Dans le bruit du résonnement de ses pas sur les pavés, il avançait dans la nuit parisienne. L’heure était tardive, et les rues étaient désertes. Seul, perdu dans ses pensées, il ne sentait même plus le froid de cette nuit d’hiver. Noël approchait, et la lueur des illuminations se reflétait dans les petites flaques d’eau qu’il rencontrait sans qu’il y porte la moindre attention. Tout ce qu’il aurait voulu à cet instant, c’était être près de lui, mais il avait déserté la soirée dans laquelle ils s’étaient embarqués tous les deux. Trop de monde, trop d’inconnus, trop de gens que seul leur succès intéressait.
Dans la journée, ils avaient tourné un enregistrement de l’émission, et à nouveau, ses lèvres avaient touché les siennes. Le sketch avait beaucoup fait rire le public, et avec toute la bande ils s’étaient bien amusés, comme à chaque fois, mais la seule chose qu’il retenait vraiment, c’était la douceur du baiser qu’ils avaient échangé. Pourtant il avait tout fait pour que le sketch finisse autrement, mais quand Majid avait une idée dans la tête, c’était un exploit que de le faire changer d’avis. Il avait insisté, disant que cela plairait au public, et du reste il avait raison… Le problème, c’est que les spectateurs n’étaient pas les seuls à qui cela avait plu, et maintenant, c’était dans sa tête à lui que la scène se rejouait à l’infini.
Cela faisait quelques mois qu’il s’était rendu compte que son partenaire de scène était plus qu’un ami pour lui, et il ne savait pas du tout comment le gérer. Il ne voulait pas perdre son amitié, et s’il arrêtait leur duo maintenant alors qu’ils pouvaient enfin remplir des salles, Majid ne lui pardonnerait pas. Pourtant, au fond de lui, il savait que c’était ça ou devenir fou.
Arrivé sur un des nombreux ponts qui reliaient les deux rives de Paris, il s’arrêta et plongea son regard dans la Seine. Que devait-il faire ? Pourquoi les choses étaient elles si compliquées, pourquoi ne pouvait-il pas simplement profiter du moment présent, et savourer leur succès comme il se doit ?
Il repensa au jour de leur première rencontre. Ils étaient tellement différents, personne n’aurait pu deviner qu’ils deviendraient célèbres ensemble, et encore moins que l’un des deux tomberait amoureux de l’autre.
S’appuyant sur le rebord, il ferma les yeux. A nouveau, il visualisa le visage de son ami se rapprochant du sien, suivi de ce doux contact qui le hantait. Lorsqu’il regarda à nouveau devant lui, le visage s’effaça, et il serra les dents en se rendant compte que les larmes n’étaient pas loin.
Sa poche se mit à vibrer, quelqu’un l’appelait. Il hésita, il n’avait pas envie de parler, mais curieux de savoir qui pouvait bien faire son numéro à cette heure tardive, il attrapa son téléphone et vit une photo de Majid faisant l’idiot s’afficher. Etonné, il décrocha, juste avant que l’appel ne bascule sur son répondeur.
- Allo ?- Yep mon pote, où est ce que t’es passé ?- Oh, je suis rentré, j’étais fatigué...- T’es rentré ? Tu te fous de moi ? Je suis devant ta porte, et je vois bien que t’es pas là.- …- Hugues ? Ca va ?- Oui, oui, t’inquiète, je suis sur le pont des Arts, j’ai marché un peu et je suis arrivé jusque là.- Marché un peu ? T’a traversé la moitié de Paname à patte pour arriver où t’es !- Tout ce monde à cette soirée, j’avais besoin de prendre l’air… Mais qu’est ce que tu fous devant chez moi ? Tu me cherchais ?- Ben j’ai bien vu qu’un truc allait pas, t’as été bizarre toute la journée! Quand j’ai vu que t’étais plus là, je suis venu direct chez toi ! Pourquoi tu m’as pas dit que t’en avait marre ? On aurait pu finir la soirée ailleurs !- T’avais l’air heureux d’y être, je ne voulais pas t’emmerder…- Ecoute mon pote, sans toi, c’est pas pareil, surtout si je sais que t’es pas bien. Tu veux que je te rejoigne ?- Non, c’est bon, rentre chez toi, je vais me trouver un taxi et retrouver mon pieu.- T’es sûr ?- Mais oui maman ! Allez t’inquiète, on se voit demain comme prévu pour les répet ?- Ok, à demain alors ! Mais si t’a besoin t’appelle d’accord ?- Mais tout va bien je te dis ! A plus !- Ciao !
