Fiction publiée dans le fanzine 2, sur la très belle série "call the midwife" sur la base d'un épisode magnifique qui traite avec pudeur de l'inceste fraternel sans jamais mettre de mots sur cela.
Les personnages de la série ne m’appartiennent pas. Ils sont la propriété exclusive de : Heidi Thomas, basés sur les mémoires de Jennifer Worth. Je ne tire aucun bénéfice de leur mise en situation dans cette fiction.
Texte basé sur l’épisode 105 : Drôle de patiente
Qu’y a-t-il après ?
Jenny Lee se tentait au seuil de la pièce, fixant l’unique lit et elle se débattait entre son devoir d’infirmière et ses convictions du bien et du mal. Lorsque Peggy apparut derrière elle, lui suggérant qu’elle pourrait vider le bassin, elle se réfugia dans son rôle professionnel : c’était son travail.
Peggy ne fut sans doute pas dupe de la brusquerie avec laquelle l’infirmière, jusqu’alors avenante, l’avait plantée là. Mais elle n’en avait que faire. Qu’elle la juge si elle le voulait… De toute façon elle avait déjà payé pour son pêché, si tant est que c’en fut un, et payé bien avant l’avoir commis ! Et puis ça n’avait pas d’importance : qu’elle aille parler si elle le voulait, qu’elle les dénonce même ! De toute façon Franck était mourant.
Franck allait mourir.
Qu´y a-t-il après
Quand nos âmes ont disparu
Quand nos cœurs ne battent plus
Près de ceux qu´on aime?
Il la regardait, assise à ses côtés et il s’inquiétait pour elle. Désormais il n’avait plus d’espoir. Il savait que la mort s’était emparée de lui et qu’elle ne le relâcherait pas. Rien n’y ferait. Ce traitement douloureux, il ne l’avait accepté que pour elle, sa Peggy, sa belle et douce Peggy, l’amour de sa vie. Mais la lutte avait été vaine.
Il était au bout du chemin et il s’en voulait de la laisser derrière lui, une fois de plus. Il s’était pourtant promis, lorsqu’il l’avait retrouvée, que jamais plus il ne la laisserait seule, que jamais plus elle ne partirait loin de lui, que jamais plus on ne la lui arracherait. Et là… C’était lui qui allait partir, lui qui allait l’abandonner à son sort, pauvre créature perdue dans un monde où il était son seul repère.
Peut-être aurait-il dû l’encourager à vivre sa vie. Elle aurait moins souffert aujourd’hui de le perdre. Mais il n’avait pas pu. Il n’avait pas su. Il savait que personne ne pouvait comprendre. Peggy lui avait raconté la réaction de Jenny Lee et il comprenait que, malgré toute sa bonté, malgré son esprit plutôt ouvert, la jeune femme les condamnait.
Il n’avait pas envie de se justifier, pas envie de perdre du temps en vaine parole. Son heure était venue et les explications ne serviraient à rien. De toute façon il ne voulait pas s’excuser, il ne voulait pas faire semblant de regretter.
Personne ne pouvait comprendre… Personne…
Parce que pour comprendre, il aurait fallu passer par tout ce qu’ils avaient traversé. Et cela, il ne le souhaitait à quiconque.
Si nos souvenirs se diluent dans l´infini
Qu´en est-il de nos amours et nos amis?
Quand je m´en irai
Pour ailleurs ou pour après
J´aurai si peur de n´y trouver que des regrets
Je cherche déjà les chemins d´éternité
Qui pourront guider mes pas pour te trouver...
Sept ans… A sept ans on devrait juste penser à rire, à jouer, à être aimé. A sept ans on devrait rêver d’un avenir radieux.
Lui, à sept ans, son monde s’était écroulé. Ses parents étaient morts brusquement et on était venu les chercher !
Le malheur s’ajoute au malheur ! A cette époque, être orphelin était un crime ! On ne vous plaignait pas, on ne vous dorlotait pas, on ne vous confiait pas à des gens aimants qui, certes, ne pourraient jamais remplacer les êtres chers, mais qui, au moins, saurait vous donner l’amour dont tout enfant a besoin pour s’épanouir.
