Petite songfic offerte pour les... euh... 72 ans de Brigitte...
Préambule :
Les personnages de la série ne m’appartiennent pas. Ils sont la propriété exclusive de: Hubert Besson, Georges Desmouceaux, Bénédicte Achard, Magaly Richard-Serrano & Olivier Szulzynger. Je ne tire aucun bénéfice de leur mise en situation dans cette fiction.
Personnages : Thomas/Florian
Genre : P.O.V. – Romance – Songfic
Résumé : Après la mort de Florian, quelle vie pour Thomas ?
Où s’en vont ?
Il lui avait choisi son plus beau costume, celui qu’il ne mettait que pour les grandes occasions, celui que lui se faisait un plaisir de lui ôter, pièce après pièce, avant de l’aimer avec fougue et tendresse. Il avait déposé un dernier baiser sur ses lèvres déjà froides, il avait laissé une dernière fois sa main caresser le beau visage désormais figé, il avait tenté en vain de retenir les sanglots qui lui montaient à la gorge et puis il s’était réfugié dans les bras de son père tandis qu’on fermait le cercueil d’acajou, emprisonnant à jamais son amour, brisant à jamais son cœur.
Il regardait ce trou, ce trou béant et noir où on allait enfermer l’homme de sa vie, son espoir, son soutien, son soleil.
Florian n’avait jamais aimé l’ombre et l’humidité : il était fait pour le grand jour, la chaleur… Il était la vie…
Et à ce moment-là, Thomas n’entendait pas les paroles de l’officiant, il ne voyait pas ceux qui se tenaient autour de lui… Il écoutait cette plainte qui montait du plus profond de son être, ce gémissement monocorde qui occultait tout le reste, ce cri soudain qui éclatait sous le soleil impavide…
C’était lui qui criait, qui criait sa révolte, qui criait son désespoir…
- Vous ne pouvez pas l’enfermer dans le noir… Vous ne pouvez pas…
Ou s'en vont ? Ou s'en vont ?
Tous ces potes qu'on aime, ces certaines affections.
Qu'on est long, qu'on est long
à dire les je t'aime qu'on pense quand ils s'en vont.
Il y avait eu cette main dans la sienne et ces sanglots qui se joignaient aux siens. Il y avait eu, dans ce brouillard qui l’entourait depuis des jours, le visage d’Elodie, ce visage chiffonné, déformé d’adolescente devenue une petite vieille soudain tant le chagrin la transfigurait.
C’est alors qu’il avait su qu’il n’avait pas le droit de se laisser couler, que, quel que soit son désir de se laisser aller, de rejoindre au plus vite son amour dans l’autre monde, il se devait de continuer, pour lui… Parce que, c’est ce que Florian aurait voulu : qu’il vive et qu’il soit là pour son enfant.
Alors il était resté… Et la vie avait repris son cours… La vie sans lui… La vie sans joie et sans lumière.
Mais il y avait Elodie, Elodie perdue, Elodie révoltée, Elodie désespérée, Elodie à la dérive…
Elodie qui se dressait contre sa mère, se détournait des études, passait ses nuits dans des boîtes peu fréquentables…
Elodie qui, à l’aube de ses dix-sept ans, était arrivée chez lui, brisée, épuisée, sale… et dans ses bras il y avait cette nouvelle vie, ce nouvel espoir…
Avant de s’en retourner vers cette vie qui la consumait, incapable de répondre à son amour, incapable d’affronter sa propre image, elle lui avait simplement dit que c’était son fils et qu’elle comptait sur lui pour s’en occuper, parce qu’elle ne serait jamais une bonne mère pour lui.
Il avait tenté de la retenir mais elle lui avait souri, de ce même sourire qu’avait eu son amour avant de le quitter et il avait compris que cette fois encore il ne pourrait rien : les dés du destin avaient cessé de rouler et ils s’étaient arrêté. Elle se rendait à leur sentence…
La dernière chose qu’elle avait dite en ouvrant la porte, lui laissant l’enfant dans les bras c’était :
- C’est un garçon, il s’appelle Florian.
Où vont les gens qu'on aime quand ils s'en vont?
C'est pas vrai qu'ça s'arrête, ce s'rai trop con.
