Dernière songfic à reclasser!
C'était pour Tyoris, l'an passé...
Les personnages de la série ne m’appartiennent pas. Ils sont la propriété exclusive de : Stéphane Giusti, Alain Robillard & Alain Tasma. Je ne tire aucun bénéfice de leur mise en situation dans cette fiction.
Qui saura
- Et si on allait voir cette pièce ? Il paraît qu’elle est vraiment très drôle !
- Bonne idée… Tu en penses quoi Yann ?
Alex se tourna vers le capitaine de la BAC et eut une moue désabusée lorsqu’il le vit, les yeux dans le vide, n’ayant visiblement absolument rien suivi de la conversation entre lui et Christophe. Il s’avança vers le brun et lui posa la main sur l’épaule :
- Yann ?
Le policier sursauta et son regard se focalisa sur son collègue.
- Humm… Excuse-moi, je pensais à…
Il n’avait pas besoin de dire à qui il pensait, chacun ici le savait.
Vous mes amis, tant de fois vous me dites
Que d´ici peu je ne serai plus triste
J´aimerais bien vous croire un jour
Mais j´en doute avec raison
Essayez de répondre à ma question
Alex le regarda avec compassion. Lui qui, au départ, était en colère contre celui à cause duquel son meilleur ami était parti, il éprouvait maintenant beaucoup de pitié pour lui. Il le voyait souffrir jour après jour de l’absence de celui qu’il aimait et il s’inquiétait parfois de son état dépressif.
Yann n’avait plus goût à rien : il ne souriait plus, ne riait plus et, plus inquiétant, ne se mettait même plus dans ces colères tonitruantes qui avaient fait si souvent trembler le commissariat.
Non, il était juste éteint, faisant son travail sans passion, sans état d’âme, toujours prêt à faire son devoir mais sans fougue, sans feu… Comme si seul son corps obéissait, son esprit étant, lui, bien loin de là.
Lorsqu’il vous regardait, comme à cet instant, vous pouviez lire au fond de ses yeux une multitude de questions qui n’avaient rien à voir avec l’action en cours.
Qui saura, qui saura, qui saura
Qui saura me faire oublier dites-moi
Ma seule raison de vivre
Essayez de me le dire
Qui saura, qui saura, oui qui saura
- Si on allait au théâtre ? reprit Alex à l’intention de Yann. Ou au ciné si tu préfères…
- Non… Ca ne me dit rien… Je vais rentrer tôt.
Rentrer tôt, aller se terrer chez lui, s’enrouler dans la couverture et enfouir son visage dans l’oreiller qui était celui de Kevin, tentant de retrouver l’odeur de l’homme qu’il aimait. C’était tout ce dont il avait envie, tout ce qui lui permettait de tenir, jour après jour, alors que l’absence se faisait plus lourde, plus cruelle, plus inquiétante.
Il regarda vaguement Alex et Christophe : il comprenait que ces deux là essayaient simplement de le sortir de son marasme mental, de lui faire reprendre pied dans l’existence, mais il n’y arrivait pas, il ne le voulait pas.
Sans Kevin il n’était rien et la vie était simplement un ruban incolore, inodore et insipide à dérouler jour après jour jusqu’à ce que peut-être la chance le couche d’une balle en plein cœur dans le caniveau, cette balle qu’il n’avait pas le courage de tirer lui-même.
Vous mes amis essayez de comprendre
Un seul homme dans ce monde peut me rendre
Tout ce que j´ai perdu, je sais qu´il ne reviendra pas (1)
Alors si vous pouvez dites-le moi
Il s’étonnait parfois qu’Alex daigne encore lui parler. Il se souvenait de la colère du lieutenant lorsque, le lendemain du départ de Kevin, il était venu lui demander s’il savait où était le jeune homme. Fidèle à lui-même, Alex l’avait traité de tout les noms pour finir par lui jeter au visage :
- De toute façon, même si je savais où il était, je ne te le dirais pas ! Kevin n’a pas besoin d’un sale con dans ton genre dans sa vie ! Il est trop bien pour toi ! Il mérite mieux !
En n’importe quelle autre circonstance, le jeune homme n’aurait pas eu le temps de finir sa phrase qu’il aurait déjà ramassé son poing en pleine gueule mais il n’avait même pas esquissé ce geste, trop las, trop dégoûté aussi de lui-même avant tout, lui qui était parti sans écouter l’homme qu’il aimait, sans même prendre soin de lui.
Et maintenant il trainait une existence vide qui pesait plus lourd à chaque nouvelle journée et Alex, se rendant compte de son désarroi, était devenu un ami fidèle et attentif, comme il l’avait été pour Kevin avant.
