Reclassement du cadeau de Brigitte.
Lothaire et Gildéric ne m’appartiennent pas. Ils sont la propriété exclusive de Bleuri59
Reste encore
Ils s’étaient aimés avec fougue, avec une sorte de désespoir, comme si la terre devait s’arrêter de tourner lorsque leurs corps seraient désunis.
Ils s’étaient aimés et ils reposaient l’un contre l’autre, l’écuyer blotti contre son maître comme s’il voulait se fondre à l’intérieur de ce corps.
A cet instant le monde aurait pu s’écrouler, Dieu et ses anges, Satan et ses démons auraient pu faire irruption dans la petite chambre du jouvenceau, ils n’auraient pas eu peur parce qu’ils étaient ensemble et que dans le creux de la nuit, cela semblait tellement naturel, tellement ordinaire.
Dehors le temps file ses heures éphémères
Ainsi vont les jours qui s'en vont dans la nuit
Le présent fragile n'est plus que chimères
Ainsi les idoles pleurent d'leur gloire évanouie
- Je dois y aller.
- Pas encore Lothaire. Nous sommes si bien.
- Je dois regagner ma couche avant qu’on ne vienne m’éveiller. Et toi, tu ne vas pas tarder à devoir te lever pour vaquer à tes devoirs matinaux.
Lorsque Lothaire de Bergerac prenait ce ton là, Gildéric savait qu’il n’avait plus en face de lui l’amant mais le maître et qu’il devait s’incliner malgré toute l’envie qu’il avait de le prier de le garder encore un peu, quelques minutes ou quelques secondes.
Reste encore
Oublie le temps reste encore, un peu
Comme l'été reste encore, encore
Comme l'enfance reste encore, un peu
Pourquoi Dieu lui avait-il envoyé l’épreuve d’être bougre parmi les bougres ? Pourquoi lui faisait-Il subir le délicieux supplice d’aimer son seigneur ? Pourquoi, si, dans Sa grande sagesse Il permettait que certains hommes ne ressentent aucun émoi à la vue des femmes, n’avait-Il pas accordé aux humains la qualité de tolérance ? Pourquoi Ses propres messagers étaient-ils les plus virulents pour condamner ceux qu’ils appelaient sodomites et de bien d’autres vilains noms ?
Ces questions il les avait retournées maintes et maintes fois dans son esprit sans réussir à trouver une réponse. Sa pieuse mère aurait sans doute dit que Dieu avait un plan pour lui et qu’il ne leur envoyait jamais rien qu’ils ne fussent aptes à supporter. Mais parfois il doutait.
Lothaire était son âme sœur, il le savait et rien n’aurait pu lui faire abjurer cette foi. Mais pourquoi avait-il fallu qu’il retrouve cette moitié de son âme dans un corps masculin ?
Lorsqu’ils s’aimaient, ils redevenaient un tout, une évidence, la réalité de Dieu. Mais après ce bonheur ineffable, venait toujours le moment où le comte regagnait ses quartiers, le laissant nu de corps et de cœur et l’âme en deuil.
Ainsi s'en vont les fleurs, au matin d'automne
Les châteaux de sable qu'emportent la mer
Ainsi vont les rêves que l'amour abandonne
Ainsi passe un ange mais c'était déjà hier
C’était le prix à payer : il l’avait su dès le début. Il aurait pu passer son chemin, demander à rejoindre un autre seigneur pour achever sa formation de chevalier. Il aurait pu simplement trouver refuge dans la prière, juguler les désirs de son corps.
Ca avait été si difficile de conquérir Lothaire de Bergerac! N’y avait-il pas finalement de l’orgueil dans sa démarche ? N’avait-il pas fait ce choix impossible justement pour se prouver qu’il pouvait y arriver ?
Il avait su séduire son seigneur, le maître qui redevenait soumis dans leurs étreintes. Mais à chaque fois, cela finissait de la même façon : la porte de sa chambre qui se refermait et lui qui aurait tant voulu crier les mots qui tournaient dans sa tête.
Reste encore
Oublie le temps reste encore, un peu
Comme l'été reste encore, encore
Comme l'enfance reste encore, un peu
Le bonheur ne leur serait-il accordé que dans l’au-delà ? Y avait-il pour eux, malgré les paroles des prêtres, une place auprès des purs ?
Que deviendraient-ils lorsque Lothaire serait marié ? Quels moments auraient-ils ? Quelles étreintes subsisteraient ?
Ce serait de plus en plus dur, de plus en plus dangereux.
Le temps hélas est victorieux
Rien ne dure que le futur
Le bonheur s'efface dès qu'on est heureux
On peut rêver toujours de retarder le jour
Alors...
Alors...
Mais à cet instant précis, il voulait juste se repaître encore de l’odeur de son amant, pouvoir encore toucher ce corps parfait, pouvoir lui murmurer ces mots qui n’étaient qu’à eux.
Reste encore
Reste encore
Le temps et les hommes les avaient rattrapés faisant voler leur fragile bonheur en mille éclats mais ne leur volant pas leur amour.
Ils étaient dans leur geôle, attendant qu’on vienne les quérir pour le bûcher, leurs corps endoloris mais leur cœur plus fort.
Ils allaient partir ensemble, le front haut, dédaignant la populace qui se réjouissait, méprisant l’inquisiteur et tous ceux qui n’avaient rien compris. Ceux-là, ils en étaient sûr, seraient un jour jugés à leur tour et on leur demanderait le prix de leur cruauté.
Lothaire regardait Gildéric et se remémorait leurs instants bénis. Gildéric regardait Lothaire et se souvenait de chaque étape de leur histoire. Devait-il regretter d’avoir conduit le fier seigneur de Bergeracà l’état d’indignité où il se trouvait ? Mais non… L’indignité n’était pas sur eux, malgré les mots que pouvaient dire les étriqués du cœur et de l’âme. L’indignité elle était sur tous ceux qui n’avaient rien compris et ne comprendraient jamais rien.
Dehors tout s'agite
Les hommes exagèrent
Ainsi vont les glaces dans les lacs engloutis
Les années nous quittent
Le monde accélère
Ainsi les atolls meurent
Ainsi tout finit
Ils avaient disparu dans les limbes du temps. La main de Dieu allait s’abattre sur leurs bourreaux et se poser protectrice sur eux pour les emmener vers un ailleurs où personne ne leur dénierait le droit d’être ensemble, où nul n’essaierait de leur voler leur part de bonheur.
Parfois, la nuit, alors qu’ils reposaient l’un contre l’autre, Lothaire se redressait, effrayé, oublieux de l’époque où ils étaient arrivés et il s’apprêtait à quitter le grand lit, bien différent de la couche étroite où ils s’étaient aimés si souvent.
Il suffisait alors que Gildéric le prenne contre lui, lui murmurant les mots qu’il pouvait désormais dire au grand jour.
Et l’antienne revenait, toujours la même depuis des siècles, ce refrain qui aujourd’hui retenait son amant dans ses bras.
Reste encore
Oublie le temps reste encore, un peu
Comme l'été reste encore, encore
Comme l'enfance reste encore, un peu
Lothaire s’était rendormi, alangui entre ses bras, rassuré. Gildéric ne tarda pas à faire de mêmes. Ils reposaient, les membres enchevêtrés, les corps imbriqués et le rayon de lune indiscret qui vint se poser sur eux, éclairant leur splendide nudité, ne fit que mettre en lumière l’éternité de leur amour.
FIN
Chanson de Nolwenn Leroy