Hugues raccrocha et regarda son téléphone perplexe. Que son ami s’inquiète ne l’étonnait pas, il était assez protecteur envers tout son entourage, mais qu’il soit allé jusque chez lui pour s’assurer que tout allait bien le touchait. A défaut d’avoir un amoureux transit, il avait un véritable ami, et c’était déjà infiniment précieux.
Reprenant sa marche, il se rendit sur un grand boulevard pour trouver un taxi, et fut bientôt chez lui. Lorsque la porte de l’ascenseur s’ouvrit, il eu la surprise de découvrir Majid assis le dos contre sa porte qui l’attendait.
- Qu’est ce que... ?- Je m’inquiétais, vraiment… Je voulais m’assurer que tu rentres.- Mais tout…- Non ca va pas, je le sens bien… Tu crois que je te connais pas depuis le temps ? Tu t’es baladé pendant une heure et demi en pleine nuit alors qu’on se les gèle dehors, y’a forcément un truc qui déconne. Même Artus l’a remarqué ! Il m’a demandé si t’était amoureux !- Hein ? Mais non…
Il avait répondu du tac au tac, mais Majid vu la lueur de panique qui était passé dans son regard. Il avait vu juste, il y avait quelqu’un là dessous.
- Je sais pas qui c’est, mais pour te rendre aussi malheureux ça doit être un sacré connard.- Raconte pas de conneries… ça a déjà dû t’arriver, non, de tomber raide dingue d’une fille qui ne te calculait pas.- Il y a bien quelqu’un alors…- Tu veux entrer ? Je dois avoir de la bière au frigo.
Hugues s’effaça dans l’entrée pour laisser passer son ami, qui après une brève hésitation franchit le pas de la porte. Il se dirigea vers la cuisine, et en revint avec deux bières, alors que Majid s’était affalé dans le canapé. Il voulait se donner un air décontracté, mais sans comprendre pourquoi, le plus vieux remarqua une certaine tension dans son attitude. Lui tendant une des bières, il s’assit dans le fauteuil a coté de lui.
- Alors, c’est qui ?- Hum ?- C’est qui qui te calcule pas ?- T’inquiète, c’est rien, ça me passera… Et puis de toute façon, il n’est pas gay.- Ca répond pas à ma question...- Quelle importance ?- Ca en a pour moi…
Alors qu’il levait un regard perplexe sur son ami, celui-ci continua :
- Je m’inquiète pour toi…- C’est sympa, mais je t’assure que ça va ! La vie va reprendre son cours, et tout va bien se passer.- … Tout à l’heure, tu disais que ça m’était surement déjà arrivé avec une fille… mais … non. Tu sais à quel point je suis irrésistible.
Les deux hommes se sourirent. Dans leur duo, c’est vrai que c’est lui qui collectionnait les lettres d’amour enflammées, aussi bien de femmes que d’hommes, et Hugues aimait beaucoup le mettre en carafe avec ça. Le jeune homme continua sur sa lancée, sentant d’instinct que c’était le moment où jamais :
- Mais t’as raison, ça m’est déjà arrivé. Et il ne me calcule pas non plus.