Non… Etre orphelin c’était être un rebut de la société. On vous enfermait dans ses grandes maisons grises, sans âme, sans amour, sans rêve, sans espoir. On vous enfermait et on vous dressait à devenir de parfaits petits citoyens, punissant chaque entorse à un règlement sévère et inhumain, recourant à la violence physique, aux privations, à l’enfermement.
Dans cet univers vous n’aviez pas de droits, juste des devoirs. Les corvées à faire à tour de rôle, les longues journées dans une classe lugubre sous la férule d’un maître qui ignorait le sourire et la bienveillance, les repas silencieux à la longue table du réfectoire, ces aliments insipides et inodores qui vous remplissaient l’estomac sans vous contenter, les nuits froides dans le grand dortoir et les toilettes glacées du petit matin : un monde que seuls ceux qui sont passés par là peuvent comprendre. Les autres auront beau déployer des trésors d’imagination, ils n’arriveront jamais à toucher du doigt l’immensité de la détresse, du chagrin, de la colère, de la révolte et surtout de la solitude.
Sept ans et sa vie s’était brisée en mille morceaux, sans aucun recours, sans aucun espoir de la recoller un jour. Sept ans et il s’était fait une promesse, le genre de promesse qu’on se fait bien plus tard, lorsqu’on est adulte, lorsqu’on sait ce qu’est la vie. Il s’était juré de toujours veiller sur sa précieuse petite sœur, sa Peggy adorée, qui, du haut de ses cinq ans, pleurait elle aussi la perte de leurs parents en se cramponnant à la seule famille qui lui restait.
Il gardait encore en mémoire les hurlements de la fillette lorsqu’on l’avait arrachée à lui, de force. Il se souvenait avoir crié aussi, avoir rué entre les bras du policier qui le retenait, lui avoir bourré les tibias de coups de pieds, cherchant à se dégager, cherchant à courir vers sa petite sœur. Il s’était juré d’être toujours là pour elle, de la protéger, de l’aimer de tout son petit cœur d’enfant, de lui faire oublier combien la vie peut être injuste. Il se l’était juré ! Et voilà que ceux qui auraient dû veiller sur eux, qui auraient dû tout tenter pour les garder ensemble, le faisaient renier son serment. On emmenait Peggy loin de lui…
Qu´advient-il de nous
Quand nos yeux se sont fermés
Sur tous ceux qu´on va laisser
Terminer nos rêves
Longtemps après qu’elle ait disparu, ses hurlements résonnaient encore à ses oreilles. Il n’avait plus de force désormais, il ne cherchait même pas à échapper au policier qui l’avait assis sur une chaise et le surveillait du coin de l’œil. Lorsqu’une autre voiture s’arrêta devant leur maison, il entendit l’officier dire à l’homme qui en sortait :
- Celui-là, il va vous falloir le garder à l’œil. C’est de la mauvaise graine !
- Ne vous inquiétez pas ! La mauvaise graine, c’est justement notre spécialité, répliqua le nouvel arrivant.
Puis, s’adressant au garçonnet d’un ton sec, il lui avait intimé l’ordre de le suivre. Franck avait obtempéré : il n’avait pas le choix. Il savait que s’il se mettait à courir, les deux hommes n’auraient aucun mal à le rattraper. Non… Il devait suivre cet homme. Pourtant, à cet instant précis, il se jura qu’il n’abandonnerait jamais Peggy, jamais ! Un jour il la retrouverait et alors personne au monde ne pourrait plus les séparer !
Il lui avait fallu plus de quinze ans pour tenir sa promesse. Durant les cinq ans passés à l’orphelinat, il avait tenté par trois fois de s’échapper, s’attirant à chaque fois des punitions de plus en plus dures. Il avait fini par comprendre que ce n’était pas la bonne façon. Alors il s’était jeté à corps perdu dans les études. Oh, évidemment, on ne leur apprenait que les bases, pas question pour eux d’envisager de longues études : lire, écrire, compter, avoir de la morale et connaître son histoire religieuse était suffisant pour faire un bon apprenti qui deviendrait, avec l’aide de Dieu, un bon ouvrier. Mais une fois les portes de la lecture ouverte, il avait pu s’évader dans un autre monde et surtout acquérir une nouvelle manière de penser et d’appréhender le monde, une manière qui lui avait permis de comprendre qu’il devait attendre encore un peu pour retrouver Peggy.
