Reclassement de la fiction offerte à Tarma
Les personnages de la série ne m’appartiennent pas. Ils sont la propriété exclusive de : Stéphane Giusti, Alain Robillard & Alain Tasma. Je ne tire aucun bénéfice de leur mise en situation dans cette fiction.
Voyage jusqu’à toi
Entre eux il y avait tout ce silence, cet océan de non-dits, ce gouffre de culpabilité.
Entre eux il y avait cette gêne, ce sentiment de ne plus se connaître, de ne plus se savoir.
Entre eux il y avait l’impression de s’être trompé de place, de s’être trompé d’histoire.
Yann regardait son mari : aurait-il dû dire ex-mari ? Il le regardait et il essayait de lire dans les yeux azur, lire n’importe quoi : l’amour, les reproches, la colère, la haine peut-être… mais quelque chose… Quelque chose qui lui donne un petit espoir que tout n’était pas perdu.
Tu es assis* devant moi et j´essaie
De trouver ta trace
Toi qui t´égares à nous chercher
Je ne sais sous quels cieux
Et pour arriver jusqu´à toi
Je traverse des mers de glace
Il en avait pourtant tellement rêvé de ces retrouvailles ! Nuit après nuit ses songes les lui avaient délivrées sous toutes les formes possibles : d’un quai d’une gare aux steppes glacées de Sibérie, des plages du sud au sommet de l’Himalaya… Il s’était vu s’approcher de son amour, mettre sa main sur son visage, plonger dans ses yeux pour le lire à cœur ouvert comme il le faisait avant… Avant d’avoir tout gâché, avant d’avoir été le pire des crétins que cette terre ait jamais pu porter !
Mais maintenant, face à son amour, il ne savait plus… Que pouvait-il dire ? Que pouvait-il faire ? Pourquoi ne pouvait-il plus l’atteindre d’un seul regard, d’un seul geste ?
Kevin était-il parti si loin que jamais plus il ne puisse le rejoindre ?
Finalement je t´aperçois là-bas
Tout au fond de tes yeux.
Là-bas où tu vis en été
Là-bas où tu m´as oublié
Il n’y avait plus rien dans les yeux bleus qui ne cillaient pas : plus d’amour, plus de reproches, rien… Un vide plus angoissant encore que ne l’auraient été le feu de la colère, le tsunami des accusations, le gouffre de la haine…
Vide…
Comment peut-on combler le vide ?
Il avait pourtant été tellement heureux lorsqu’un jour
Kevin avait frappé à la porte de son appartement, leur appartement, celui où il était resté, patientant, ne pouvant croire que jamais plus celui qu’il aimait n’en franchirait le seuil. Et lorsqu’enfin ce jour était arrivé, son cœur s’était gonflé de joie, d’amour, de reconnaissance…
Mais il n’avait pas prévu cette apathie, cette indifférence, pire encore que tous les mots que
Kevin aurait pu, aurait eu le droit de lui jeter au visage, lui qui n’avait pas eu assez confiance pour le croire d’emblée.
Comment réparer ce qui s’est brisé ? Comment combler la distance entre eux ?
Qu´il est long le voyage jusqu´à toi!
Qu´il est long le voyage, attends-moi!
J´aurai tous les courages
Aide-moi à chasser les orages
Au fond de moi
Qu´il est long le voyage jusqu´à toi
Attends-moi, attends-moi.
Alors il se mit à parler, à raconter, à décrire…
Tous ces mois de vide, de chagrin, d’angoisse… Ces jours qui n’en finissaient pas de s’écouler et où tout lui parlait de l’absent. Ces nuits où enfin ils se retrouvaient et ces petits matins désespérés d’être de nouveau seul au creux du lit que peu à peu son odeur avait déserté.
Il lui raconta comment, quelques heures à peine après l’avoir laissé chez eux, blessé plus par son incrédulité que par les coups reçus, il était revenu pour lui parler, tenter de démêler avec lui le vrai du faux, de lui faire comprendre qu’il le croyait mais que tout ce qu’il avait cru savoir de Recht l’avait empêché de l’entendre. Il lui narra son désarroi en retrouvant l’appartement vide, ce mouvement d’affolement en se disant que peut-être il avait eu un malaise, qu’il était à l’hôpital. Puis il s’était rendu compte que si ça avait été le cas, il aurait été le premier prévenu parce que, malgré tout ce qui s’était passé entre eux, malgré Tiago, malgré sa propre stupidité, ils étaient toujours des compagnons aux yeux de la société.
