Pour l'anniversaire de Dame Louzanes, l'an dernier, j'ai écrit la suite de "Tu es mon autre..." La voici reclassée:
Préambule :
Les personnages de la série ne m’appartiennent pas. Ils sont la propriété exclusive de : Cheryl Heuton & Nicolas Falacci. Je ne tire aucun bénéfice de leur mise en situation dans cette fiction.
MON DIEU
Il était là, dans cette chapelle et lui qui n’avait jamais vraiment cru en rien, lui qui se faisait un plaisir de proclamer que le destin était le destin et que rien ne pouvait l’infléchir, il s’était assis sur le banc de bois le plus proche de l’autel et il contemplait sans le voir le crucifix. Il était là parce qu’il avait besoin de cette solitude, de ce lieux calme où, croyant ou non, on se disait que peut-être il y avait quelqu’un quelque part qui pouvait écouter, intercéder en notre faveur.
Il était là parce qu’il ne voulait plus entendre dans sa tête la voix du médecin qui, même s’il n’avait pas baissé les bras, leur avait laissé trop peu d’espoir auquel se raccrocher. Il refusait de s’avouer vaincu, il refusait qu’il ne puisse qu’attendre sans rien faire en laissant la vie jouer à la roulette avec celui qu’il aimait.
Il était là parce que l’espace d’un instant, il s’était dit que, peut-être, ce qu’on lui avait raconté étant gamin n’était pas totalement dénué de vérité, même si ce qu’il avait vu depuis l’avait fait douter.
Il était là parce que de toute façon il n’avait rien à perdre.
Il était là, et il priait.
Mon Dieu! Mon Dieu! Mon Dieu!
Laissez-le-moi
Encore un peu,
Mon amoureux!
Un jour, deux jours, huit jours...
Laissez-le-moi
Encore un peu
A moi...
Et tandis que les mots lui montaient aux lèvres sans qu’ils les pensent, sans même qu’il les entende vraiment, son esprit repassait, dans un kaléidoscope impitoyable les dernières heures, celles qui avaient tout fait basculer.
En baissant les yeux vers ses mains, il voyait encore le sang sur elles, il ressentait encore ce désespoir qui l’avait saisi au plus profond des tripes alors qu’il sentait la main de son compagnon glisser dans la sienne, alors qu’il lisait la douleur dans les yeux bruns rivés aux siens.
Il se souvenait l’avoir supplié de tenir bon, l’avoir menacé de tomber avec lui. Il n’y aurait pas eu moyen qu’il accepte de le voir plonger et s’écraser plusieurs mètres sous eux ! Il se refusait même à envisager l’hypothèse. Il le tenait, à bout de bras, les muscles criant sous l’effort qu’on leur demandait, mais il était déterminé à tenir. Jusqu’à ce moment où leurs mains avaient commencé à glisser l’une contre l’autre à cause de la sueur, ce moment où il avait compris que la lutte était perdue d’avance et où il avait décidé de tenter l’impossible, au mépris de sa vie.
Il se revoyait lâchant son appui pour mieux le tenir, au risque de basculer aussi, il ressentait encore cette sensation lorsqu’il avait commencé à son tour à glisser vers le bas jusqu’à ce qu’il sente des mains sur lui, des voix qui l’encourageaient et cette remontée vers le haut, vers la vie tandis qu’il accrochait plus fermement son compagnon en pensant que finalement ils allaient avoir encore du temps.
Le temps de s’adorer,
De se le dire,
Le temps de se fabriquer
Des souvenirs.
Mon Dieu! Oh oui...mon Dieu!
Laissez-le-moi
Remplir un peu
Ma vie...
Il revoyait les quatre hommes qui les entouraient sur la passerelle, David qui lui parlait puis le policier du SWAT qui jetait Don sur ses épaules et entamait précipitamment la descente pour venir le poser sur le sol de béton sur lequel, trois minutes plus tôt, il menaçait de s’écraser. Il avait suivi en chancelant, appelant son amour qui ne répondait pas.
Ce n’est qu’en bas qu’il s’était rendu compte de tout ce sang qui maculait sa manche et avait laissé une longue traînée rougeâtre tout le long de leur parcours. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il avait compris que la blessure était plus grave que ce qu’il paraissait et que l’effort fourni pour s’accrocher, l’adrénaline qui avait couru dans ses veines sous l’action conjuguée de la peur et de la douleur, avaient précipité l’hémorragie.
