Cathy
Cathy soupira, regardant autour d’elle ces couples qui se faisaient et se défaisaient au gré des musiques. Des mains s’égaraient sur les peaux, des bouches se joignaient, des gémissements naissaient. Parfois, du coin de l’œil, elle voyait un duo s’éclipser discrètement, sortir du halo de lumière pour trouver refuge dans l’obscurité de la plage. Elle savait très bien que, quelques dizaines de mètres plus loin, des corps se cherchaient, s’étreignaient, se confondaient…
Elle ne les condamnait pas mais ne les enviait pas non plus. Elle aurait pu être de ces filles qui se laissaient aller. De nos jours c’était si facile avec le préservatif, la pilule, le stérilet et toutes les méthodes de contraception, de s’abandonner sans redouter les conséquences. Elle était assez jolie pour faire partie de celles à qui on faisait des avances, assez populaire pour être invitée à ces fêtes qui finissaient toujours de la même manière, mais ce n’était pas ce dont elle rêvait.
Les moments d’égarement
Sans dégâts apparents
Les aventures faciles
Cathy, c’est pas son style
Elle était en troisième année de droit à l’université de La Rochelle, et, dès que le printemps revenait, c’était les mêmes soirées étudiantes sur la plage qui se concluaient, pour beaucoup de ses amies, par une étreinte torride, plus ou moins satisfaisante selon le partenaire, et qui, s’il fallait en croire la rumeur publique, entretenait la forme et le moral.
Mais elle ne pouvait s’y résoudre. Comme elle disait aux camarades qui lui reprochaient d’être vieux jeu, elle ne copulait pas, elle faisait l’amour. Et dans « faire l’amour » il y a « amour » ajoutait-elle, un peu sentencieuse.
Elle aimerait qu’il soit beau
Et puis qu’il ait du cœur
Au niveau du cerveau
Pas crétin l’enchanteur
Alors elle restait la bonne copine, celle avec laquelle on rigole, à qui on demande de l’aide lorsqu’on a des difficultés sur un devoir, sur un point du programme, à qui on vient confier ses peines de cœur et ses doutes… Et cela pour les garçons comme pour les filles.
C’est ça… Elle était la bonne copine de tout le monde, l’amie de quelques uns.
Mais elle n’était la petite amie de personne.
Cathy, elle en crève
D’être trop bien pour eux
D’être la fille qui rêve
De rendre un homme heureux
D’être la fille qui rêve
Et dont personne ne veut.
Durant sa première année, loin de ses parents, livrée à elle-même, elle avait accordé sa confiance à deux reprises. D’abord il y avait eu Aurélien. Aurélien et ses yeux verts, sa chevelure brune qui tombait en boucles sur ses épaules, son corps semblant taillé pour faire rêver les jeunes filles…
Il avait été son premier amour, son premier coup de foudre. Lorsqu’elle l’avait vu, trois semaines après la rentrée, au détour d’un couloir, elle avait pensé que c’était LUI, celui dont elle rêvait depuis longtemps.
Mais l’étudiant de quatrième année avait à peine remarqué la petite nouvelle qui posait sur lui des yeux émerveillés.
Ils s’étaient revus deux semaines plus tard à la première fête estudiantine à laquelle elle avait assisté et, lorsqu’un gars de sa classe avec lequel elle avait sympathisé, lui avait présenté son grand frère, elle était restée bouche bée, rougissant comme une adolescente attardée. Le grand frère en question n’était autre qu’Aurélien dont elle apprit le prénom à l’occasion.
Il fut charmé de sa timidité, conquis par sa douceur, amusé par son admiration manifeste et, comme elle était assez jolie pour en valoir la peine, il avait flirté avec elle. Puis, se rendant compte de son inexpérience il s’était pris au jeu : il voulait être son premier.
Les histoires éphémères
Sans effets secondaires
Les aventures faciles,
Cathy, c’est pas son style
Aurélien avait, en apparence, tout ce qui comptait à ses yeux : l’intelligence, la gentillesse, la prévenance, et, ce qui ne gâtait rien, il était beau.