Alors il y avait eu ce nouveau soleil dans sa vie. Florian…
Il avait son sourire et ses yeux… Il avait ses gestes parfois…
Il lui avait aussi volé son cœur, irrémédiablement, sans espoir de retour.
Bien sûr, parfois, son corps réclamait autre chose que la chaleur fragile de cet enfant, et dans ces cas-là il savait où trouver celui avec qui il pourrait passer un peu de temps, juste pour se libérer de la fièvre avant de revenir vers le gamin.
Florian à un an : ses premiers pas hésitants, ses premières colères, ses éclats de rire…
Florian à trois ans : son petit cartable sur les épaules, ses cheveux soigneusement peignés et ce petit air chiffonné lorsqu’il l’avait laissé à l’école, fuyant pour cacher ses larmes tandis que l’enfant l’appelait.
Florian à six ans : penché sur son livre de lecture, si joyeux lorsque les mots se révélaient à lui, avide de tout savoir, de tout comprendre.
Florian à dix ans : dernière année d’école primaire et les questions qui dérangent… Pourquoi maman ne vient jamais me voir ? Qui est mon père ? Pourquoi… Pourquoi…
Il lui avait raconté et entre eux il n’y avait pas de tabou, pas de silence, pas d’incompréhension.
Les copines, les tontons
ces anges à nous, nos divines affections.
Qu'on est long, qu'on est long
à dire les je t'aime qu'on pense quand ils s'en vont
Et puis un jour Elodie était revenue : une Elodie qui avait appris à vivre avec ses blessures, ses révoltes, sa colère. Elle était mariée à un brave type, elle attendait une petite fille, la petite sœur de Florian, elle voulait qu’il fasse partie de leur vie.
Mais Florian avait Thomas, son Paddy à lui… et il ne voulait pas quitter celui qui l’élevait depuis douze ans. Ce n’était pas de la colère envers sa mère non, juste l’immense amour qui le liait à celui qui lui avait tout appris.
C’est comme ça qu’ils s’étaient installés ensemble dans cette grande maison de la banlieue marseillaise. Thomas et Florian vivaient dans une aile, Elodie, Lagos, et leurs trois enfants dans la partie centrale. Ils étaient une grande famille, une famille heureuse bien qu’atypique : le fils aîné qui vivait avec celui que ses frères et sœurs à la peau mate appelaient papy, le père, enfant de l’immigration, arrivé en France avec des parents trop vite disparus, élevé de foyer en foyer, la mère, la fille du juge qui avait tout connu de la déchéance et de la rédemption et lui… lui…
Lui qui portait la mémoire d’un avant… Lui qui, lorsqu’il voyait la tribu jouer joyeusement sur la grande pelouse, avait l’impression de voir son amour lui sourire, sentait sa main sur la sienne et son souffle dans son cou, comme s’il était là, près d’eux, veillant sur leur bonheur.
Où vont les gens qu'on aime quand ils s'en vont?
C'est pas vrai qu'ça s'arrête, ce s'rai trop con.
Le temps avait passé… Si vite…
- Paddy ?
Thomas tourna la tête vers Florian, souriant de le voir si beau, si fort… Quelque chose qu’il avait réussi dans sa vie : donner à cet enfant toutes les chances qu’il était en droit d’espérer.
- Paddy… Maman m’a appelé… Elle m’a dit que tu n’allais pas bien.
Maman… Encore une de ses victoire que d’avoir réussi à convaincre le gamin que celle qui revenait vers lui était sa mère et qu’elle avait fait de son mieux. Elle ne l’avait pas abandonné, comme il le clamait, elle le lui avait confié parce qu’elle savait qu’il saurait le rendre heureux.
Alors certes elle avait manqué douze années de sa vie, mais elle s’était bel et bien comportée comme une mère en le protégeant et en faisant ce qui était le mieux pour lui.
Ca n’avait pas toujours été simple entre eux… Mais ils y étaient arrivés… Tous ensemble.
Grâce aussi à la bienveillance et à la patience de Lagos… C’était vraiment un type bien qu’Elodie avait trouvé au fond du trou et qui l’avait aidée à remonter à la surface.
Et aujourd’hui en regardant ce petit garçon devenu cet homme qui lui en rappelait tant un autre, Thomas comprenait pourquoi il avait survécu.
Ou s'en vont ? Ou s'en vont ?
