Celle-là c'était pour Lillie l'an dernier (quand elle était encore jeune...
)
Préambule : Les personnages de la série ne m’appartiennent pas. Ils sont la propriété exclusive de: David Shore. Je ne tire aucun bénéfice de leur mise en situation dans cette fiction.
Tu t'laisses aller
- Non d’un chien, mais tu t’es regardé dans la glace aujourd’hui ? T’as vu à quoi tu ressembles ?
- Et alors ? Qu’est-ce que ça peut te foutre ? De toute façon tu ne me regardes plus !
- Ah non ! Et je fais quoi là à ton avis ! Pourtant, le spectacle n’est franchement pas ragoûtant !
C'est drôle c'que t'es drôle à r'garder
T'es là, t'attends, tu fais la tête
Et moi j'ai envie d'rigoler
C'est l'alcool qui monte en ma tête
Tout l'alcool que j'ai pris ce soir
Afin d'y puiser le courage
De t'avouer que j'en ai marre
De toi et de tes commérages
De ton corps qui me laisse sage
Et qui m'enlève tout espoir
Ils auraient pu, ils auraient dû se parler, se comprendre…
Combien de temps qu’ils vivaient ensemble ? Cinq ans ? Cinq longues années durant lesquelles, insensiblement, ils s’étaient perdus plus que s’ils avaient été séparés par des milliers de kilomètres.
Pourtant il avait essayé, vraiment, au point de laisser son compagnon imposer ses idées, ses goûts, ses désirs. Jusqu’au jour où il avait eu l’impression de se perdre petit à petit : ce n’était pas lui ce papier peint à grosses fleurs beiges sur fond pourpre, ce n’était pas lui ce sofa rose bonbon ornementé de coussins vert pomme, ce n’était pas lui cette cuisine macrobiotique qui lui sourdait par tous les pores de la peau, ni ces ronds de jambes dans les réceptions officielles, les grands sourires à ces médecins stupides et incompétents qui l’entouraient, l’oreille attentive à ces malades menteurs et abrutis par la télévision qui défilaient dans son cabinet. Et ce cabinet, ce n’était pas lui non plus : pourquoi avait-il finalement abandonné son poste de clinicien pour accepter d’entrer dans le privé et voir, jour après jour, les mêmes rombières ravies de consulter LE docteur, entendre les mêmes jérémiades, les mêmes inepties ?
Certes il finissait plus tôt, certes il ne perdait plus de malades, mais il avait fini par perdre son âme.
J'en ai assez faut bien qu'j'te l'dise
Tu m'exaspères, tu m'tyrannises
Je subis ton sale caractère
Sans oser dire que t'exagères
Oui t'exagères, tu l'sais maint'nant
Parfois je voudrais t'étrangler
Dieu que t'as changé en cinq ans
Tu l'laisses aller, tu l'laisses aller
Pourtant au départ tout avait été si beau, si plein d’espoir ! Lui, le misogyne, l’ours, le porc-épic qui blessait tous ceux qui tentaient de l’approcher et de percer sa carapace avait enfin déposé les armes après un long combat. Il s’était laissé aller à croire que son désenchantement, sa sévérité à l’égard de ses semblables qui le rendait si amer, si sarcastique, étaient finalement peut-être imméritées. Il lui avait semblé que le bonheur était possible, le bonheur à deux, le bonheur simple et tranquille. Et il s’était abandonné.
Erreur fatale, se disait-il en détaillant son conjoint, avachi sur le canapé dans l’appartement en désordre !
Ah ! Tu es beau à regarder
Pas de lacets à tes chaussures
Et ton vieux peignoir mal fermé
Et tes cheveux gras quelle allure (1)
Je me demande chaque jour
Comment as-tu fait pour me plaire ?
Comment ai-je pu te faire la cour
Et t'aliéner ma vie entière ?
