Petit texte destiné l'an passé à dame ARagone....
Les personnages de la série ne m’appartiennent pas. Ils sont la propriété exclusive de : Russel T Davies. Je ne tire aucun bénéfice de leur mise en situation dans cette fiction.
Trop de choses
Il aurait aimé trouver les mots, les phrases et devenir orateur. Il aurait aimé être de ceux qui savent parler avec facilité, livrer le fond de leur cœur et de leurs pensées sans aucun effort.
Il aurait aimé pouvoir exprimer tout cet amour qui l’étreignait, tous ces sentiments qui l’étouffaient.
Il aurait aimé avoir le moyen de dire ce qu’il ressentait et d’avoir assez confiance pour se livrer totalement, en mots et en actes, en pensée comme en action.
Trop de choses à te dire, mon amour
Les mots ne suffisent pas
Il faudrait en inventer qui n'en soient pas
Des mots comme émotion
Trop entendus
Jamais ne pourront
Faire éclater le fruit des passions
Dans cette guerre en nous.
Mais comment réussir à passer toutes les barrières qu’il avait érigées durant cette éternité qu’était sa vie ? Comment oser prononcer les phrases qu’il s’était juré de ne plus jamais dire parce qu’elles faisaient trop mal ? Comment trouver l’aplomb, la confiance de se dévoiler, de se révéler dans cette vérité qui peut-être ferait fuir celui pour lequel son cœur battait ?
Il y avait si longtemps maintenant qu’il se débattait avec ses sentiments, si longtemps qu’il avait cru éradiquer de lui toute forme de sensiblerie ou de sentimentalisme, si longtemps qu’il pensait que l’amour n’était pas, n’était plus, ne serait plus jamais pour lui.
Il imaginait la tête de ceux qui avaient traversé sa vie, la tête d’un Hart par exemple, en le voyant ainsi épris de ce qu’il qualifierait de « gamin », s’étonnant que son ex-amant puisse lui accorder plus d’une nuit ou d’une semaine… Il imaginait la réaction du docteur s’il venait à le voir ainsi attaché à cet homme, s’inquiétant de sa réaction lorsque, inévitablement la vie lui reprendrait, une fois de plus, une fois de trop peut-être, l’être qui lui rendait le monde supportable.
Puis il effaça ses pensées d’un revers de la main, comme on efface un tableau : qu’importait ce que pourraient penser ceux qu’il avait côtoyé dans sa vie aventureuse ? Une seule personne comptait pour lui, une seule personne à qui il ne savait pas parler.
Trop de choses à te dire, mon amour
Alors comment les dire ?
Pourquoi les écrire ?
Autant que je les chante
Avant qu'elles ne me hantent
Le jour, la nuit
Et les siècles des siècles
Autant que je les chante
Avant qu'elles ne s'éventent
L’éternité… Il n’ignorait pas ce qu’elle recelait de pièges, de tentations, de désespoir, de solitude…
L’éternité il aurait voulu la passer dans les bras de cet homme mais il savait déjà qu’il serait seul sur le chemin, chérissant dans sa mémoire les moindres moments que lui aurait accordés le destin auprès de son amour.
Carpe diem… De par sa nature même, il était obligé de s’en tenir à ces deux mots sinon la vie aurait été insupportable, cette vie qui n’aurait jamais de fin, quelle que soit la puissance avec laquelle il pourrait désirer y mettre un terme.
Carpe diem… Profitons de chaque jour…
Il devait s’enivrer du présent parce qu’inévitablement un jour il conjuguerait au passé.
Dans cette vie nous passions
Sans nous passer l'un de l'autre
Tu sais ce dont je parle
Je sais toujours ce dont tu parles.
Dans cette vie nous passions
Ne faisions que passer
Ignorants des torpeurs
Près de toi, je n'ai jamais eu peur
- Ianto…
Il y avait tout l’amour du monde dans ces deux syllabes, toute la tendresse de l’univers, toute la beauté de la galaxie.
Il lui suffisait de regarder les prunelles bleues pour y voir un monde qu’il n’avait jamais côtoyé, jamais soupçonné, un monde où le bonheur existerait, un monde d’où la peur serait bannie.