Tous ces potes qu'on aime, ces certaines affections.
Qu'on est long, qu'on est long
à dire les je t'aime qu'on pense quand ils s'en vont.
- Mais non… Ca va… Je suis content de te voir fiston. Parle-moi de toi, de Thomas, d’Elvire et de Théo.
Un petit rire le secoua. Comme la vie était à la fois injuste et miséricordieuse !
Il semblait qu’après lui avoir tout pris, elle voulait lui rendre ce qu’elle avait volé.
Très vite Florian avait su qu’il était gay et il l’avait assumé avec cette confiance en soi que lui avait inculqué son Paddy. Il n’avait pas à avoir peur, il n’avait pas à avoir honte… Il était comme il était… Si quelqu’un devait être cloué au pilori pour cela, alors c’était dame nature qui serait jugée… pas lui.
Il y avait eu les petits amis de passage, ces gamins insouciants où Thomas se retrouvait parfois : leur appétit de vivre, leur inaptitude à s’imaginer mortels, leurs petits soucis devenus énormes catastrophes à leurs yeux…
La vie… La vie toute simple avec ses hauts et ses bas.
Et puis un jour Florian lui avait dit qu’il avait rencontre l’homme de sa vie, celui qui allait donner un sens à son existence, son amour à lui… l’ironie du sort voulant que cet amour s’appelle Thomas.
C’était comme un signe du destin : ils avaient une deuxième chance, la chance de vivre leur amour dès le premier jour, sans faux pas, sans trahison, sans appréhension.
Il avait vu cet amour s’épanouir, jour après jour. Les deux hommes s’étaient installés ensemble, s’étaient mariés puisque la législation leur permettait maintenant de le faire, les autorités étant devenues un peu plus intelligentes.
Thomas se souvenait de l’émotion qui l’avait étreint ce jour-là, alors qu’il couvait des yeux ce jeune Florian, ce jeune Thomas, eux qui avaient toute la vie devant eux. Il s’était juré de tuer quiconque chercherait à ternir leur bonheur, à les arracher l’un à l’autre.
Mais il semblait qu’il avait payé pour eux le prix de la sérénité, car aucune tempête ne s’abattit jamais sur eux. Bien sûr il y eut de petites crises : du doute, de la jalousie de part et d’autre, des fâcheries, des bouderies… Mais il était toujours là pour les rapprocher, leur faire comprendre combien ils avaient de chance d’être ensemble, leur rappeler que la vie était courte, le bonheur fugace, et qu’il fallait profiter de chaque instant qui nous était donné.
Il avait appris sa leçon trop tard, de manière trop cruelle pour ne pas savoir trouver les mots qui leur faisait comprendre que le plus important c’était de s’aimer, de se respecter et de s’écouter.
Oh… font les gens qu'on aime quand ils s'en vont.
C'est pas vrai qu'ça s'arrête, ce s'rai trop con.
- Paddy ? Paddy, tu m’écoutes.
- Bien sûr mon grand… raconte encore.
Il riait avec lui de ces anecdotes sans originalité, de ces petits riens qui faisaient de leur vie celle qu’il aurait pu connaître en son temps s’ils n’avaient pas été si bêtes tous les deux, si entiers, si aveugles…
- Paddy… A quoi tu penses ?
- A rien… Juste… Une idée qui me vient… C’est… Tu sais… Te voir comme ça… Parle-moi des petits… Ils sont là ?
- Bien sûr… Tu ne les entends pas ?
Les petits : Elvire et Théo… Ces enfants qu’un jour la loi devenue plus humaine et plus sensée leur avait permis d’adopter. Deux gamins qui avaient actuellement quatre et six ans et qui faisaient le bonheur de la famille : de grand-mère Elodie, de grand-père Lagos des cousins et cousines eux-mêmes parents, et surtout de Paddy Thomas… L’aïeul aux cheveux blancs et aux mains parcheminées qui vous racontait des histoires formidables, qui vous caressait les cheveux de cette main un peu sèche mais si pleine d’amour que lorsqu’elle se posait sur vous, vous vous sentiez quelqu’un d’important parce qu’on vous aimait.