Alors, lorsqu’il avait jeté son dévolu sur elle, Cathy avait été flattée au-delà des mots. La vie lui avait alors semblé merveilleuse : non seulement elle était amoureuse de l’homme le plus fantastique de l’univers, mais elle avait la chance incroyable que son amour soit partagé !
Elle n’avait pas écouté les amies qui lui murmuraient qu’une seule chose intéressait Aurélien et que, lorsqu’il l’aurait obtenue, elle ne compterait plus pour lui. Elle n’avait pas plus pris la peine de croire Tristan, son jeune frère, son copain de classe, qui avait aussi tenté de la mettre en garde contre son Don Juan de frère. En ce qui le concernait, elle avait simplement mis la tentative sur la jalousie qu’il ressentait à voir son grand frère hériter de la fille sur laquelle il avait des vues.
Elle aurait mieux fait d’être moins aveugle.
Elle rêvait d’un héros
Mais les héros sont morts
Roland de Roncevaux
A oublié son cor
Après quinze semaines d’une liaison idyllique, elle avait cédé à Aurélien. Cette première fois qu’elle avait rêvée parfaite, ne lui avait laissé qu’un sentiment mitigé de douleur et de léger dégout mêlés. Tandis qu’il s’escrimait en elle avec des grognements de bête, son prince ne lui avait plus semblé aussi charmant.
Pourtant elle n’avait pas hésité à se donner de nouveau, chaque fois qu’il l’avait voulu : après tout, une fois le premier pas franchi… Et, peu à peu, elle avait trouvé du plaisir dans ces étreintes, sans jamais cependant parvenir à cette plénitude qu’elle s’était imaginée. Cela venait sans doute d’elle, de son inexpérience pensait-elle…
Et puis Aurélien s’était détourné : il avait trouvé des excuses pour annuler leurs rendez-vous. Naïve, elle l’avait cru. Après tout, en quatrième année, le travail était acharné, il avait un stage, des examens, des travaux pratiques… Elle voulait lui faire confiance, ne pas s’imposer, ne pas jouer les mégères.
Jusqu’au jour où, moins de trois semaine après leur première fois, elle l’avait surpris dans les bras d’une rousse sulfureuse qui, visiblement, ne devait pas se faire prier, elle, pour passer de la position verticale à l’horizontale.
Elle avait fui, blessée au plus profond d’elle-même, pensant que plus jamais elle n’accorderait sa confiance à un homme.
Cathy, elle en crève
D’être trop bien pour eux
D’être la fille qui rêve
De rendre un homme heureux
D’être la fille qui rêve
Et dont personne ne veut.
Il lui avait fallu plus d’un an pour, non pas oublier, mais gommer le souvenir d’Aurélien. Elle avait recommencé à fréquenter les fêtes d’étudiantes, juste pour n’être plus seule.
Et puis il y avait eu Guillaume, certes moins beau qu’Aurélien, mais dont le sourire était vrai et tendre. Il avait d’abord été un ami avec qui il faisait bon rire sans arrière pensée, sortir voir un film, admirer une exposition, celui qui lui servait d’alibi lorsqu’un mec se faisait un peu trop pressant et était trop lourd pour comprendre qu’il l’indisposait plus qu’autre chose.
Ensuite, insensiblement, ils avaient commencé à glisser vers quelque chose de plus intime, jusqu’au jour où ils s’étaient retrouvés dans le même lit.
Pour faire rimer l’amour
Avec le mot toujours
Une véritable idylle
Cathy, ce s’rait son style
Elle avait voulu y croire…
Avec Guillaume elle avait des fous-rires qu’elle n’avait jamais eu avec Aurélien, des conversations sur des sujets extraordinairement variés, toujours stimulantes, comme elle n’en avait pas connu avec Aurélien. Il lui avait fait découvrir d’autres univers, d’autres horizons… Il avait ouvert sa vision sur une autre approche du monde.
Autant Aurélien était égoïste, autant Guillaume était altruiste, faisant toujours passer le bien-être de sa petite amie avant le sien…
Guillaume avait tout…
Mais il n’était pas Aurélien. Et un jour elle s’était aperçue qu’elle se servait de lui, alors elle lui avait dit « au revoir » et il avait accepté son choix.
