Un soir, une rencontre et les souvenirs du passé - OS - PG 13

Trois petites pièces que je tiens entre mes mains. Trois petites pièces qui ne vont pas me nourrir ce soir. Le ventre creux, je déambule tel un fantôme sans âme dans les rues bondées de Shanghai. Je suis si fatigué et las, en cet instant je veux mourir. Peut-être que la vie en enfer serait-elle plus douce? Peut-être serais-je beaucoup plus heureux ?

Désespéré, je me laisse tombé sur un petit muré face à un immense  bâtisse qui brille de milles feux. Des gens de bonnes société comme on aime à le dire, sourire aux lèvres sortent et entrent de l'hôtel luxueuse. Ils semblent irradier de bonheur, où si ce n'est pas le cas, ils le cachent bien. Ces hommes, en  costumes trois pièces de bonnes qualités, et ces femmes, habillées par les plus grands couturiers de ce monde, n'ont pas à se soucier de ce qu'ils vont se mettre sous la dent le soir.

Je baisse la tête, je refuse de regarder cette injustice écœurante. Je me sens si pitoyable face à eux. Je pose mes yeux sur mes chaussures sales dont l'une d'elles est trouée.

De belles chaussures noirs contrastantes avec les miennes apparaissent devant moi. Je relève la tête. Mon cœur manque un battement quand je croise ses yeux d'un noir d'encre chaleureux que j'ai tant aimés.

- C'est combien pour le cirage me demande t-il d'une voix à la fois grave et douce qui me fait frissonner.

- 100 yuan murmurais-je troublé

Il pose son pied gauche sur le muré près de moi. J'ouvre ma boite à cirage, puis commence à faire briller ses chaussures.

Mon cœur me fait mal, il ne m'a pas reconnu pourtant on s'est tant aimé. Comme un boomerang, le passé me revient en mémoire. Je le revoie de nouveau entrer dans notre boutique pour la première fois, il était extrêmement beau dans son petit costume noir. J'étais derrière le comptoir, comptant les boites de petits pois, accroupi près des jambes de mon père. Il a demandé des bonbons à la menthe et une sucette à la fraise.

Tête de linotte comme il l'était à l'époque, il avait oublié sa monnaie. Mon père me demanda de le rattraper. Quand je lui remis son due, il m'offrit un bonbon pour me remercier. Puis il me demanda de devenir son ami car il venait d'emménager et qu'il n'avait pas encore d'amis. J'acceptais volontiers sa proposition car moi même je n'avais pas de camarades avec qui m'amuser.

Malgré nos différences sociales, nous sommes devenus les meilleurs amis du monde. Nous passions la plupart de nos temps libre ensemble. En sa présence mon cœur s'affolait dans ma poitrine, il me manquait profondément quand je ne le voyais pas. J'étais conscient que l'amour que je lui portais n'était pas seulement une amitié profonde, mais un amour désespéré à sens unique. Je désirai tant qu'il m'appartient, puis un jour, ne pouvant plus rester prés de lui sans le toucher, j'ai pris mon courage à deux mains, dans la cave de la boutique, je l'ai embrassé.

Pendant des semaines, nous nous sommes embrassés à chacune de nos rencontres, puis la curiosité et les hormones nous poussant, nous avons fait l'amour entre les cartons disposés dans la cave. Ça avait été notre première fois, sa première fois, ma première fois. J'aimais tout de lui, sa gentillesse, ses yeux bridés couleur encre noir de chine, ses lèvres douces, sa peau saveur pêche, son parfum de cerise. Je l'ai étreint dans la cave de la boutique, dans ma chambre, dans sa chambre, dans le parc de la ville, je l'ai aimé dans une multitude recoins de la ville. J'aurais voulu être avec lui pour toujours. Mais malheureusement notre secret fut découvert. Nous fîmes surpris par son père dans le jardin de sa maison : « Un homme ne fait pas cela avec un autre » nous hurla son père.

Par mes bêtises, pour avoir jeté la honte sur l'honneur de la famille, pour l'avoir aimé, mon père perdit sa boutique. Nous fûmes chassés par sa riche famille. Mon géniteur fou de rage me battu jusqu'au sang avant de me jeter dans un caniveau. Ne pouvant pas réparer mes bêtises, me faire pardonner et rentrer chez moi, j'ai erré tel un chien abandonné dans les rues. Depuis, j'essaie de survivre comme je peux.

- ça ira, s'exclama-t-il en me ramenant dans le présent

Je relève la tête, mon amour de jadis me tend un billet de 200 yuan

- Je suis désolé mais j'ai pas de monnaie, fis-je en observant le gros billet

- Dans ce cas prends tout, me dit-il

- Je ne peux pas M'sieur, murmurais-je

- Si, si prends le, fit-il en posant le billet sur le muré.

Il se détourne de moi, puis s'en va sans un regard en arrière.

***

Assis à l'arrière de ma voiture, la tête appuyé contre la vitre de la porte. Je ferme les yeux, essayant de calmer les battements de mon cœur. Je l'ai reconnu, assis sur le petit muré, celui que j'ai tant aimé. Je me rappelle quand je faisais le mur pour aller le rejoindre, de la douceur de ses lèvres sur les miennes, de son sourire, de son rire cristallin, de ses mains chaudes sur ma peau, dans mes cheveux noir, sur mon sexe…

- Faites demi-tour ! Ordonnais-je à mon chauffeur.

- Oui monsieur !

Je sors de la voiture, il est toujours assis là sur le muré regardant ses pauvres chaussures dont l'une d'elles est trouée. Je m'approche de lui. En voyant mes chaussures, il lève la tête.

- Vous avez oublié quelque chose m'sieur ? Vous n'êtes pas satisfait, je vais vous rembourser,
me dit-il en sortant mon billet de sa poche

- Non garde l'argent. Ce n'est pas pour ça que je suis revenu

- Ah ! Alors pourquoi ? Me demande t-il, incrédule

Je lui tends la main,

- Viens avec moi Zwan

Les larmes aux yeux, mon amour me sourit

- Tu ne m'as pas oublié, murmure t-il en se jetant dans mes bras

- Non je ne t'ai pas oublié, fis-je en caressant ses cheveux noirs

Dans le lit, mon bel amour est endormi dans mes bras. Il a l'air si fatigué. Je le maintiens fort contre moi. Maintenant que je l'ai retrouvé, je ne laisserai plus jamais partir.

Fin