Il lui suffisait d’entendre son rire pour se retrouver sur le rivage de Boeshane, à cette époque où il était heureux de vivre, insouciant de ce qui l’entourait, inconscient des dangers qui les menaçaient.
Il lui suffisait de toucher sa peau pour se sentir bien, à sa place, lui l’éternel errant qui pensait ne jamais trouver un endroit pour se ressourcer, un être pour le rassurer.
Trop de choses à te dire, mon amour
Alors comment les dire ?
Pourquoi les écrire ?
Autant que je les chante
Avant qu'elles ne me hantent
Le jour, la nuit
Et les siècles des siècles
Autant que je les chante
Avant qu'elles ne s'éventent
Il aimait comme il pensait ne jamais pouvoir aimer, lui, l’omnisexuel assumé pour qui amour et volupté étaient synonymes. Il découvrait soudain un autre versant de l’amour, plus doux et plus violent. Quand les feux de la passion les unissaient, l’extase qui l’envahissait était bien plus que corporelle, elle était spirituelle, elle émanait de l’univers lui-même.
Ianto était son âme sœur, il en était désormais persuadé et il savait aussi que lorsqu’il le perdrait, il continuerait à le chercher de monde en monde, de corps en corps, de siècles en siècles jusqu’à ce qu’il le retrouve enfin sous une autre forme sans doute, mais tel qu’il l’avait quitté. Et leur histoire alors reprendrait.
Quand nous nous retrouverons
Dans d'autres nous-mêmes
En prison du même amour
Alors plus fort encore
Je serai toi
Tu seras moi
Mais des fois l'on dirait
Que c'est déjà le cas.
Ce qu’il vivait auprès du Gallois, il ne le vivrait jamais auprès de nul autre. Ce jour terrible qu’il avait baptisé « le jour le plus horrible de sa vie » ne serait rien à côté de celui qui l’attendait le jour où les prunelles bleues de son amour se fermeraient à jamais.
Mais il avait acquis la certitude que leur amour survivrait à tout : à la guerre, à la souffrance, à la mort elle-même.
Toutes ces choses à lui dire et si peu de temps pour le faire à l’aune de son immortalité.
Autant que je les chante
Avant qu'elles ne me hantent
Le jour, la nuit
Et les siècles des siècles
Autant que je les chante
Avant qu'elles ne s'éventent.
Il le caressait des yeux et de la main, il le regardait frémir sous ses doigts et ses gémissements étaient son chant de victoire.
Certes il n’était pas capable de dire ce qu’il ressentait, de mettre des mots sur le maelstrom de sentiments qui bouillonnait en lui, mais il savait poser les gestes pour sublimer les mots et les rendre inutiles. Lorsqu’il le tenait ainsi dans ses bras, ils étaient l’émanation même de l’amour. Etait-ce la nature, Dieu, le diable où il ne savait quelle créature universelle qui les avait réunis à cette époque et en ces circonstances ? Qu’importait…
Qu’importaient les pourquoi, les comment, les peut-être, les pourtant…
Qu’importait ce que lui réservait le cours du temps.
Ils étaient vivants et ils s’aimaient. Tout le reste pouvait attendre.
Autant que je les chante
Avant qu'elles ne me hantent
Le jour, la nuit
Et les siècles des siècles
Autant que je les chante
Avant qu'elles ne s'éventent.
Jack passa une main légère sur le visage de son amour, alangui après leur étreinte. Les prunelles bleues de Ianto se fixèrent sur lui, son regard se fit interrogateur :
- Tu as quelque chose à me dire cariad ? murmura-t-il.
Jack lui sourit tendrement, posa ses lèvres sur les siennes puis se releva pour l’admirer encore, comme s’il ne pouvait se lasser de sa vision.
- Non, répondit-il doucement. Non… Rien… Ou plutôt si : je t’aime.
Trois mots qui valaient plus que tous les discours qu’il ne saurait jamais lui faire.
FIN
Chanson d’Isabelle Boulay