Reclassement d'une fiction pour JO
Les personnages de la série ne m’appartiennent pas. Ils sont la propriété exclusive de : Stéphane Giusti, Alain Robillard & Alain Tasma. Je ne tire aucun bénéfice de leur mise en situation dans cette fiction.
Et maintenant
Yann regardait droit devant lui sans vraiment voir le panorama sous ses yeux. Il resserra sa veste autour de lui, comme si cela pouvait le réchauffer. Mais il savait que ça ne suffirait pas. Il pourrait mettre le chauffage à son maximum, il aurait toujours aussi froid, parce qu’il était gelé de l’intérieur.
Et maintenant, que vais-je faire
De tout ce temps que sera ma vie
De tous ces gens qui m'indiffèrent
Maintenant que tu es parti.
Trois mois maintenant. Trois mois que Kevin était parti sans un mot, sans se retourner. Trois mois qu’il se sentait vide et que le froid en lui n’avait cessé de progresser jusqu’à le plonger dans une sorte d’hypothermie permanente.
Il avait cherché à savoir où était son compagnon mais celui-ci semblait s’être dissous dans l’atmosphère. Personne ne savait rien, personne ne l’avait vu, personne ne lui avait parlé. En désespoir de cause, et la peur au ventre, il avait même enquêté auprès des morgues, demandé qu’on le tienne au courant de tout corps non identifié qui leur serait apporté. Heureusement, jusqu’à présent, cette quête macabre n’avait rien donné.
Mais la mauvaise nouvelle qui faisait pendant à cette bonne nouvelle, c’était que Kevin avait disparu.
Toutes ces nuits, pourquoi, pour qui?
Et ce matin qui revient pour rien
Ce coeur qui bat, pour qui, pourquoi?
Qui bat trop fort, trop fort.
Pourquoi est-ce dans l’absence qu’on se rend le mieux compte de combien on tient à ceux qui nous entourent ?
C’était maintenant qu’il lui manquait infiniment que Yann se rendait compte de tout ce qu’il avait perdu en perdant Kevin. Celui-ci avait été plus qu’un compagnon, un amant, un ami… Sans lui il n’avait plus le goût à rien. L’appartement était devenu un capharnaüm crasseux que « sa petite femme d’intérieur » n’aurait pas reconnu. Qu’il était loin le temps où il pouvait s’énerver de la propension de son amant à tout ordonner, tout tenir propre ! Aujourd’hui il aurait tout donné pour le revoir veiller sur leur bien être, sur son bien être !
Petit à petit Yann se laissait glisser dans l’apathie.
Et maintenant que vais-je faire
Vers quel néant glissera ma vie
Tu m'as laissé la terre entière
Mais la terre sans toi c'est petit
Bien sûr il y avait le boulot, les amis de Kevin qui, après lui en avoir voulu un moment, s’inquiétaient maintenant pour lui. Les premières semaines, l’enquête qu’il avait lancée sur Recht l’avait occupé à plein temps. Il s’y était attelé avec la rage de celui qui s’estime trahi et la culpabilité de n’avoir pas cru son amour tant qu’il en était temps. Sans doute avait-il aussi l’espoir que l’arrestation du ripou et de ses complices ferait assez de bruit pour que, où qu’il soit, Kevin en entende parler et qu’il réapparaisse. L’arrestation du commissaire lui avait semblé pouvoir être sa rédemption.
Mais les mois avaient passé depuis et Kevin n’était pas revenu, comme s’il avait définitivement tiré un trait sur lui et sur sa vie d’avant. Et quoi que puissent lui dire Alex, Laura et les autres, rien ne pouvait combler le vide et le froid au fond de lui.
Vous mes amis soyez gentils
Vous savez bien que l'on n'y peut rien
Même Paris crève d'ennui
Toutes ces rues me tuent.
Il avait essayé de se distraire, de sortir, soir après soir, fréquentant les bars gays où il faisait des rencontres d’une nuit. Cela n’avait fait que renforcer son sentiment de solitude : les étreintes d’une heure qui vous laissent le corps meurtri et le cœur lourd n’avaient rien arrangé, loin de là, parce qu’au désespoir s’était ajouté le dégoût de lui-même.