La tribu était restée réunie dans le grand domaine : Florian, Thomas et les enfants vivaient avec leur Paddy, Elodie et Lagos avaient investi l’autre aile pour laisser le corps du logis à la plus jeune fille, installée là avec mari et déjà deux enfants. Les deux aînés revenaient régulièrement avec leurs familles respectives pour de grandes fêtes où chacun se racontait, se retrouvait, se ressourçait.
C’était ça le miracle de son existence… Tous ces enfants qui étaient un peu de son Florian, de cet amour qui avait brisé son cœur le jour où on l’avait descendu dans la terre. Mais depuis il avait appris qu’un cœur brisé peut survivre, et qu’il a encore beaucoup d’amour à donner, certes pas le même, mais de l’amour quand même.
Alors oui… En cette fin d’été, et malgré la fatigue qui s’infiltrait au plus profond de ses os, Thomas savait qu’ils avaient réussi, Florian et lui : ils avaient eu cette lignée dont ils avaient parfois parlé, Florian par le sang et lui par le cœur.
- Tu veux les voir ?
- Oui…
Et tandis que son petit-fils se détournait pour aller chercher les petits, il se sentit fatigué. Il allait fermer les yeux, juste deux minutes… juste le temps de reprendre quelques forces pour affronter les gentils démons.
Où vont les gens qu'on aime quand ils s'en vont?
En arrière plan il entendait toujours la voix des gamins, ces criailleries sans colère, ces rires pleins de joie, pleins de vie.
Et lui savait qu’ils allaient devoir continuer sans lui : son cœur usé le lui soufflait depuis bien des jours déjà… Il n’était pas dupe du retour de Florian qui aurait dû être à Paris pour un séminaire.
Il avait si longtemps veillé sur eux : aujourd’hui c’était eux qui veillaient sur sa vieille carcasse. Petit à petit il se sentait devenir un poids mort et ce n’était pas juste, ni pour eux, ni pour lui…
- Mais ils t’aiment mon amour…
La voix tant aimée le fit sursauter. Il ouvrit les yeux et reçut un choc en voyant Florian se tenir devant lui, pas le Florian qu’il avait élevé non, SON Florian, son juge magnifique au sourire resplendissant.
Il était là, devant lui, auréolé de lumière, aussi beau que dans sa mémoire et il le regardait de ses yeux pleins d’amour.
- Florian… Tu es venu…
- Bien sûr… Tu en doutais ?
- Non… Mais il y a si longtemps que je t’attends.
- Je sais. Mais tu avais tellement de choses à accomplir. Le moment n’était pas encore venu.
- Mais maintenant il l’est ?
- Il l’est, si tu le veux, si tu penses que ta tâche est terminée.
Dans sa tête il repassa ces quarante années : Elodie sortie de son enfer, Florian en couple et père de deux charmants enfants, Roland parti plus de vingt ans auparavant et tous ceux dont il avait croisé la route et qu’il avait aidés du mieux qu’il avait pu.
- Oui… Oui… Je pense que tout est en place maintenant.
- Alors viens…
Son amour se penchait sur lui et ses lèvres se posaient sur les siennes : c’étaient les mêmes lèvres si douces, cette même saveur sucrée, cette même odeur de miel… C’était son Florian et jamais plus rien ne pourrait les séparer.
- Florian…
Et celui qui rentra à cet instant dans la pièce, accompagné de deux gamins rieurs, comprit que ce souffle qui s’exhalait de la bouche de son Paddy n’était pas pour lui. Rapidement il confia les enfants à son compagnon, sans se soucier de leurs protestations et il s’approcha du fauteuil où le vieillard s’était endormi en prononçant le prénom tant chéri.
Il n’avait pas besoin de porter la main à son cou pour savoir que la vie n’y pulsait plus. Il n’avait pas besoin de se pencher sur lui pour savoir que désormais il allait devoir continuer sans ce roc qui l’avait soutenu durant plus de quarante ans.
Mais malgré la tristesse qui l’envahit à cet instant, malgré les larmes qui se mirent à rouler sur ses joues, il savait qu’il ne devait pas être triste. Le visage de Thomas resplendissait de sérénité et de joie, un sourire se devinait sur les lèvres parcheminées.
Alors il sut, il sut au plus profond de lui que Florian était venu chercher son amour et que désormais rien ni personne ne pourrait plus jamais les séparer.
C'est pas vrai qu'ça s'arrête, ce s'rai trop con.
FIN
Chanson de Michel Fugain