Texte publié dans le fanzine n°2
Les personnages de la série ne m’appartiennent pas. Ils sont la propriété exclusive de:
Steven S. DeKnight Je ne tire aucun bénéfice de leur mise en situation dans cette fiction.
La légende du faiseur de pluie
« Il était une fois un prince. Il était bon, gentil, et courageux. Il vivait avec sa femme qu’il aimait plus que tout au monde : il aurait fait n’importe quoi pour elle comme elle aurait fait n’importe quoi pour lui. D’ailleurs c’était elle qui avait assagi le prince qui, étant jeune, avait mené une vie de combats et de conquêtes, profitant de l’existence sans trop se soucier des autres.
Le prince et la princesse étaient heureux dans leur petit village, entourés de leurs parents et de leurs amis et ils rêvaient d’un enfant qui serait le fruit de leurs amours : un garçon aussi courageux que son père ou une fille aussi belle que sa mère, ils s’en moquaient un peu en vérité, ils voulaient juste agrandir leur famille pour être encore plus heureux qu’ils n’étaient.
Malheureusement, leur village était parfois attaqué par des sauvages qui pillaient leurs richesses, tuaient les hommes et les enfants, violaient les femmes et brûlaient les chaumières. Et lorsqu’un puissant seigneur vint demander aux habitants leur aide pour repousser une nouvelle invasion de ces sauvages, le prince décida de partir avec lui, pour protéger ses biens dont le plus précieux était sa douce épouse. Celle-ci essaya de le retenir près d’elle : souvent les dieux lui parlaient dans son sommeil et elle avait vu son époux vaincu au pied d’un grand serpent rouge. Mais le prince ne l’écouta pas : il pensait qu’avec l’aide du seigneur et de ses troupes il ne pourrait pas perdre.
Il se mit donc en quête des sauvages avec les autres hommes du village, dont leur chef, un vieil homme sage et courageux. La bataille qui s’ensuivit fut féroce et beaucoup de villageois moururent jusqu’à ce qu’enfin le seigneur entre à son tour dans la bataille, faisant fuir les sauvages. Mais ceux-ci étaient nombreux et le seigneur s’installa avec ses hommes pour les empêcher de revenir et d’attaquer à nouveau le village. Le prince et ses compagnons durent rester aussi, parce qu’ils avaient promis leur aide au seigneur et que leur honneur les obligeaient à demeurer à ses côtés, quand bien même ils auraient tant voulu pouvoir retourner chez eux.
Et bientôt la colère gronda dans leur rang, parce que s’il usait et abusait de leurs connaissances, le seigneur était loin de les traiter en égaux avec ses propres troupes : ils ne mangeaient que les déchets de ce qui était alloués à celles-ci, ils vivaient à l’écart du camp, dans le froid et la boue et on ne les écoutait pas. Le seigneur était un félon qui ne voyait que sa propre gloire et enrageait de devoir contenir une horde de sauvages alors qu’à une autre frontière de son puissant empire, des ennemis qui lui semblaient plus dignes de lui et surtout plus digne de servir sa propre cause, étaient combattus par l’un de ses rivaux.
Alors ce qui devait arriver arriva et, le jour où le seigneur décida d’aller combattre cet ennemi en laissant le champ libre aux sauvages qui se dirigeaient vers le village du prince, celui-ci et ses compagnons se révoltèrent, tuèrent certains aides du seigneur et repartirent vers leur village en espérant pouvoir l’atteindre avant que les sauvages ne le mettent à sac. Malheureusement pour eux, en quittant ainsi la troupe, ils devenaient, aux yeux du seigneur et de son empire, des lâches et des félons et par-là même des ennemis à capturer. Le prince s’en moquait : il avait promis d’aider le seigneur à combattre les sauvages, pas d’autres adversaires et surtout pas quand son propre village était menacé.