Puis il y avait eu les secouristes, l’ambulance, l’hôpital et la main de son amour qu’on arrachait à la sienne, le laissant soudain vide et démuni, comme un signe du destin.
Mon Dieu! Mon Dieu! Mon Dieu!
Laissez-le-moi
Encore un peu,
Mon amoureux.
Six mois, trois mois, deux mois...
Laissez-le-moi
Pour seulement
Un mois...
Finalement il avait quitté la chapelle et sa bulle de paix. Il ne pouvait pas rester là-bas, éloigné du monde, éloigné de celui qu’il aimait. Il n’avait pas le droit de refuser la bataille, de refuser de tenir cette main trop froide, de fixer ce visage trop pâle, d’écouter tous ces bips qui disaient qu’il était encore là et que rien n’était perdu.
Il ne devait pas s’attarder sur les mots du chirurgien : collapsus, choc hypovolémique, détresse respiratoire, arrêt cardiaque… Quelles chances ? une sur trois ? une sur dix ?
Qui pouvait vraiment quantifier tout ce qui entrait en compte dans la mort ou la vie, toutes ses choses qui ne se comptent pas, qui ne se voient pas : l’envie, le bonheur, l’amitié, la responsabilité, le courage, l’entêtement et l’amour…
L’amour… Cet amour qu’il ne voulait pas, ne pouvait pas imaginer s’arrêter là.
Ils avaient encore tant de choses à faire, tant de choses à vivre...
Le temps de commencer
Ou de finir,
Le temps d’illuminer
Ou de souffrir,
- Je t’en supplie mon amour… Je t’en conjure. Tu as déjà battu les statistiques et je sais que tu peux les battre encore, pour moi, pour nous…
Il regardait l’énorme pansement qui habillait l’épaule droite, là où la balle avait frappé et sectionné l’artère juste à la lisère du gilet pare-balles, le bandage qui maintenait l’épaule gauche disloquée par les longues minutes passées suspendu dans les airs, retenu juste par la poigne de son compagnon. Il savait que sous les draps, un autre pansement cachait la seconde blessure par balle, celle qui avait frappé la hanche et traversé l’intestin, accroissant dramatiquement les risques d’infection. Puis son regard dériva sur les perfusions qui apportaient la vie, sur les électrodes fixées sur la poitrine dénudée qui mesuraient les constantes, sur le masque à oxygène qui, un peu plus de deux heures plus tôt avait remplacé le respirateur, premier signe encourageant depuis plus de trois jours.
Mais rien n’était encore gagné : les chances étaient meilleures, mais pas encore tout à fait de son côté, pas encore tout à fait de leur côté.
Et tandis que les larmes roulaient sur ses joues, la même prière naissait du fond de son âme :
Mon Dieu! Mon Dieu! Mon Dieu!
Même si j’ai tort,
Laissez-le-moi
Un peu...
Même si j’ai tort,
Laissez-le-moi
Encore...
- Colby…
La voix frêle l’arracha à sa contemplation désespérée et aveugle : il n’avait même pas vu les yeux bruns s’ouvrir.
- Don !!! Oh mon Dieu ! Donnie… Bébé…
- Colby… Tu es là…
Ce sourire pâle sur les lèvres exsangues, cette émotion dans la voix épuisée, cette main qui tremblait entre les siennes… C’était la vie… La vie encore fragile, la vie encore chancelante, mais la vie, précieuse et magnifique.
- Bien sûr que je suis là. Où voudrais-tu que je sois ?
- Tu es là…
Et le soulagement qu’il y avait dans le ton du blessé n’avait d’égal, à ce moment précis que celui dans le cœur de l’homme qu’il aimait.
Oui il était là, ils étaient là, tous les deux et à cet instant précis Colby réalisa qu’il n’y avait nulle part ailleurs où il voulait être désormais, nulle part ailleurs qu’à côté de cet homme dont les yeux se refermaient doucement tandis qu’il plongeait dans un sommeil qui n’avait plus rien d’inquiétant désormais.
- C’est ça… Dors bébé, tu en as besoin. Je reste là, je ne bouge pas. Je t’aime.
FIN
Chanson d’Edith Piaf