Reclassement du cadeau de Mapi
Préambule : Je ne connais pas les personnes et je ne sais rien de leur vie. Je me contente de les mettre en scène dans une fiction, sans en tirer aucun bénéfice.
Les mots d’amour
Il y avait des jours comme ça où rien n’allait comme il l’aurait voulu. Des jours où la vie semblait prendre un malin plaisir à lui mettre des bâtons dans les roues, à rendre les autres exigeants au-delà du supportable, à le rendre, lui, maladroit, incapable de se faire comprendre, y compris dans ce qui était si important.
Comment pouvait-il réussir s’il n’était même pas apte à trouver les mots pour dire ce qu’il ressentait, ce qu’il voulait, ce qu’il savait au plus profond de lui-même ?
Pourquoi fallait-il qu’il y ait toujours, entre le désir et la réalité, ce fossé qu’il n’arrivait pas à franchir ? Pourquoi s’interdisait-il de s’afficher, de montrer ce qu’il ressentait vraiment, qui il était derrière le maquillage et les sourires sur commande ?
Il haussa les épaules, entendant encore dans sa tête le bruit de la porte qui se claquait : décidément il n’arriverait jamais à comprendre pourquoi ils n’étaient pas sur la même longueur d’onde. Hier il voulait parler et son amour l’en avait dissuadé, aujourd’hui, son amour était prêt à sauter le pas et lui avait reculé devant l’abîme qu’il lui semblait voir s’ouvrir sous ses pieds.
- Tout ça ce ne sont que des mots ! lui avait jeté Tomo en quittant la chambre d’hôtel, blessé et en colère.
Des mots… Juste des mots…
Des mots comme ceux qui d’un seul coup naissaient sous sa main, ces mots qui disaient l’amour qu’il n’arrivait pas à vivre au grand jour.
Les mots d'amour
Ce sont des mots comme à demain
Comme donne-moi encore la main
Tu as mal
Les mauvais jours
Quand on s'est débattu pour rien
C'est je suis là c'est tout va bien
Une escale
Les mots d'amour
Ce sont des mots comme s'en aller
Comme je ne t'ai jamais aimé
Un signal
Du jour où leur histoire avait commencé, ils avaient placé les mêmes limites : personne ne devait le savoir, surtout pas Jared, le petit frère parfois si possessif qui, peut-être, verrait dans leur liaison une menace pour le groupe.
Lui, ça lui allait très bien cette liaison cachée qui faisait battre plus vite son cœur et intensifiait ces rapports clandestins qui les unissaient d’hôtel en hôtel quand, une fois le frontman endormi, ils se rejoignaient pour ces nuits blanches qui leur mettaient des étoiles au fond des yeux et des rêves dans la tête.
Mais vivre caché c’était aussi vivre le soupçon perpétuel qu’allumait un sourire, une main qui s’éternisait un peu trop sur un bras nu, une parole jetée sans y penser…
Son amour avait toujours ce doute de savoir qu’avant lui il y avait eu des femmes et cette crainte qu’un jour il ne retourne à elles.
L’envers du décor c’étaient les scènes qui les dressaient parfois l’un contre l’autre, ces questions, ces reproches, ces justifications.
C'est un voyage en Amérique
Un hôtel insensé
C'est toi cherchant dans mes musiques
Une femme que j'ai aimée
C'est le froid glacé des banquises
Et chambres séparées
Un délire de leçons apprises
D'années qu'on s'est volées
Ils vivaient cette passion secrète depuis des mois maintenant et soudain il lui semblait qu’ils arrivaient au bout de leur route commune, juste parce qu’ils n’avaient pas été capables de s’accorder les mêmes désirs au même moment, juste parce que, quand l’un avançait l’autre reculait, juste parce qu’ils avaient peur peut-être que leur bonheur vole en éclats à la lueur du grand jour.
Mais que leur resterait-il s’ils se séparaient là, sur cette ultime querelle, avec cette rancœur qui les rongerait ?
Que resterait-il de leurs nuits enfiévrées, de leurs caresses furtives, de leurs regards noyés d’amour ?