Le regard du plus vieux se recentra sur le visage de son ami, et le scruta avec une sorte d’avidité. Il ? Ainsi celui qu’il croyait foncièrement hétéro avait eu un jour des sentiments pour un homme, et en plus il en parlait au présent. Serait-il possible que… ?
- Hey mec, arrête de me regarder comme ça, t’es flippant !
Quelque chose était en train de se passer, et s’il y avait un espoir pour que son rêve se réalise, il ne fallait pas qu’il laisse échapper l’instant. Il déglutit, et lui répondit :
- Tu n’as jamais rien tenté ?- Plus d’une fois, mais il ne comprend pas le message.
Le plus vieux sentit son cœur se rétracter, tout l’espoir qu’il avait mis dans la réponse attendue ayant volé en éclat. Si Majid avait tenté quoi que ce soit, il s’en serait aperçu. Le jeune homme continua :
- Maintenant je crois savoir pourquoi… Il aime quelqu’un d’autre. Sinon il n’aurait pas été insensible à mes baisers.- Vous vous êtes embrassés ? Comment est ce qu’il peut ne pas …. ?
« Comprendre ». Comme par magie, il vit défiler tous les moments de tendresse que lui avait offert son ami, insistant pour ajouter telle ou telle action à leurs sketchs, se plantant aux répétitions quand cela l’arrangeait, alors que lui-même était tellement stressé par ces situations qu’il n’avait pas saisi tout ce que cela impliquait.
Les yeux plongés dans ceux de son ami, le plus jeune le fixait intensément, analysant toutes ses réactions. Il s’était lancé comme dans une partie de poker, jouant le tout pour le tout, désormais à la fois soulagé de son secret, et la peur vrillée au ventre dans l’attente de ce qui allait se passer. Avait-il eu raison de se dévoiler ainsi ? Avait-il une chance de le conquérir, et de lui faire oublier cet homme qui le rendait malheureux ?
Tous les souvenirs de ces doux moments en tête, Hugues revint à la réalité, et s’aperçu du désarroi de son partenaire de scène. Il ne disait plus rien, mais son regard parlait pour lui. Pris d’une impulsion soudaine, il se leva, s’assit à coté de lui sur le canapé, et déposa un baiser sur ses lèvres. D’abord interdit, le jeune homme passa une main sur la nuque de son ami, et pris l’initiative d’approfondir l’échange. Lorsque le baiser fut rompu, posant son front contre le sien, il fut le premier à retrouver le sens de la parole :
- Cette fois c’est pas un sketch, hein ?- Non, plus cette fois… Depuis quand…- … J’en sais trop rien… Un soir où j’ai failli me faire embarqué par une groupie, j’ai réalisé que la seule personne avec qui j’avais envie d’être c’était toi… - …
Devant le silence de son ami, Majid lança:
- Et toi ?- … Quand j’ai embrassé Ferrari sur scène au Festival de Poupet… J’ai eu l’impression de te trahir. Et quand j’ai vu que ça t’avais fait ni chaud ni froid, ça m’a rendu tellement malheureux que j’ai compris.- Pourtant j’ai eu des envies de meurtres ce soir là… Mais… On est des comédiens, et le public a adoré. Alors j’ai pris sur moi. Et puis, tu me devais rien… Pourquoi tu m’as rien dit ?- J’avais peur que tu t’éloignes de moi… T’es hétéro à la base !- T’a jamais trouvé chelou que je sois aussi motivé pour le contact dans nos sketchs ?- Non… J’étais tellement flippé à l’idée que tu puisses tout découvrir que j’ai jamais vraiment réfléchis au reste… Le pire c’est que du coup j’en ai jamais profité…, finit-il, un léger sourire se dévoilant sur ses lèvres
Le marocain lui rendit son sourire. Désormais ils partageraient tous ces précieux moments ensemble. Doucement, il l’embrassa à nouveau, heureux de la tournure qu’avait pris la soirée. Peu importe ce qui les attendait, ils avaient fini par se trouver, et ce soir c’était la seule chose qui importait.