Pendant ce temps, ignorant tout de ce qui se passait, la princesse était allée en forêt pour cueillir des baies. Et soudain elle fut entourée par un groupe de sauvages qui la regardaient avec des yeux pleins de désir. Elle combattit comme une lionne mais elle aurait succombé si son prince n’était pas arrivé à ce moment-là. A eux deux ils abattirent leurs attaquants puis se jetèrent dans les bras l’un de l’autre, heureux de s’être retrouvés. Mais lorsqu’ils revinrent vers le village, il était trop tard et celui-ci flambait tandis qu’on entendait les hurlements des habitants massacrés par des hommes bien plus nombreux qu’eux.
Comprenant qu’ils ne pouvaient rien faire pour ceux qu’ils aimaient, le prince et la princesse se réfugièrent dans la montagne et ils passèrent la nuit à se retrouver et à se prouver tout leur amour. Au petit matin, alors qu’ils étaient encore endormis, le seigneur les trouva. Il était ivre de rage et assoiffé de vengeance : à cause du prince il avait perdu la face devant ceux qu’il souhaitait tant impressionner. Surpris en plein sommeil, le prince ne put rien faire et sa princesse lui fut arrachée, hurlant et tendant les bras vers lui tandis qu’il se battait contre les hommes qui tentaient de l’empêcher de la rejoindre. Mais l’homme le plus courageux et le plus fort du monde ne peut rien contre des ennemis supérieurs en nombre et il succomba bientôt sous les coups. Il tenta de plaider la cause de sa tendre épouse auprès du seigneur mais celui-ci ne fit qu’en rire, lui assurant qu’elle serait désormais esclave, avant de l’assommer.
Lorsqu’il reprit ses sens, il était en mer et chaque seconde qui passait l’éloignait encore plus de son aimée et le désespoir empli son cœur en pensant qu’il ne la reverrait peut-être jamais. Lorsqu’il fut arrivé dans une ville du puissant empire que servait le seigneur, il fut condamné à périr dans l’arène où des malheureux étaient tués ou s’entretuaient pour le plus grand plaisir d’un peuple assoiffé de sang. Mais le prince était un grand guerrier et il eut raison des quatre adversaires qu’on lui envoya, ce qui provoqua un revirement en sa faveur : le peuple demanda qu’on le laisse vivre et les dirigeants de la ville durent s’incliner, à l’immense rage du seigneur qui voyait celui qu’il considérait comme son ennemi, celui qui lui avait dit qu’il n’avait pas d’honneur, survivre alors qu’il pensait qu’il le verrait mourir.
Notre prince fut alors acheté par un homme qui dressait des gladiateurs : des hommes dont le métier était de combattre dans l’arène et d’y mourir pour le plaisir du peuple. Bien sûr il tenta de se rebeller, mais il n’était pas de force. Cependant, son maître, puisque désormais il avait un maître, était convaincu qu’il pourrait faire un grand combattant et il chercha un moyen de l’amener à accepter son sort. Il proposa donc au prince un marché : il combattait dans l’arène pour lui et lui, il retrouvait sa princesse et la lui ramenait. Bien que méfiant, sa confiance ayant déjà été trahie par des hommes de cette race, le prince accepta : pour lui, ce qui comptait par-dessus tout c’était de retrouver celle qu’il aimait. Et de ce moment, il devint l’un des plus grands gladiateurs que l’empire ait jamais connu, éclipsant même celui qui, jusque là, avait le titre d’invaincu et qui fut son ennemi dès son arrivée au ludus. Mais un jour, le maître décida de les faire affronter ensemble un adversaire terrible que l’on appelait l’ombre de la mort.
Il faut savoir qu’à cette époque une terrible sécheresse s’était abattue sur la région et les puissants pensèrent qu’un combat amadouerait les dieux qui leur enverraient alors la pluie. Et le plus beau de ces combats devait être celui de notre prince et de son partenaire contre l’ombre de la mort. Le combat fut terrible, acharné : ils faillirent y perdre vingt fois la vie et vingt fois ils se relevèrent. Et, tandis que son compagnon de lutte restait au sol, grièvement blessé, notre prince réussit à trancher la tête du géant, devenant alors une légende ! Au moment-même ou la tête roulait sur le sable, la pluie s’abattit sur l’arène : le faiseur de pluie était né.
- Et après ? Et après maman… Qu’est-ce qu’il est devenu ? Il a retrouvé sa princesse ?