Que leur resterait-il que juste quelques mots, trop fragiles, trop légers, trop vagues pour bâtir un amour dessus ?
Les mots d'amour
Ce sont des mots comme inquiétude
Comme impatience incertitude
Défaillance
Les mots d'amour
Ce sont des mots comme téléphone
Des mots qu'on ne donne à personne
Des silences
Et certains jours
Ce sont des idées qui s'affrontent
Des mots chiffrés qui font les comptes
Des souffrances
La musique chantait dans sa tête en même temps que les mots se couchaient sur le papier. A ce moment précis, il lui semblait parler à son amour, lui ouvrir son cœur pour qu’il puisse lire à l’intérieur combien il l’aimait, combien il lui était indispensable.
A quoi servait les « si », les « mais », les « pourquoi », les « comment » ?
A quoi servait de s’aimer s’ils ne pouvaient pas sortir ensemble main dans la main ?
Les moments volés, les jours arrachés à un emploi du temps trop précis, les mensonges à leurs proches… Que pouvaient-ils bâtir sur des faux-semblants ?
Le secret c’était la porte ouverte au doute, à tous les doutes.
Les mots ne suffisent pas, ils ne remplacent pas les actes. S’il voulait garder l’homme qu’il aimait à ses côtés, s’il voulait l’aimer enfin au grand jour, il se devait de lui prouver qu’il était plus important pour lui qu’une réputation et même que le groupe.
C'est un voyage en Amérique
Un hôtel insensé
C'est toi cherchant dans mes musiques
Une femme que j'ai aimée
C'est le froid glacé des banquises
Et chambres séparées
Un délire de leçons apprises
D'années qu'on s'est volées
Tomo ne l’avait pas regardé durant toute la répétition mais il avait ressenti au plus profond de lui le désarroi qui l’animait, cette tristesse qui le rongeait et dont il était la cause.
Il avait croisé les yeux de son cadet qui l’interrogeait silencieusement sur le malaise trop visible de leur ami et il avait répondu d’un vague signe de tête voulant dire « Je m’en occupe. »
A l’issue de la répétition, au moment où tout le monde rangeait les instruments il se leva et déclara :
- Attendez, je veux vous faire entendre une chanson que je viens d’écrire.
Puis, prévenant le mouvement de protestation qu’il voyait venir il ajouta, plantant ses yeux dans ceux de son amour :
- Non, reste Tomo. Elle est pour toi !
Il avait pris la guitare des mains de son frère qui lui avait alors adressé un drôle de sourire, puis il avait plaqué quelques accords avant de laisser les mots parler.
C'est un voyage en Amérique
Un hôtel insensé
C'est toi cherchant dans mes musiques
Une femme que j'ai aimée
C'est le froid glacé des banquises
Et chambres séparées
Un délire de leçons apprises
D'années qu'on s'est volées.
Dans le silence qui suivit les notes qui s’éteignait, Shannon releva la tête et planta ses prunelles dans celle de son amour :
- Ne te demande pas qui j’ai aimé avant toi, si un jour j’aimerais après toi. Aujourd’hui tu es celui que j’aime. Je veux que tu sois mon compagnon de route, je veux pouvoir t’aimer au grand jour, sans me cacher.
Ils se tenaient l’un en face de l’autre, aussi empruntés et émus l’un que l’autre et ce furent les rire des deux autres membres du groupe qui les arrachèrent à leur contemplation :
- Et bien, il commençait à être temps ! rigola Jared.
- Quoi ? Vous le saviez ? s’étonna Tomo.
- Difficile de ne rien voir… Vous n’étiez pas vraiment discrets les mecs.
- Pourquoi vous n’avez rien dit ?
- Parce que tant que vous vouliez garder le secret ça n’était pas nos oignons. Mais au moins comme ça les choses seront plus simples.
Ce qu’ils purent dire ensuite, aucun des deux n’en garda le souvenir. Tout ce qui leur resta en mémoire, ce furent leurs corps enlacés et leurs lèvres qui se cherchaient et se trouvaient dans un baiser enfin au grand jour où ils échangèrent tout leur amour en faisant table rase de la colère et des regrets.
FIN
Chanson de Michel Sardou