Alors il avait cessé de sortir, cessé de voir leurs amis communs, se contentant d’aller travailler le moins mal qu’il pouvait, refusant de voir les regards inquiets qu’attachaient ses collègues sur lui, refusant de les entendre lui dire de se secouer, que peut-être Kevin reviendrait un jour ou que, si ce n’était pas le cas, il devait tourner la page.
Mais comment tourner la page de ce qui soudain vous apparaissait comme le roman de sa vie, ce roman dont il ne connaîtrait jamais la fin parce qu’il avait tout gâché !
Et maintenant que vais-je faire
Je vais en rire pour ne plus pleurer
Je vais brûler des nuits entières
Au matin je te haïrai.
Il y avait eu la colère : cette colère froide, dévastatrice, qui s’était levée et avait fait battre son cœur plus vite durant plusieurs jours. Il avait alors voué son compagnon aux gémonies : comment Kevin pouvait-il dire l’aimer et le laisser ainsi dans l’incertitude et le désarroi ? Quel était cet amour qui ne résistait pas à la moindre bourrasque ? Pourquoi être parti sans un mot, sans lu laisser une chance ? Si les rôles avaient été inversés…
Puis la colère s’était évanouie, parce qu’il savait que si les rôles avaient été inversés, peut-être qu’il aurait agi exactement de la même façon : qui peut comprendre la douleur d’une blessure invisible ? Qui peut comprendre la confusion dans laquelle vous plonge le manque de confiance de celui qui devrait vous épauler en toute circonstance ? Qui peut imaginer l’intensité du sentiment de trahison lorsque votre amour vous laisse seul, blessé physiquement et moralement et refuse de vous écouter ?
Maintenant il n’avait plus de colère, plus de regrets, plus rien… Rien que ce froid qui engourdissait jusqu’à ses doigts.
Et puis un soir dans mon miroir
Je verrai bien la fin du chemin
Pas une fleur et pas de pleurs
Au moment de l'adieu.
C’était trop dur.
Tant qu’il avait eu de l’espoir il avait tenu. Il y avait eu l’enquête sur les agissements de Recht, la recherche de Kevin et d’autres affaires qui l’avait occupé durant ces sept mois. Mais son manque d’énergie et d’implication avait fini par conduire le commissaire à le mettre en disponibilité pour deux semaines, lui indiquant en outre de consulter un psychologue.
Il s’était retenu pour ne pas éclater de rire : un psy ! Comme si un foutu psy à la noix pouvait comprendre quoi que ce soit ! Et même si il comprenait, que pourrait-il faire pour lui ? L’abrutir d’antidépresseurs ? Le seul médicament qu’il lui fallait c’était Kevin, ses bras, son corps, ses yeux, son sourire…
Et c’était cette image qu’il avait en mémoire tandis qu’il levait son arme de service pour la mettre dans sa bouche. Il ferma les yeux, voulant simplement se souvenir de son amour : bientôt ils seraient ensemble, pour ne plus jamais se quitter.
Je n'ai vraiment plus rien à faire
Je n'ai vraiment plus rien...
Un hurlement ! Deux mains nerveuses qui lui arrachaient l’instrument de mort et le jetaient au loin et puis deux bras qui l’enlaçaient tandis qu’un corps se pressait contre lui, le berçant tendrement. Il se laissa aller dans l’étreinte :
- Mon Dieu Yann ! Mais qu’est-ce que tu allais faire ! Seigneur ! Je suis désolé mon amour ! Tellement désolé.
Il ouvrit les yeux pour plonger son regard dans les prunelles bleues emplies de larmes : Kevin était là, devant lui, le serrant contre son torse ferme. C’était bien sa voix, son odeur… Il retrouvait ces sensations jamais oubliées.
Comment était-il là ? Pourquoi juste à l’instant où il s’apprêtait à en finir ? Il ne savait pas. Il n’avait même pas envie de demander, pas maintenant. Plus tard peut-être viendrait le temps des explications. Pour le moment il voulait juste se sentir revivre entre les bras de celui qu’i aimait plus que sa vie.
Et soudain leurs lèvres se trouvèrent : ce baiser c’était une fontaine de jouvence, c’était la promesse que les épreuves étaient terminées, c’était la renaissance !
Maintenant, Yann pouvait envisager de vivre à nouveau.
FIN
Chanson de Gilbert Bécaud