Il attendrait, mais rien ni personne ne l’empêcherait de la retrouver.
Au bout du chemin, si le temps n´existe pas
Où s´en vont tous les visages d´autrefois?
Quand je m´en irai
Pour toujours ou pour jamais
Je voudrais tant te dire encore que je t´aimais
A douze ans, comme tous les petits orphelins de cet âge, il avait été confié à un patron. Il avait eu de la chance : bien que rude et avec la main leste, le sien n’était pas un méchant homme. Avec lui, il avait appris à devenir un bon mareyeur. C’était grâce à lui qu’il pouvait aujourd’hui enseigner à Tip ce qu’il connaissait, laisser cette trace en ce monde, lui dont le monde n’avait jamais eu que faire.
Mais en même temps qu’il apprenait son métier, grandissait, devenait un homme, il n’oubliait pas la petite sœur cramponnée à sa veste. Il entendait toujours ses hurlements tandis qu’on l’emmenait loin de lui. Dès qu’il avait été majeur, il était allé aux services sociaux pour savoir dans quel orphelinat Peggy avait été emmenée, espérant que, peut-être, elle avait eu la chance d’être adoptée, même s’il réalisait que cela compliquerait singulièrement sa tâche. L’administration n’avait pas été plus clémente avec le jeune adulte qu’elle l’avait été naguère avec l’enfant. Des fonctionnaires, tous plus rébarbatifs que les autres, hommes ou femmes, l’avaient balloté de service en service jusqu’à s’entendre dire qu’on ne pouvait pas lui donner le renseignement qu’il attendait, puisqu’il n’était pas légitimement en droit de le recevoir.
Pas légitimement en droit de le recevoir ? Parce qu’un frère n’est pas légitime ? Parce qu’un frère n’a pas le droit de savoir ce qu’il est advenu de sa petite sœur ? La colère grondait en lui, violente, âpre, et pourtant il l’avait contenue. Il avait appris dans les cris et les larmes que la colère ne débouchait jamais sur rien de bon et surtout pas sur l’exaucement de son désir.
Si les mots parfois sont trop lourds au fond du cœur
Les silences ont la couleur de nos secrets...
Finalement, après des mois de recherche, il était tombé sur une jeune femme, pas encore complètement déshumanisée par ce milieu froid et austère, qui lui avait donné l’adresse d’un orphelinat.
Il tenait enfin le bout du fil et il ne le lâcha que le jour où il fit face à Peggy.
Oh ! Qu’elle était loin la jolie petite fille aux boucles blondes dont il gardait le visage imprégné dans sa mémoire ! Pourtant il ne lui fallut pas longtemps pour la retrouver dans cette jeune femme un peu maigre, effarouchée, qui, n’ayant connu de la vie que la peur et la violence, vivait dans une angoisse perpétuelle de mal faire. Il l’apprivoisa, petit à petit, et elle lui raconta son enfance dévastée, la même que la sienne, avec, comme elle était fille, les cours d’entretien domestique obligatoires, quand bien même on leur serinait à longueur de journée que, orphelines, elles auraient bien du mal à se trouver un mari et qu’elles feraient mieux d’opter pour le voile.
Peggy n’avait pas la foi. Comment avoir la foi quand on vous a jeté en prison lorsque vous n’aviez pas six ans ? Comment avoir la foi quand les hommes et les femmes qui vous parlent de Dieu vous frappent, vous houspillent, vous insultent et vous répètent que vous ne valez rien ? Comment avoir la foi quand, après avoir passé une demi-journée à genoux à laver le sol pavé, les mains gercées par l’eau glacée, vous êtes privé de nourriture pour avoir oublié une tâche ou que des adultes passent avec leurs souliers crottés et que vous devez reprendre votre tâche ingrate sans vous plaindre ?