Comme ça tu ressembles à ton père (2)
Qu'a rien pour inspirer l'amour
Pourtant il se souvenait de cette époque où il avait été si fier de présenter : « Mon compagnon », surtout devant ces pincés du culs qui arrondissaient les lèvres dans une moue désapprobatrice sans pour autant oser dire tout haut ce qu’ils pensaient de peur de froisser LE docteur qu’il fallait absolument avoir à ses petits raouts sous peine que ceux-ci soient boudés.
Oh oui, il était fier ! Fier, lui, à son âge, avec son physique, son handicap, de montrer qu’il avait pu inspirer le désir et l’amour à un homme presqu’assez jeune pour être son fils et qui avait su déceler en lui le diamant brut bien caché dans sa gangue.
Ce bel homme à ses côtés proclamait haut et fort, mieux que des mots, que Grégory House était un type bien, un type qui méritait aussi sa part de bonheur, qui était capable de capturer et retenir un Apollon qui s’épanouirait auprès de lui comme une fleur fragile et belle.
Ah il était beau l’Apollon, cinq ans après, trente kilos supplémentaires au compteur, la hargne dans les yeux et l’invective à la bouche !
D'vant mes amis quelle catastrophe
Tu m'contredis, tu m'apostrophes
Avec ton venin et ta hargne
Tu ferais battre des montagnes
Ah ! J'ai décroché le gros lot
Le jour où je t'ai rencontré (3)
Si tu t'taisais, ce s'rait trop beau
Tu l'laisses aller, Tu l'laisses aller
C’était insensiblement que les choses s’étaient dégradées, jusqu’à ce jour où il avait décidé de reprendre son poste du chef du service clinique, son successeur ayant présenté sa démission, incapable qu’il était de poser les bons diagnostics pour les cas si étranges auxquels il était confronté. Il y avait eu alors une scène terrible entre eux et son compagnon lui avait jeté au visage un flacon de vicodine en lui disant qu’il ferait bien de s’y remettre tout de suite puisqu’en reprenant son ancien travail il retrouverait obligatoirement ses anciens démons !
C’est alors qu’il s’était aperçu qu’ils ne se connaissaient plus.
Où avaient-ils perdu le contact ? Quel jour les demandes s’étaient-elles faites ordres ? A quelle période les gentilles remontrances étaient devenues ces reproches cinglants, amers ?
Au point qu’en regardant en arrière, House voyait dans son compagnon celui que lui-même était cinq ans plus tôt : tyrannique, amer, froidement sarcastique, volontiers blessant…
Avaient-ils échangé leurs âmes à défaut d’échanger leurs corps ?
Tu es une brute et un tyran
Tu n'as pas de cœur et pas d'âme
Pourtant je pense bien souvent
Que malgré tout tu es mon âme (4)
Si tu voulais faire un effort
Tout pourrait reprendre sa place
Pour maigrir, fais un peu de sport
Arrange-toi devant ta glace
Accroche un sourire à ta face
Maquille ton cœur et ton corps
Où était tout cet amour qui les avait unis ? Où étaient toutes ces heures fabuleuses qu’ils avaient passées à se découvrir, à s’apprivoiser, à se goûter, se rassasier l’un de l’autre ? Ces moments enivrants où ils ne vivaient que l’un pour l’autre, où, de tout son être, il ne souhaitait que le bonheur de son ange.
L’ange cachait une âme de démon. Ou alors c’était lui, juste lui, lui qui gâchait irrémédiablement tout ce qui l’approchait, tout ce qu’il touchait. Midas transformait les objets en or pur, House lui transformait êtres et sentiments en immondices haineux !
Et pourtant… Pourtant en cet instant, alors qu’il lui livrait enfin ce qu'il avait sur le cœur depuis trop longtemps, il ne pouvait s’empêcher de se dire que peut-être, s’ils voulaient faire un effort, et il pensait vraiment au pluriel, tout pourrait recommencer, parce qu’au fond de lui il y avait toujours cette petite étincelle, parce que parfois, lorsque son amant dormait et qu’il le regardait, il retrouvait, dans le visage déformé par l’abus d’alcool et de nourriture, les traits aimés et apaisés de son ange : celui-ci était là, quelque part et il pouvait le retrouver s’il le voulait, s’ils le voulaient, tous les deux.
