lendemain Thomas appela son père et Florian son travail pour annoncer qu’ils ne pouvaient pas venir, le premier promettant à Roland de lui expliquer, preuves à l’appui, la raison de sa défection, le second prétextant une urgence familiale dont il se justifierait quatre jours plus tard, le lendemain étant le 24 décembre qu’il avait déjà posé en congés pour pouvoir rester avec son compagnon jusqu’au matin du 27, ne se doutant nullement qu’il serait alors en « famille ».
*****
A dix heures, deux hommes aux traits un peu tirés, poussant un double landau où reposaient deux adorables poupons, franchirent les portes de l’état civil de la mairie et tendirent au préposé les documents en annonçant, d’un air triomphant :
-Nous venons déclarer la naissance de Valentin Roland Florian et Ophélie Sybille Patricia Estève-Marci.
Ce Noël là fut l’un des plus merveilleux que connut la famille : tout le monde, à commencer par Elodie, s’émerveillait devant les jumeaux qui, indifférents au fait d’être les rois de la fête, se contentèrent de dormir dans leurs couffins, ne se manifestant que pour réclamer un biberon ou une couche propre. Le papa et le dadou étaient aux anges et le grand-père souriait d’un air benêt chaque fois qu’il regardait SES petits-enfants.
Un premier Noël qui allait être suivi de beaucoup d’autres, mais celui-là, il avait ce goût particulier de la nouveauté et de cet amour inconditionnel qu’on offre parfois à des personnes qui apparaissent dans votre vie alors qu’on ne les attendait pas et qui vous capturent irrémédiablement et définitivement, pour le meilleur ou pour le pire.
Et tandis qu’ils fêtaient la naissance,quelques siècles plus tôt, d’un autre enfant, Thomas et Florian échangèrent un baiser où passait tout leur amour et tout le goût de ce bonheur qu’ils allaient désormais s’employer à cultiver.
FIN