N’ayant pas la foi, elle avait refusé de devenir religieuse, malgré les pressions exercées sur elle, soulignant que, étant donné son physique, elle avait encore moins de chances qu’une autre de se trouver un homme acceptant de passer sur sa condition d’orpheline démunie. Encore des mots qui l’avaient blessée et avaient saccagé le peu de confiance qu’elle avait en elle. A douze ans, une fille aime qu’on la trouve jolie… Elle n’avait jamais prétendu être une beauté, comme Eva avec ses longues boucles blondes, sa poitrine développée, ses lèvres charnues et ses yeux bleus, Eva qui avait quitté l’orphelinat à douze ans et qu’elle avait croisé trois ans plus tard, exerçant le plus vieux métier du monde et ayant perdu l’éclat joyeux qui brillait dans ses yeux. Non… Elle ne se pensait pas belle, avec ses cheveux châtains, rendus ternes par le manque de nourriture et de sommeil, sa poitrine plutôt plate et ses yeux gris, mais elle ne se pensait pas laide, jusqu’à ce qu’on lui dise.
Pourtant, elle avait résisté : non, elle ne serait pas nonne ! Alors elle était partie en apprentissage dans une maison de couture où travaillaient une vingtaine de petites mains. Levée la première, couchée la dernière, houspillée par les unes, moquées par les autres, Peggy avait appris à devenir une petite souris invisible mais indispensable, sachant où était sa place et ne la quittant jamais.
Il me reste encore tant de larmes et tant de rires
Tant de choses à découvrir
Des bonheurs à vivre
C’était cette Peggy-là que Franck avait enfin retrouvée. Une Peggy qui travaillait comme femme de ménage, ayant quitté l’atelier, premier acte d’autonomie de sa part, dont elle ne revenait toujours pas d’ailleurs.
Ils s’étaient redécouverts, jour après jour, reprenant leur vie là où elle s’était arrêtée. De nouveau il avait eu sept ans, de nouveau elle en avait eu cinq. Ils avaient marché des heures, main dans la main, sur les quais de la ville. Ils avaient ri aux éclats en se lançant des boules de neige l’hiver, en se maculant le visage de glace l’été, en se roulant dans l’herbe au printemps, sans se soucier des regards réprobateurs que les autres posaient sur ces deux jeunes gens se comportant comme des enfants.
Mais ils étaient des enfants, des enfants qui redécouvraient ensemble le plaisir de vivre, le bonheur d’espérer, la quiétude d’être aimés. Ils avaient cinq et sept ans. Puis ils en avaient eu dix et douze, puis seize et dix-huit : le temps des premiers émois, le temps des premiers flirts…
Comment regarder une autre fille quand on n’a dans le cœur qu’une Peggy ? Comment frémir devant un autre garçon quand dans la nuit on ne rêve que d’un Franck ? Ce lit qu’ils partageaient en toute innocence, comme les enfants qu’ils étaient redevenus, il devint soudain le symbole de cette ligne à ne pas franchir, cette limite qui ferait définitivement d’eux des parias.
Mais parias, ils l’étaient depuis ce jour maudit où leurs parents n’étaient pas revenus, où personne n’avait proposé de les recueillir, comme s’ils ne valaient pas la peine qu’on leur fasse une place, on les avait emmenés, chacun de leur côté, où ils avaient cessé d’être des enfants.
Aujourd’hui ils étaient des adultes, libres de leur choix et tout ce que voulait Franck c’était Peggy, tout ce que voulait Peggy c’était Franck. Ils s’étaient aimés simplement, sans se poser de question, sans penser ni au bien, ni au mal… Simplement leur proximité les rassurait, les faisait se sentir vivants, enfin à leur place, eux à qui on avait tant seriné qu’ils n’en auraient plus jamais.
S´il fallait partir, moi mon ciel ou mon enfer
Ce serait de te chercher dans l´Univers...
Qu´y a-t-il après
Quand nos âmes ont disparu
Quand nos cœurs ne battent plus
Près de ceux qu´on aime?
Ils avaient déménagé dans l’East-End où Franck avait repris le négoce d’un mareyeur mort dans un accident et Peggy avait trouvé une place de femme à tout faire à Nonnatus House.
Ils vivaient heureux, protégeant leur bonheur de toutes leurs forces, sachant que si jamais on devinait leur secret, on les séparerait de nouveau, au nom de la morale, cette morale qui les avaient broyés quand ils étaient bien trop jeunes pour se défendre.
