Si seulement il avait su... - Texte court - G

Il avait attendu tout l’été pour le retrouver, trois longs mois d’ennui à espérer qu’il ne l’aurait pas oublié. Le BAC en poche, il avait cru ne plus jamais le revoir car ils allaient être séparés par leur choix d’orientation différents: mais une bonne étoile veillait apparemment sur lui, et il avait appris au cours du mois de juillet qu’ils avaient été acceptés dans la même école d’ingénieur.

Durant cette dernière année de lycée, il avait mis presque six mois à lui adresser la parole. Tous deux dans une classe différente, ils n’avaient eu que quelques cours en commun et cela n’avait pas facilité les choses. On ne pouvait pas dire qu’ils étaient maintenant amis, mais en fin d’année ils discutaient parfois pendant le déjeuner quand celui-ci n’était pas accaparé par sa ribambelle d’amis, que pour sa part il trouvait très encombrants.

Les jours de vacances s’étaient égrenés sans qu’il ne puisse l’oublier. Au réveil ses premières pensées étaient toujours pour lui: était-il déjà réveillé lui aussi? Etait-il toujours en vacances? Que faisait-il de ses journées? Est ce qu’il pensait un peu à lui? Serait-il vraiment là à la rentrée des classes, ou avait-il été accepté dans d’autres écoles plus prestigieuses, qui auraient sans doute sa préférence?

De temps à autre, il regardait la seule photo de lui qu’il avait: un instant de vie volé avec son smartphone pris quand il avait eu un peu plus de courage que les autres jours. Dès qu’il se sentait trop seul, ce souvenir le réconfortait un peu. Il se rappelait alors les quelques conversations qu’il avait eu avec lui et en fermant les yeux, il retrouvait le son de sa voix grave, qu’il aurait écouté pendant des heures entières quelque soit le sujet.

Il n’avait pas vraiment d’espoir, il savait qu’il était déjà sorti avec des filles, mais… Il y avait toujours ce “mais” qui revenait. Mais ça ne durait jamais. Mais il pouvait être bisexuel. Mais il faisait ça pour donner le change parce qu’il ne s’assumait pas. Toutes ces éventualités entretenaient une infime lueur en lui, il savait que c’était désespéré mais pour autant il n’essayait pas de s’en débarrasser car lorsqu’il s’imaginait dans ses bras au cœur de la nuit, à lui murmurer milles tendresses, il était heureux. Vraiment heureux.

Aujourd’hui, c’était la rentrée de son école et il avait rarement été aussi excité que ce matin là. Il allait enfin le revoir et pourrait peut être lui parler, s’il en avait le courage. Avait-il beaucoup changé? Peu lui importait de toute façon, il serait parfait, quoi qu’il advienne. Son petit déjeuner avalé, il attrapa sa veste et son sac qui l’attendaient depuis une bonne semaine dans l’entrée.

Arrivé très en avance, il se promena sur l’immense campus, un peu perdu et armé d’un mauvais pressentiment. Plus aussi sûr de lui, il craignait maintenant la rencontre. Se souviendrait-il de lui, insignifiant gamin de la Terminale 2B, lui qui était si populaire au lycée et qui avait tant de potes? Il pouvait supporter de vivre son amour à sens unique mais l’idée de retomber dans l’indifférence la plus totale le terrorisait.

L’heure approchant, il se rendit lentement devant l’amphithéâtre dans lequel devait se passer la présentation d’accueil des étudiants et se figea lorsqu’il le vit au loin. Son cœur se mit à battre comme un fou juste avant qu’il ne ressente une lame aiguisée s’enfoncer en lui et des crocs acérés qui comprimèrent ses poumons. Il était bien là, encore plus beau que dans ses souvenirs, mais il n’était pas seul. Sa main tenait fermement une autre main qu’il se mit à haïr aussitôt.

Une main de garçon. Une main qui aurait pu être la sienne… si seulement il avait su...