Elle sourit : c’était toujours les mêmes mots, les mêmes questions. L’enfant connaissait l’histoire mieux qu’elle-même mais il ne s’en rassasiait jamais.
« Son maître lui apprit que sa princesse allait arriver, alors le prince le remercia d’avoir tenu sa parole. Mais, au fond de lui, il décida que jamais son aimée ne deviendrait l’esclave de son maître, dans la villa, tandis que lui continuerait à se battre pour la gloire de celui-ci et il décida de fuir dès que son épouse serait de nouveau dans ses bras. Malheureusement, le convoi qui la lui ramenait fut attaqué et, lorsqu’il ouvrit la porte du chariot, sa princesse tomba dans ses bras où elle mourut quelques minutes après.
Fou de douleur, le prince décida de rester un gladiateur : il n’avait plus rien qui l’attachait en ce monde et peu lui importait de mourir un jour dans l’arène. Mais le sort s’acharna contre lui, le conduisant, pour le plaisir d’un enfant, à tuer son meilleur ami, celui qui l’avait soutenu depuis son arrivée au ludus. Il devint alors l’ombre de lui-même et la maladie finit par l’abattre.
- Mais il n’est pas mort maman… Hein ? Il n’est pas mort ?
- Non… Il était fort et surtout, durant sa maladie il revit l’homme qui avait accompagné sa princesse et il devina que celui-ci avait menti. Il l’obligea à lui avouer ce qui s’était passé et appris ainsi que son maître l’avait trahi : c’était lui qui avait ordonné la mort de son épouse, pour être sûr qu’il resterait à jamais près de lui.
Son cœur se gonfla alors de haine et, aveuglé par le désir de vengeance, il réussit à convaincre ses camarades de se révolter avec lui. Ils massacrèrent tous ceux qui étaient dans la villa et s’enfuirent dans les montagnes. C’est alors que sa légende prit encore plus de force.
Durant des mois il défia le puissant empire et les hommes qu’on lançait à sa recherche, parvenant ainsi à tuer le seigneur qui avait été la cause première de ses malheurs. Mais son combat de s’arrêta pas avec la mort de celui-ci : il décida de faire trembler ce peuple qui l’avait asservi et était cause de tant de souffrances. Il libéra bien des esclaves de leur chaîne et leur armée grandit petit à petit jusqu’à devenir une force énorme. Il avait à ses côtés des compagnons fidèles…
- Comme mes pères ?
- Oui… Comme tes pères, et tant d’autres aussi. Mais petit à petit la haine qui l’aveuglait fut remplacée par le désir de protéger les faibles. Il ne put pas toujours empêcher ses propres hommes de perpétrer des horreurs mais il fit toujours de son mieux.
Un jour il prit une ville afin de pouvoir abriter son armée et il interdit qu’on fasse du mal aux habitants qui échappèrent à l’attaque. Mais, l’empire avait envoyé un serpent qui se glissa parmi eux et qui parvint à semer la discorde entre le prince et ses généraux, conduisant au massacre des prisonniers survivants pour augmenter la haine que pouvait ressentir l’empire envers le prince. Un homme puissant était à l’origine de ce plan : un homme qui avait juré de tuer le prince et d’anéantir son armée.
A cause du traître, la ville tomba et le prince et son armée furent assiégés sur une montagne glacée où beaucoup des leurs moururent. Mais l’ingéniosité du prince permit aux survivants de s’enfuir et ils trouvèrent refuge dans une villa où l’un des généraux déclara qu’il voulait aller attaquer la capitale de l’empire. Le prince, lui, voulait avant tout mettre ceux qui avaient cru en lui, les esclaves libérés qui ne pouvaient se battre : vieillards, femmes et enfants à l’abri. Alors ils se séparèrent bons amis, chacun prenant le chemin qu’il pensait juste.
Le général connut bien des victoires mais malheureusement il finit par tomber sur le champ de bataille et le prince reçut un jour sa tête, apportée par sa compagne qu’on avait épargnée à cet effet. Il sut alors que sa fin était venue mais il ne baissa pas les bras pour autant. Un dernier combat lui permis de faire libérer ceux de ses troupes qui avaient survécu à la bataille où son ami avait péri et il comprit que ce serait son dernier coup d’éclat : avoir libéré une fois encore cinq cents malheureux voués à la mort, parmi lesquels un autre de ses généraux qu’il aimait tendrement.