Au lieu d'penser que j'te déteste
Et de me fuir comme la peste
Essaie de te montrer gentil
Redeviens mon petit ami (5)
Qui m'a donné tant de bonheur
Et parfois comme par le passé
J'aim'rais que tout contre mon cœur
Tu l'laisses aller, tu l'laisses aller
Il n’avait pas bougé : se contentant de laisser sa main au fond du saladier de pop-corn au caramel qu’il engloutissait devant une de ces émissions ineptes qu’il s’était mis à regarder depuis quelque temps.
House eut une grimace de dégoût mêlé de désespoir : décidément il n’y avait plus rien à faire ! Ca lui apprendrait à croire au bonheur, à penser que lui aussi pouvait être heureux ! Comment avait-il pu encore espérer, s’abandonner ? Mais cela lui servirait définitivement de leçon ! Lorsqu’il aurait tourné cette page, parce qu’il lui faudrait bien à la tourner, d’une manière ou d’une autre, il ne se laisserait plus jamais prendre au piège, plus jamais !
Il se détourna et se dirigea vers la chambre, leur chambre, celle où ils ne faisaient plus désormais que dormir tant ce corps à côté du sien lui était devenu étranger. Et encore : de plus en plus souvent il s’allongeait sur le canapé du bureau, la seule pièce qui était restée à son image, et il passait la nuit là, sans que son compagnon, mais pouvait-il encore lui donner ce nom, ne s’alarme de ce fait.
Il attrapa la valise au fond du grand dressing, la posa sur le lit et commença à entasser des vêtements : il était temps de trancher dans le vif !
- Qu’est-ce que tu fais ?
La voix de son amant retentit dans son dos et il se retourna :
- Ca ne te semble pas clair ?
Etait-il devenu idiot au point de ne pas comprendre ? La graisse avait-elle aussi envahi son cerveau, les émissions décadentes qu’ils regardaient définitivement tué cette intelligence si fine qui l’avait fait reconnaître en lui son âme sœur, anéanti cette combativité qui les avait si souvent dressés l’un contre l’autre avant de les précipiter dans les bras l’un de l’autre ?
- S’il te plaît, ne fais pas ça !
- Et pourquoi pas ? Qu’est-ce qui nous reste aujourd’hui hein ? Mieux vaut partir avant de finir de gâcher le peu de beaux souvenirs qu’on a encore.
- Non ! Ne pars pas. Je te promets de faire un effort. Je ne peux pas vivre sans toi ! Je t’aime !
Ces mots-là, il y avait des mois qu’il les espérait. N’était-il pas trop tard désormais ? L’ancien House aurait sans doute ri au nez de l’homme en lui disant qu’il aurait dû s’apercevoir avant de ses erreurs, le nouveau, celui qui s’était pris à croire en l’amour voulait se laisser une dernière chance. Alors il s’avança vers lui en demandant :
- On ne peut pas continuer comme ça. Tu le sais.
- Je sais. Il y a longtemps que je le sais. Mais je n’avais pas le courage de réagir. Tu viens de me donner ce courage. Je te promets de m’améliorer, de redevenir celui que tu aimais.
Les larmes qui coulaient sur ses joues firent fondre ses dernières réticences : sciemment il décida de se laisser, de leur laisser une chance. Il ouvrit les bras en disant :
- Je n’ai jamais cessé de t’aimer, jamais.
Et lorsqu’il reçut son compagnon contre lui, il retrouva soudain l’ange noir dont il était tombé éperdument amoureux et il fut sûr alors qu’ils réussiraient à surmonter cette crise.
FIN
Chanson de Charles Aznavour
Paroles originales :
(1) Ah ! Tu es belle à regarder
Tes bas tombant sur tes chaussures
Et ton vieux peignoir mal fermé
Et tes bigoudis quelle allure
(2) Comme ça tu ressembles à ta mère
(3) rencontrée
(4) ma femme
(5) Essaie de te montrer gentille
Redeviens la petite fille