Mais aucun Alex au monde ne pouvait comprendre ce qu’il ressentait.
Qui saura, qui saura, qui saura
Qui saura me faire vivre d´autres joies
Je n´avais que lui sur terre
Et sans lui ma vie entière (2)
Je sais bien que le bonheur n´existe pas
Il y avait maintenant six mois que le lieutenant Laporte avait donné sa démission. Six longs mois durant lesquels il n’avait donné signe de vie à personne ou en tout cas, à personne qui en ait fait part à Yann.
Celui-ci avait remué ciel et terre pour tenter de retrouver la trace de son compagnon : il avait activé tous ses réseaux, officiels ou non, fait toutes les recherches que la loi et son rang lui permettaient d’entreprendre, épluché les listes d’embarquement de tous les aéroports de France, parcouru le trajet jusqu’à Biarritz à plusieurs reprises, harcelé la mère de Kevin de coups de téléphone, jusqu’à ce qu’elle lui demande fermement de ne plus l’appeler. Il avait alors compris qu’elle lui en voulait, et comment aurait-elle pu faire autrement ? A cause de lui elle était privée de son unique enfant et c’était impardonnable.
Il était impardonnable.
Vous mes amis le soleil vous inonde
Vous dites que je sortirai de l´ombre
J´aimerais bien vous croire oui
Mais mon coeur y renonce
Ma question reste toujours sans réponse
Six mois… Six mois interminables à s’enfoncer dans un désespoir toujours plus profond, toujours plus lourd. Six mois à traîner une vie qui n’avait plus de sens parce qu’elle était creuse, vide de rires, vide de chanson, vide de folie, vide d’amour, vide de Kevin…
Il savait que ses amis, ou du moins ce qui lui en restait, s’inquiétaient pour lui. Il le voyait à leurs regards, l’entendait à leurs paroles, le ressentait lorsque, comme c’était le cas, ils essayaient de le convaincre de venir « s’amuser » avec eux.
S’amuser… Il avait même perdu le goût du sourire… comment aurait-il pu retrouver celui du rire ?
Qui saura, qui saura, qui saura
Qui saura me faire oublier dites-moi
Ma seule raison de vivre
Essayez de me le dire
Qui saura, qui saura, oui qui saura
Certains matins il aurait juste aimé rester couché au creux du lit, ce lit qui avait abrité leurs ébats, ce lit où, la nuit, Kevin venait le rejoindre et où, à chaque aube, le désespoir l’envahissait en ouvrant les yeux sur sa solitude.
Certains matins il aurait juste voulu fermer les yeux et ne plus voir, ne plus sentir, ne plus entendre… Rester là et mourir…
Mourir d’amour… Quelle connerie ! Non, on n’en mourait pas ! C’aurait été tellement plus facile que cette souffrance quotidienne, ce cœur si lourd qu’il faisait mal, ce corps inutile qui pourtant demandait à être nourri et abreuvé, qui se refusait à dépérir, ces pensées sans cesse tournées vers l’absent et surtout cette culpabilité qui le crucifiait, tout ce qu’il avait dit et qui revenait hanter sa mémoire, tout ce qu’il n’avait pas fait qui le rongeait de l’intérieur…
Certes durant les trois premières semaines il avait fait face parce que la traque de Recht l’avait occupé, comme une revanche à prendre, comme si, une fois le ripou enfermé, la vie allait redevenir comme avant. L’arrestation du commissaire avait fait les gros titres des journaux télévisées et de la presse nationale et il avait alors espéré que Kevin comprendrait, pardonnerait et reviendrait.
Mais au fur et à mesure que les jours s’étiraient, il avait compris que ce départ était sans retour et l’espoir avait cédé la place aux remords et à la désillusion.
Qui saura, qui saura, qui saura
Qui saura me faire revivre d´autres joies
Je n´avais que lui sur terre
Et sans lui ma vie entière (2)
Je sais bien que le bonheur n´existe pas
Certains jours le travail l’aidait, non pas à oublier, mais à remplir les heures vides qui, à d’autre moment, s’étiraient interminablement. Il était de toutes les opérations, de tous les contrôles, il acceptait même sans râler de remplir la paperasse… Tout plutôt que de retrouver l’appartement vide où chaque objet l’accusait de l’absence de son amant.
Et pourtant, chaque fois qu’il le pouvait, il courait vers cet appartement et s’y enfermait pour ressasser leurs heures heureuses, leurs baisers, leurs caresses, leurs étreintes… Quelque part dans sa tête il ne pouvait s’empêcher de penser que c’était là qu’il retrouverait Kevin, là où il l’avait abandonné, blessé, sans vouloir entendre ce qu’il lui disait, là et nulle part ailleurs.
