Reclassement du cadeau de Galifret en 2016
Les personnages de la série ne m’appartiennent pas. Ils sont la propriété exclusive de : Brad Wright & Robert Cooper. Je ne tire aucun bénéfice de leur mise en situation dans cette fiction.
En relisant ta lettre
Rodney McKay prit son stylo et se mit à écrire tandis que des larmes roulaient sur ses joues. Il se fichait que quelqu’un le surprenne, lui d’habitude si soucieux de l’image qu’il présentait. Il se fichait qu’on le voit ainsi occupée à une tâche qui semblait d’un autre temps : stylo et papier quand ils disposaient de technologie permettant le passage instantané de l’information.
Mais cette information là, elle était de celles qui doivent laisser des traces matérielles. Puisque John avait choisi de communiquer avec lui de cette façon, alors il en faisait autant. Et pourtant, l’écriture, ce n’était pas son fort, ne serait-ce que parce qu’il était toujours en proie au doute quant à l’orthographe de tel ou tel mot : après tout, il était scientifique, pas écrivain ! Son domaine c’était avant tout les nombres, pas les lettres !
Mais là, il savait qu’il n’avait pas le choix, que son bonheur dépendait de ces quelques mots qu’il commençait à écrire, laissant sa pensée donner le tempo à ses doigts tandis que ses yeux allaient sur la missive ouverte à côté de lui.
C´est toi que j´aime
Ne prend qu´un M
Par-dessus tout
Ne me dis point
Il en manque un
Que tu t´en fous
Je t´en supplie
Point sur le i
Fais-moi confiance
Je suis l´esclave
Sans accent grave
Des apparences
Les mots de John résonnaient dans sa tête : « égoïste, égocentrique, immature, esclave des apparences… »
Il n’avait pas compris avant de les voir écrits noirs sur blanc, ou plutôt violets sur bleu pâle, que ces mots jetés au cours des querelles qui les opposaient de plus en plus souvent, ils créaient un abîme dans le cœur de son amant et qu’à terme, celui-ci finirait par les rendre ineffaçables en s’emparant d’un stylo et d’une feuille de papier, comme le faisaient les anciens lorsqu’ils voulaient être sûrs que l’information qu’ils voulaient apporter viendrait bien à la connaissance de son destinataire.
Alors oui, il avait failli, il n’avait pas été capable de s’abandonner à l’amour de John par peur du « qu’en dira-t-on ». Il était Rodney McKay, l’un des plus grands, sinon le plus grand scientifique qu’ait jamais porté ce monde. Cela était-il compatible avec l’homosexualité ? Bien sûr chaque grand savant avait eu ses petits travers, mais… Et lorsqu’il avait dit cela à John, dans un élan de bonne volonté, celui-ci n’avait pas franchement apprécié d’être qualifié de « petit travers ».
C´est ridicule
C majuscule
C´était si bien
Tout ça m´affecte
Ça c´est correct
Au plus haut point
Et maintenant, devant cette lettre qui signifiait une rupture qu’il n’avait pas vue venir alors qu’elle aurait été évidente aux yeux du plus imbécile des crétins qu’ait jamais engendré un quelconque univers, il n’arrivait pas à y croire.
Il n’arrivait pas à comprendre comment John pouvait se montrer aussi cruel avec lui, comment il pouvait ainsi le mettre devant le fait accompli. Bien sûr il lui parlait de la souffrance qu’il ressentait à ne pas pouvoir s’afficher en sa compagnie, à devoir toujours rester l’amant « du placard » (comme s’il lui avait jamais demandé de se cacher dans un placard !), à ne pas pouvoir fêter officiellement en sa compagnie tous ces petits moments qui comptent dans la vie d’un couple…
Mais comme ça… si soudainement…
Si tu renonces
Comme ça s´ prononce
À m´écouter
Avec la vie
Comme ça s´écrit
J´en finirai
Pour me garder
Ne prend qu´un D
Non. Il ne pouvait, il ne voulait pas imaginer la vie sans son militaire adoré, sans cet homme qui lui avait révélé un monde qu’il n’imaginait même pas.