Ils étaient restés amis, jusqu’au jour où Guillaume, fidèle à lui-même, s’était engagé dans l’humanitaire.
Et depuis Cathy était seule.
Elle voudrait juste un homme
Qui soit fait sur mesure
Tout c’quelle veut, c’est un homme
Qui lui parle au futur.
La plupart du temps elle supportait bien son statut de célibataire. Elle n’avait pas besoin d’un homme pour exister, répétait-elle à qui voulait l’entendre. La normalité qui voulait qu’à son âge on ait un petit ami en titre lui semblait stupide.
Mieux vaut être seule que mal accompagnée, répétait-elle à la famille qui s’enquérait d’éventuels prétendants, aux amies qui la pressaient de se « faire plaisir » sans s’engager.
C’était quelque chose qu’elle refusait : se donner sans sentiments, juste pour se sentir « comme les autres ». Elle n’était pas de celles qui peuvent passer de bras en bras, de corps en corps, en prenant du plaisir sans rien partager d’autre que ce moment fugace de volupté.
Elle aimait aller à ces fêtes, parce qu’elle restait d’un naturel sociable : l’expérience Aurélien ne l’avait pas aigrie. Mais parfois, comme ce soir, lorsque la fête tirait à sa fin et qu’elle restait l’une des seules personnes qui repartait sans être accompagnée, elle se demandait si elle n’aurait pas dû, à son tour céder au chant des sirènes.
C’est aussi dans ces moment-là qu’elle repensait à Guillaume et qu’un regret fugace lui étreignait le cœur. Peut-être aurait-elle dû lui donner une autre chance, parce que, la nuit, souvent, son visage revenait la hanter. C’était lui désormais qui peuplait ses rêves, et plus Aurélien.
Mais Guillaume était parti au loin, parce qu’elle n’avait pas su alors qu’il était peut-être celui qu’elle attendait, parce qu’elle était encore trop meurtrie par sa précédente expérience et qu’elle le comparait trop souvent à Aurélien.
Cathy, elle en crève
D’être trop bien pour eux
D’être la fille qui rêve
De rendre un homme heureux
Cathy, elle en crève
D’être trop bien pour eux
D’être la fille qui rêve
Et dont personne ne veut.
Cathy sortit de son rêve éveillé et frissonna. L’aube n’allait pas tarder à poindre et les feux sur la plage s’étaient éteints depuis longtemps.
Mais elle était restée là, assise sur le sable, les yeux rivés sur l’horizon à penser à ces trois années passées, à Aurélien, à Guillaume…
Soudain elle avait envie que ce dernier soit là, à côté d’elle, qu’il lui prenne la main avec tendresse et la porte à sa bouche. Elle aurait aimé qu’il soit près d’elle pour regarder le soleil qui n’allait pas tarder à se lever.
Avait-elle jamais passé de ces moments de pure beauté avec Aurélien ? Quel démon l’avait poussée à rompre avec Guillaume qui était si doux et attentionné ?
Aujourd’hui elle se rendait compte qu’elle n’avait pas été prête alors. Maintenant elle l’était, mais il était trop tard, Guillaume était parti. Elle sentit les larmes lui piquer les yeux et frissonna de nouveau.
Soudain une veste s’abattit sur ses épaules et elle tourna un visage étonné vers l’arrivant.
- Guillaume ?
Elle devait s’être endormie et être en plein rêve. Aux dernières nouvelles Guillaume était quelque part en Afrique en train de construire une école…
- Et oui ma belle, je suis revenu.
- Mais, qu’est-ce que tu fais là ?
- J’avais envie de voir le soleil se lever… Et quand je t’ai vue…
Il s’interrompit, mais ses yeux parlaient pour lui : il l’aimait encore. Elle lui sourit à travers ses larmes et il s’assit à côté d’elle puis entoura ses épaules de son bras. Elle se blottit alors contre lui, et soudain ce fut comme si elle n’avait jamais quitté l’abri de ses bras.
Ils se tournèrent ensemble vers l’astre qui montait dans le ciel, et Cathy savait, du plus profond d’elle-même qu’il éclairait sa vie d’un jour nouveau.
Aujourd’hui, quelqu’un l’avait choisie.
FIN
Chanson de Véronique Rivière