Alors il refusait toutes les invitations, toutes les sorties, toutes les occasions de sortir des murs qui l’emprisonnaient, pas plus qu’il n’acceptait d’y faire entrer des étrangers qui auraient brisé les souvenirs précieusement conservés dans chaque pièce. Il rentrait chez lui, se servait un verre d’eau ou une bière, mangeait le sandwich qu’il avait acheté en passant à la boulangerie, sans répondre au sourire aguichant de la petite vendeuse, puis, après avoir pris une douche, il allait s’enrouler dans la couverture bleue, la préférée de Kevin et il regardait vaguement la télévision, allongé sur leur lit, jusqu’à ce que le sommeil l’emporte pour rejoindre enfin son époux.
Qui saura, qui saura, qui saura
Qui saura me faire oublier dites-moi
Ma seule raison de vivre essayez de me le dire
Qui saura, qui saura, oui qui saura?
Non… Il n’y aurait ni théâtre, ni cinéma… Il voulait juste rentrer chez lui, se soustraire aux attentions des autres, rester enfin seul avec sa peine et ses regrets. Ils venaient de boucler une affaire qui l’avait retenu plus de quarante huit heures loin de son domicile, loin de ses souvenirs, loin de ses espoirs. Il voulait juste rentrer, rentrer et s’écrouler dans son lit, dans leur lit, ce lit dont il avait eu tant de peine à s’obliger à changer enfin les draps après trois mois d’absence, parce qu’il refusait de perdre l’odeur de son amant, imprégné dans les fibres. Mais au bout de trois mois, l’odeur qui émanait du linge de lit était plutôt celle d’un putois que celle d’un humain et il s’était dit que si Kevin revenait, il serait horrifié de sa négligence, lui qui était sa « parfaite petite maîtresse de maison ».
Alors il avait changé les draps puis briqué tout l’appartement où chaque pièce portait la preuve de l’absence par le désordre et la saleté qui y régnait. Et lorsque tout avait été propre, la longue attente avait repris.
Mais désormais il veillait à ce que leur logis reste accueillant : il n’aurait pas fallu que Kevin reparte, écoeuré de l’état des lieux !
Et lorsqu’il rentrait, comme ce soir, il ne pouvait empêcher son cœur de battre plus vite à l’idée que, peut-être…. Et même s’il était déçu, soir après soir, il ne pouvait empêcher son cœur de se manifester, à chaque fois.
Et ce soir il battait plus vite encore que d’habitude alors que, las à en mourir, il se traînait plutôt qu’il ne marchait, gravissant l’escalier, attentif soudain à cette odeur alléchante qui venait chatouiller agréablement ses narines, lui faisant prendre conscience qu’il n’avait pas pensé à s’arrêter prendre son sandwich habituel. Mais il n’avait pas la force de redescendre le chercher : tant pis, il se passerait de manger ! Ce ne serait ni la première ni la dernière fois.
L’odeur se faisait plus précise à mesure qu’il s’approchait de la porte et il pensa que son imagination lui faisait maintenant vivre ses songes éveillés. Et puis il fut devant la porte et, alors qu’il cherchait sa clé, le battant s’ouvrir devant lui.
Il resta figé sur le seuil, n’osant pas y croire, pensant qu’il était peut-être mort, enfin, ou au seuil d’un monde merveilleux que rien ne lui ferait quitter : Kevin se tenait devant lui, vêtu du tablier qu’il lui avait offert. Il avait peu changé : les cheveux un peu plus long, les yeux un peu plus bleus, le visage un peu plus mince… Mais c’était lui, c’était son Kevin !!!
- C’est toi ? C’est bien toi ?
- Oui… Je suis revenu… Si tu veux encore de moi…
S’il voulait de lui ? Est-ce que la plante peut refuser le soleil ? Est-ce que le corps peut refuser l’eau ? Est-ce que lui, Yann, pouvait imaginer la vie sans Kevin ?
S’il voulait de lui ?
Certes déjà mille questions se pressaient sur ses lèvres, mille mots d’excuses lui venaient en tête, mais les explications viendraient en leur temps. Pour le moment, le seul besoin qu’il éprouvait, primal, vital, c’était de serrer le corps de son compagnon contre lui, de goûter de nouveau sa bouche, de savoir que le cauchemar était terminé et qu’il allait pouvoir recommencer à vivre.
Kevin était là, dans ses bras, rien d’autre n’avait d’importance.
FIN
Chanson de Mike Brant
Paroles originales :
(1) Une seule fille au monde peut me rendre
Tout ce que j´ai perdu, je sais qu´elle ne reviendra pas
(2) Je n´avais qu’elle sur terre
Et sans elle ma vie entière