Sœur Vivienne avait deviné. Lorsqu’elle avait compris que la supérieure savait, Peggy avait tremblé. Pourquoi, parmi toutes les femmes qui peuplaient l’East-End, fallait-il que leur secret soit découvert par l’une de celle les moins aptes à comprendre et à pardonner ? C’est à cette occasion que le couple avait compris que, dans la religion comme partout ailleurs, il y a aussi des êtres dévoués aux autres, appliquant les évangiles et se dispensant de juger, laissant cela à d’autres instances, bien au-dessus d’eux, en lesquelles ils croyaient.
Franck n’avait pas peur du jugement divin, si jamais ledit jugement existait. Leur amour était pur, dénué de la moindre lubricité. C’était l’attachement de deux âmes qui s’étaient retrouvées et si parfois les corps se rapprochaient c’était toujours avec beaucoup de ferveur et de respect, comme une prière de remerciement à la destinée qui les avait réunis.
Non… Il savait que si Dieu était bien tel qu’il l’avait appris dans le livre, l’inverse de ce que certains pasteurs imaginaient, il comprendrait et qu’en aucun cas il ne condamnerait cet amour qui peut-être n’aurait pas été si les hommes n’avaient pas séparé les enfants d’alors. Grandi auprès de sa sœur, Franck l’aurait considérée comme telle et sans doute que tout leur quotidien en aurait été bouleversé. Mais il avait quitté une toute petite fille et retrouvé une jeune femme… Sœur… amie… amante… Où était le pêché puisqu’ils ne faisaient de mal à personne.
Et désormais, il allait la laisser de nouveau sur le bord de la route. Il le savait et elle le savait et pourtant ils n’en parlaient pas. Lorsqu’elle s’approchait de lui, il souriait, lui racontaient les promenades qu’ils allaient faire lorsqu’il irait mieux et elle lui souriait en retour en agrémentant le projet de quelques suggestions. Il savait qu’elle savait. Elle savait qu’il savait. Mais si personne n’en parlait, alors peut-être que le miracle aurait lieu ?
Si nos souvenirs se diluent dans l´infini
Qu´en est-il de nos amours et nos amis?
Quand je m´en irai pour ailleurs ou pour après
J´aurai si peur de n´y trouver que des regrets
Le miracle n’avait pas eu lieu. Franck dormait de son dernier sommeil et elle lui lisait cette histoire qu’il affectionnait tant. Elle avait demandé à Jenny de ne pas prévenir les croque-morts avant le lendemain, de lui laisser quelques heures avec son frère, quelques heures pour admettre l’inéluctable, quelques heures pour tenter de trouver en elle le courage de continuer, seule à nouveau, sans personne pour la réconforter, sans un corps contre lequel se blottir, sans une main sur laquelle s’appuyer…
Elle avait brossé ses cheveux, enfilé sa chemise de nuit, la plus belle, la plus blanche et elle s’était glissée dans les draps, à ses côtés. Sur la table de nuit, elle avait posé le flacon de morphine qui ne lui servirait désormais plus à rien, lui qui avait enfin cessé de souffrir. Elle savait qu’elle aurait dû se réjouir pour lui : la fin de sa vie avait été si pénible. Elle était certaine que, si elle n’avait pas été là, il n’aurait pas accepté tous ces traitements, il ne se serait pas accroché avec cette volonté farouche, malgré les misères qu’il endurait. Il était en paix désormais… En paix quelque part où, à son tour, elle le rejoindrait.
A sept ans, il avait fait le serment de ne jamais la quitter, puis de la retrouver. Aujourd’hui c’était elle qui se faisait le serment de le retrouver, où qu’il soit. Elle lui lisait l’histoire et elle avait l’impression qu’il l’écoutait, qu’il était là, près d’elle et qu’il tenait sa main dans la sienne. Cette main que plus personne, jamais, je la forcerai à lâcher.
Et je sais déjà les chemins d´éternité
Qui pourront guider mes pas pour te trouver...
Le lendemain matin, sœur Vivienne et Jenny Lee les découvrirent tous les deux : elle dormait contre lui, de son dernier sommeil. La morphine qui ne le calmait plus dans les derniers jours lui avait apporté, à elle, la paix qu’elle recherchait. Personne ne pourrait les séparer, personne ne pourrait les juger.
Ils étaient ensemble, à jamais.
FIN
Chanson de Yves Duteil