La première fois que…
La première fois que j’ai eu peur…Assis sur les marches, il les observait jouer dans la cour de l’école de village. Le garçon d’une douzaine d’année mâchouillait distraitement un bout de son crayon. Ses yeux finissaient toujours par se poser sur le groupe.
Non pas qu’il n’aurait pu les rejoindre, mais en réalité il n’aimait pas tellement les jeux de ballon. Il préférait observer ses camarades tout en essayant de les croquer sur son petit carnet.
C’est quand les filles avaient commencé à s’asseoir près de lui qu’il avait compris. Les messes basses entre elles, les sourires en coin, les regards jetés sur le même groupe de garçons qu’il regardait jour après jour.
Son cœur avait fait un bond avant de se serrer douloureusement. Qui était-il ? Pourquoi était-il différent ? Il aurait tellement aimé ne pas l’être. Ses journées auraient été plus simples. Sa vie aurait été plus simple.
La première fois que j’ai compris…Il se rappelait encore comment c’était dans la cour de son école primaire. Il s’était senti comme toutes ces filles. Son cœur battait plus vite. Ses mains devenaient moites. Il ne ressentait pas cela pour elles. Il ne passait pas son temps à les regarder. Pas de la même façon que pour les autres élèves du même sexe que lui.
Étudiant, il avait bien assimilé tout ça. Et une chose supplémentaire : il fallait qu’il se taise. Ils ne comprendraient pas… Il avait admis être homosexuel. Il avait admis qu’il ne vivrait jamais comme ils l’espéraient. Ils ? Ses parents, ses amis, la société toute entière. Il avait admis qu’il n’était pas prêt, pas prêt à les perdre. Il garderait encore tout ça pour lui. Il avait fini par comprendre que rien n’allait être facile.
La première fois que j’ai regretté…Sa lâcheté. Ses mains tremblaient et ne savaient à quoi s’accrocher pour masquer son manque de courage. S’il en avait eu un tant soi peu, il serait allé à la rencontre de celui qui venait de donner un choc à son cœur. Il se serait approché et aurait tenté de faire connaissance.
A défaut, il ne put qu’observer le gobelet qu’il portait à ses lèvres et envier le morceau de plastique.
Et pire, il ne put que soupirer douloureusement lorsqu’il le vit quitter la soirée en bien meilleure compagnie qu’il ne le serait.
La première fois que j’ai eu mal…Les yeux fermés, il ne pouvait regarder dans la direction de ce grand trou. L’odeur de la terre sublimée par la pluie lui semblait en ce jour si écœurante…
Les yeux rougis, il lui semblait que son cœur resterait aussi béant que la tombe où l’on descendait seconde après seconde le cercueil de sa mère.
Il n’avait jamais eu aussi mal de sa vie.
La première fois que j’ai fait mal…La porte n’a pas claqué. Elle s’est refermée tout doucement. C’est encore pire. Il repousse le corps qui le chevauchait et ferme les yeux en lui ordonnant de se tirer. Le ralenti de la scène se joue sous ses paupières et le regard que son compagnon lui a lancé le transperce. La douleur qu’il y a lue, il sait que jamais il n’a été aussi dégueulasse. Il ne pourra pas rattraper cette erreur. C’est fini.
La première fois que j’ai envié…Il les avait croisés et s’était même retourné pour continuer à les observer. Ils semblaient si heureux, se tenant la main, imperméables aux regards. Juste eux, dans leur bulle. Heureux. C’est à cela qu’il aspirait. Trouver son âme sœur, celui qui lui ferait oublier toutes ses peurs.
La première fois que j’ai été jaloux…Il le détestait ! Balançant son verre, il ne fit pas attention aux éclats de verre brisé qui s’éparpillèrent au coin de la pièce. Sous les yeux médusés de ses amis, de son homme, il claqua la porte.
Une rage le guidait. Un sentiment qu’il ne connaissait pas encore. Il avait envie de lui arracher les yeux. Il ne les avait vu qu’une minute pour avoir envie de détruire cette image qu’ils renvoyaient, enlacés sur la piste. Lui, son amant, murmurant à l’oreille de son ex...
Il s’affaissa contre le mur au coin de la rue. Il était si stupide. Mais si amoureux. Était-ce par qu’il s’agissait enfin de la bonne personne ? Celle qu’il ne voulait partager avec personne ? Toutes ses questions tournaient en boucle et sans fin, sans réponse jusqu’à ce qu’il retrouve l’ancre de ses bras et que tout s’efface, tout s’éclaire.
La première fois que je t’ai vomi dessus… C’était tout de suite après la première fois que j’ai bu…Rouge de honte. Il n’oserait jamais relever les yeux sur lui. Lui parler lui semblait mission impossible. Ah, il pouvait dire qu’il était complètement dégrisé là. Il sentait ses oreilles chauffer de plus belle lorsqu’il se rendit compte que son « sauveur » gloussait.
Les doigts sous le menton lui relevèrent le visage et il sentit un linge humide aux coins de sa bouche, effaçant les vestiges d’une soirée bien arrosée.
« Je t’embrasserai bien mais… »
Il ouvrit les yeux juste après la sensation d’un baiser sur le bout de son nez et son regard tomba dans celui qui venait de lui tenir la tête au dessus de la cuvette et sur lequel il louchait depuis des semaines. Romantique comme première rencontre. Belle impression…
La première fois que j’ai désiré…Il se mordit les lèvres. Ce n’était pas humain d’être sexy comme ça. Il était beau. Il était musclé là où il fallait - et encore, il n’avait pas tout vu - Il était adorable avec lui. Il riait à ses tentatives de blagues. Et sa timidité le faisait sourire.
Il se demandait encore ce qu’il arrivait à lui trouver. Mais pour l’heure, il n’allait pas continuer à se poser des questions stupides et allait profiter du cadeau que la vie lui faisait. Ce soir serait le bon moment.
Son petit-ami avait sorti le grand jeu pour leur sortie. Ils s’étaient amusés comme des fous, régalés. Avaient longuement parlé. Maintenant, il ne pouvait plus reculer. Sa peur ne le ferait pas fuir une nouvelle fois.
Il se glissa dans ses bras et se laissa emporter. Il avait toute sa confiance et mon dieu, au nombre de frissons qu’il ressentit, il avait tout à fait raison. La peau moite et les cordes vocales éraillées. Le souffle court. Il savait déjà que dans dix minutes, il aurait encore envie de lui.
La première fois que j’ai aimé…Il se sentait plus vivant. Tout contre lui, il était entier. Enfin… Si longtemps qu’il espérait vivre cela un jour. Vivre tout court. Le cliché le fit sourire. La tête dans les étoiles, les papillons dans le ventre, la sensation de légèreté et cette envie de serrer l’autre dans ses bras, fort, si fort qu’il pourrait presque l’étouffer. Si fort qu’il ne lui semblait jamais être assez près. Il aimerait pouvoir se fondre en lui. Et fondre tout simplement quand ses lèvres le happent si délicatement dans un baiser éthéré qui finit immanquablement par les laisser à bout de souffle et désireux du corps de l’autre.
Aimer si fort.
La première fois que j’ai raconté ma vie… C’était ici, dans tes bras. Et j’espère - non, je suis sûr - qu’on a encore des pages à remplir.FIN