Comment vivre sans plus jamais voir son regard s’éclairer lorsqu’il venait à lui, sans plus contempler son sourire à faire se damner un saint, sans plus entendre sa voix si bien modulée aboyer des ordres à ses subordonnés, sans plus pouvoir le toucher, le humer, le caresser…
Si on lui avait dit, quelques heures plus tôt, qu’il serait ainsi aux bornes du désespoir parce qu’il aurait trouvé dans sa cabine un chiffon de papier, il aurait sans doute aussitôt fait soumettre le porteur de nouvelles à un examen psychiatrique approfondi ! Et pourtant…
Pourtant il était là, lisant et relisant ces phrases qui signifiait la fin de son amour et il n’imaginait pas qu’il puisse y avoir une vie après cela.
Tant de rancune
T´as pas de cœur
Y a pas d´erreur
Là, y en a une
J´en mourirai
N´est pas français
N´ comprends-tu pas?
Ça s´ra ta faute
Ça s´ra ta faute
Là, y en a pas
Il suffirait de si peu : après tout, il était Rodney McKay, il connaissait des techniques létales imparables. Si jamais il le voulait, il pourrait mettre fin à ses jours, là, sur cette table, en serrant dans sa main crispée un chiffon de papier qui accuserait.
Ah il serait bien avancé le militaire lorsqu’on l’enterrerait avec les honneurs dus à sa grande renommée ! Il le voyait déjà sanglotant sur son cercueil, le suppliant de lui revenir, de lui pardonner ses mots. Il voyait les regards des autres sur lui : pleins de reproches d’avoir, par ses actions, privé le monde d’un savant irremplaçable.
Il le voyait et il pleurait sur sa mort à venir…
Et s’il se ratait ? Et s’il se contentait de griller son inestimable cerveau et de devenir à jamais un légume, passant illico d’objet d’admiration à objet de commisération ou, pire, de risée ! Et si jamais il ne mourait pas sur le champ et souffrait une longue agonie ! Il ne supportait pas la souffrance, il ne l’avait jamais supporté !
Moi, j´ te signale
Que gardénal
Ne prend pas d´E
Mais n´en prends qu´un
Cachet, au moins
N´en prends pas deux
Ça t´ calmera
Et tu verras
Tout r´tombe à l´eau
L´ cafard, les pleurs
les peines de cœur
O, E dans l´O
Finalement, il lâcha le stylo : c’était trop compliqué, trop abstrait. John lui avait reproché à plusieurs reprises d’être un attentiste, ne n’être jamais dans l’action ! Et bien il allait lui montrer !
Il sortit en trombe de sa cabine et se rendit au pas de course dans la grande salle où il savait que son colonel avait une réunion d’Etat Major : il voulait de l’action, il allait en avoir ! se répétait-il tout en avançant à une allure qui lui valait les regards étonnés des autres occupants d’Atlantis qui le croisaient. Comment se faisait-il que le professeur McKay, toujours si plein de son importance qu’il ne se déplaçait que comme s’il honorait le sol de ses augustes pieds, pouvait-il presque courir de coursive en coursive, le visage rougi par l’effort tandis que des larmes coulaient de ses yeux.
- John ! Je t’aime ! Ne me quitte pas !
Coupé au milieu d’une phrase adressée à l’ensemble de ses officiers rassemblés pour la réunion, le colonel Sheppard se tourna vers la porte d’où venait de surgir un Rodney essouflé, écarlate et sanglotant qui se pendit bientôt à son cou sous les regards ébahis, amusés ou gênés des autres officiers qui, d’un commun accord, décidèrent de s’éclipser quelques instants pour laisser les deux hommes entre eux, espérant ainsi que leur supérieur oublierait qu’ils avaient assisté à cette scène.
- Ne me quitte pas ! J’ai besoin de toi ! Je t’aime !
John Sheppard jeta un regard éperdu autour de lui. Certes il voulait depuis longtemps que leur liaison devienne officielle, mais là, c’était sans doute un peu trop brutal et surtout trop dramatique pour lui. Et puis son pragmatisme reprit le dessus : désormais, plus personne n’aurait de doute sur ce qui le liait au professeur et c’était juste ce qu’il désirait depuis si longtemps.
Alors il mit de côté toutes ses questions, tous ses doutes, tous ses reproches et il se contenta de serrer contre lui l’homme qu’il aimait. Si celui-ci était venu ainsi, ça prouvait qu’il l’aimait aussi, il en avait si souvent douté. Désormais, ils avaient une chance, et ce ne serait pas lui qui la gaspillerait.
Et dans le baiser qu’ils échangèrent, il y avait la promesse d’une vie à deux qui certes ne serait pas toujours rose, mais aurait au moins les couleurs d’un amour partagé.
FIN
Chanson d’Alain Chamfort