Reclassement du cadeau de Jo.
Les personnages de la série ne m’appartiennent pas. Ils sont la propriété exclusive de : Stéphane Giusti, Alain Robillard & Alain Tasma. Je ne tire aucun bénéfice de leur mise en situation dans cette fiction.
A regarder la mer
Kevin était debout, sur la plage, plongé dans ses pensées. Ce paysage qu’il aimait tant lui paraissait soudain étranger, presque hostile. Il regardait ses pas que les vagues engloutissaient et il aurait aimé qu’elle l’engloutisse aussi.
Et je reste des heures à regarder la mer
Le cœur abasourdi, les pensées de travers
Et je ne comprends rien à ce triste univers
Tout est couleur de pluie tout est couleur d´hiver
Combien de fois s’était-il tenu là depuis trois mois ? Combien de fois avait-il espéré un appel, une présence ? Combien de fois s’était-il demandé s’il avait fait le bon choix.
Il était parti comme on fuit, le sac sur l’épaule, sans rien dire à personne. Il était parti parce qu’il ne pouvait pas rester dans ces lieux où on l’avait attaqué, accusé de mentir, laissé seul, le corps douloureux et le cœur en miettes.
Peut-être aurait-il dû lutter un peu plus, essayer de parle de nouveau à
Yann, tenter de le convaincre, de lui apporter des preuves. Mais il n’avait écouté que son orgueil blessé et, lorsqu’il était sorti de la prostration où l’avait plongé la réaction de son amant, il s’était contenté d’entasser quelques vêtements à la hâte dans son sac de marin et il était parti, droit devant lui.
Il était parti sans espoir de retour et pourtant tous les jours il pensait à là-bas, à ce qui aurait pu être et qui ne serait jamais.
Je suis ce fier bateau qu´on vit un jour partir
Et qui n´en finit plus de ne plus revenir
La mer a ses amants qui s´enivrent de vent
La mer a ses amants qui se grisent à ses fêtes
Il avait d’abord erré un peu au hasard et puis, immanquablement, ses pas l’avaient ramené chez lui, à Biarritz. Il s’était installé dans un petit cabanon loué à un pêcheur de ses connaissances : une pièce, un coin cuisine, une salle de bain minuscule munie d’une douche, d’un lavabo et d’un W-C… Il ne lui en fallait pas plus.
Il n’avait pas encore décidé de ce qu’il ferait. Il savait que sa démission avait été actée par Lemercier, ou du moins il le pensait. De toute façon, il n’avait pas l’intention de s’en retourner. Jour après jour, reprenant contact avec ces paysages qu’il aimait, il se rendait compte qu’à Paris il avait été comme un poisson hors de l’eau. Bien sûr il y avait eu les amis, de bons amis, Alex, Laura, Yliès… qui sans doute devaient s’inquiéter pour lui et auxquels il lui faudrait tôt ou tard donner signe de vie. Bien sûr, et surtout, il y avait eu
Yann…
Il lui aurait tout donné, il aurait tout accepté, tout enduré pour lui et tant qu’il avait été à ses côtés il avait pu se croire chez lui dans la capitale où il n’était qu’un anonyme parmi les anonymes.
Il y avait eu Tiago… Tiago qui avait été le début de la fin… Tiago qui l’avait renvoyé à son chemin esseulé, ce chemin sur lequel, jour après jour, il se perdait depuis qu’il était revenu vers ce qui n’était plus vraiment chez lui.
Qui ne me comprend pas ne comprend pas la mer
Je n´aurai donc été en ce grand univers
Qu´un de ces marins-là qui vont en solitaire
Et l´inutile cri d´une inutile fête
Il savait que, tôt ou tard, il lui faudrait donner signe de vie à ceux qu’ils avaient laissés derrière lui. Il cherchait simplement à en trouver le courage. Comment réagiraient-ils, eux qui avaient dû tellement s’angoisser ?
Il se rappelait de la réaction de sa mère lorsqu’il était allé frappé à la porte de sa maison, cinq semaines auparavant : la joue lui cuisait encore de la gifle reçue, et ensuite il y avait eu cette étreinte désespérée où il avait ressenti la force de son amour et de l’inquiétude qu’il lui avait provoquée. Pour le moment, elle était la seule à savoir qu’il était réapparu, il lui avait même demandé de le cacher à Louis, sachant que ce dernier ne pourrait pas se taire.
Il n’était pas prêt encore à affronter les autres… ou plutôt à affronter
Yann. Parfois il se demandait si finalement celui-ci ne s’était pas simplement senti soulagé de son départ, après tout, pas de cris, pas de reproches, pas de scène inutile… c’était tout ce qu’aimait son compagnon…
Il venait là, jour après jour et il restait longtemps à contempler l’infini de l’océan, toujours identique et pourtant jamais le même… Il aurait voulu une réponse, mais ni les vagues qui se brisaient à ses pieds, ni les mouettes qui le survolaient en criant, ni le soleil qui lui réchauffait la nuque ne lui donnaient la clé qu’il cherchait en vain, le sens de ce qui s’était passé, la direction à donner à sa vie.
Et je reste des heures
Et je reste des heures à regarder la mer
Et puis soudain il sentit qu’il n’était plus seul et il se retourna doucement. Le souffle lui manqua tandis que son cœur ratait un battement. Celui qui l’observait, à quelques mètres, c’était
Yann, un
Yann amaigri, portant une barbe de plusieurs jours et dont les yeux écarquillés semblaient ne pas vouloir croire ce qu’ils voyaient.
Un instant il eut la tentation de partir, de fuir à toutes jambes, droit devant lui, loin de cet être qui lui manquait tellement mais qui lui rappelait trop de mauvais souvenirs. Puis il sut que ce ne serait pas la solution. Alors ses pas l’amenèrent, comme malgré lui, juste en face de son compagnon qui était resté cloué sur place et le regardait venir à lui. Ce ne fut que lorsqu’il arriva à moins d’un mètre qu’il vit les larmes qui roulaient sur les joues piquetées de poils drus, les cernes qui masquaient les yeux et son cœur se serra à cette vision.
-
Yann… Qu’est-ce que tu fais-là ? Qui t’a dit où me trouver ?
- Personne… Je savais que tôt ou tard tu reviendrais sur cette plage. Je suis venu, chaque fois que j’ai pu m’échapper. Aujourd’hui, j’ai failli abandonner… ça faisait si longtemps. Mais tu es là… Tu es là…
-
Yann…
- J’ai arrêté Recht ! Recht et ses sbires ! Ils sont en prison ! On aura besoin de ton témoignage mais ils ne s’en sortiront pas. Et j’ai repeint la cuisine… Tu te souviens… Tu voulais qu’on la refasse mais… Et…
Kevin avait avancé d’un pas, il posa un doigt sur les lèvres de son amant pour arrêter la logorrhée :
- Chut… Tu n’as pas à m’expliquer.
- Je suis désolé Kevin, tellement désolé, murmura
Yann avant de se blottir dans les bras que lui ouvrait son amour.
- Ne le sois pas… Tu es là… Ca me suffit.
Bien sûr il faudrait qu’ils se parlent, bien sûr tout n’allait pas se résoudre d’un coup de baguette magique, mais pour le moment, devant l’océan, Kevin voulait juste profiter de ce moment, de ce corps contre le sien et de ces lèvres qu’il redécouvrait avec la frénésie du nageur qui se noie et auquel on vient de lancer une bouée.
Yann était là. Il était venu le chercher, sur son coin de plage… Le reste…
FIN
Chanson d’Alain Barrière