Ensuite il lui décrivit la traque qui avait abouti à la chute de Recht et de ses ripoux, à cette joie qui l’avait envahi alors, vite balayée par un flot de regrets de n’avoir pas été capable de le faire avant, de le faire à temps.
Il racontait et
Kevin écoutait, sans un mot, sans un sourire, sans une étincelle au fond de ses yeux devenus ternes.
Tu es assis* devant moi
Et j´essaie de sauver la face
Nos regards s´interrogent mais ne se répondent plus
Par-dessus d´inutiles fleurs
Machinalement nos doigts s´enlacent
Pourquoi faisons-nous rêves à part?
Pour m´inviter, dis, qu´attends-tu?
Ils étaient là, tous les deux, dans ce petit restau où ils avaient fêté leur emménagement et où ils se retrouvaient traditionnellement chaque fois qu’ils avaient quelque chose à fêter.
Mais qu’avait-il à fêter ce soir devant cet étranger si familier ? Qu’avait-il à fêter quand ses mots se heurtaient à la barrière du silence, de l’indifférence, de l’absence ?
Kevin était là mais sans être présent. Ce n’était plus le jeune lieutenant plein de fougue, épris de justice, prompt à s’émouvoir, à s’indigner. Il avait mûri, vieilli… Et quelque part en chemin il avait laissé une part de son âme.
Où qu’il soit allé, il avait tourné une page et, la peur au ventre, Yann avait l’impression que dans le nouveau chapitre que le Basque était en train d’écrire, il n’avait pas, il n’aurait jamais sa place.
« Juste une petite ligne s’il te plaît, juste un petit mot pour moi, quelque chose à quoi m’accrocher, quelque chose qui me fasse espérer que j’ai encore une chance… » La chance de le voir, de le toucher, de dormir contre lui, de l’aimer…
La chance de le retrouver pour rebâtir sur les ruines de leur amour.
Là-bas où tu vis en été
Là-bas où tu m´as oublié
Qu´il est long le voyage jusqu´à toi!
Attends-moi, attends-moi!
Qu´il est long le voyage jusqu’à toi!
Il avait arrêté de parler, comprenant que ça ne servait à rien. Il avait arrêté de parler et il avait arrêté d’espérer. Et dans ses yeux bruns soudain il n’y eut plus rien qu’un immense désespoir alors qu’il admettait sa défaite.
Kevin n’était revenu que pour lui dire adieu. Il allait repartir de là où il venait et plus jamais il ne le reverrait. Il avait semé les graines de leur échec, il avait maintenant à en assumer la récolte !
Et puis soudain, les doigts qu’il avait enlacés, machinalement, répondirent à son geste. Soudain il y eut comme une lueur qui s’allumait dans les prunelles bleues et ce fut comme si le monde entier s’éclairait. Soudain les lèvres tant aimées s’entrouvrirent et enfin
Kevin parla :
- Je ne veux plus vivre à Paris. Là-bas, à Biarritz, j’ai trouvé mon équilibre. Je ne pourrai plus jamais être flic.
- Ce n’est pas grave… Et puis Biarritz, moi ça me va, tant que je suis à tes côtés.
- Tu te vois sur le sable ?
- Je me vois partout où tu seras !
- Tu auras peut-être du mal à avoir une mutation. Le sud est très demandé !
- Alors je les enverrai se faire foutre ! Je deviendrai vigile, conducteur de bus, maçon, prof de surf s’il le faut ! Je m’en fous tant que je serai avec toi.
- Tu es sûr ?
- Je n’ai jamais été aussi sûr.
Le sourire qui éclaira alors le visage aimé, la lumière qui envahit ses yeux lui réchauffa le corps et le cœur : son
Kevin était revenu ! Son
Kevin était enfin là et jamais plus il ne le laisserait quitter la chaleur de ses bras.
Qu’il est long le voyage, attends-moi!
FIN
Chanson de Salvatore Adamo
Paroles originales : assis