- Père ?
- Oui… Père…
- Et ensuite ?
La voix de l’enfant n’était plus enthousiaste : il savait comment l’histoire finissait, mais il voulait l’entendre jusqu’au bout.
- Ensuite… Ensuite il y a eu une grande bataille où le prince et ses troupes se sont battus à un contre cent ! Il a tué à lui seul des dizaines d’adversaires et il a même failli tuer l’homme puissant qui était à ses trousses. Mais il fut frappé lâchement par derrière tandis que son armée était décimée. L’un de ses généraux intervint et réussit à l’emporter avec l’aide de son compagnon et ils l’emmenèrent sur la montagne où il mourut, heureux de retrouver enfin sa princesse dans un autre monde, heureux surtout d’être mort libre, persuadé qu’il valait mieux mourir ainsi que de vivre enchaîné.
Jamais l’empire ne retrouva son corps, et le peuple tremble encore en entendant son nom. C’est ainsi qu’est née la légende du faiseur de pluie.
- Comment se nommait-il ?
- Nul ne le sait. On l’appelait Spartacus et nul ne fit honneur à son nom comme cet homme, pourtant nul ne détesta le porter autant que lui.
- Spartacus… comme moi ?
- Comme toi. Tu lui feras honneur un jour mon fils, mais tu vivras toujours en homme libre.
L’enfant avait fermé les yeux et sa mère déposa un baiser sur son front puis sortit de la pièce. Là, comme chaque soir elle croisa le regard des deux hommes qui, tapis dans l’ombre, avaient écouté cette légende, cette légende qu’ils connaissaient pour l’avoir écrite aux côtés du faiseur de pluie.
- Il ne se lasse pas de cette histoire, sourit Nasir.
- Non. Il ne s’en lasse pas. Un jour, il saura qu’il est son fils.
- Je crois qu’il le sait déjà, répliqua Agron. Il a beau nous appeler Père tous les deux, je crois qu’il sait que ni l’un ni l’autre ne l’avons conçu.
- Je crois qu’il le sait aussi. Mais tant qu’il ne pose pas la question, je ne le lui dirai pas. Un jour viendra…
Elle leur sourit et s’éloigna. Les deux hommes restèrent silencieux quelques instants puis gagnèrent à leur tour leur chambre en pensant au destin fabuleux de cet homme qu’ils avaient eu l’honneur de côtoyer. Ils n’étaient qu’une poignée de survivants qui s’étaient installés sur ce lopin de terre, à l’écart des représailles de Rome. Des couples s’étaient formés, des enfants étaient nés, la vie s’était organisée et même Agron avait fini par prendre du plaisir à cette vie calme et heureuse.
Ils avaient désormais un devoir sacré : veiller sur l’enfant de Spartacus, cet enfant qui portait en lui l’espoir d’un futur meilleur pour tous ceux que Rome avait asservis, cet enfant qui les appelaient père, l’un et l’autre, lui dont la mère n’avait pas de compagnon et n’en aurait sans doute jamais. Agron et Nasir s’endormirent, lovés l’un contre l’autre, conscients que la destinée les avait désignés pour survivre et témoigner, comme Sybil, comme Moira et cet enfant venu au monde juste avant la dernière bataille, comme quelques autres qui porteraient toujours au cœur la légende du faiseur de pluie.
Dans sa chambre la mère sourit en posant sa main sur ce ventre qui, cinq ans plus tôt, lui avait donné l’enfant de Spartacus, cet homme qu’elle avait tour à tour craint, haï, admiré puis aimé. Elle n’avait eu qu’une nuit avec le faiseur de pluie, mais une nuit qui lui avait apporté cet enfant que son époux ne lui avait pas donné, une nuit qui restait dans sa mémoire comme un cadeau des dieux. Ca lui paraissait une autre vie, une vie où elle était Romaine et libre, une vie où elle s’appelait Laeta.
FIN