Reclassement du cadeau de Vaunie
Les personnages de la série ne m’appartiennent pas. Ils sont la propriété exclusive de : Gabe Sachs & Jeff Judah. Je ne tire aucun bénéfice de leur mise en situation dans cette fiction.
Je ne sais pas
Ils se regardaient et plus aucune parole n’était possible entre eux. Il semblait qu’ils étaient arrivés à ce point de non retour, ce point où on ne se comprend vraiment plus, ce point où on commence à penser que l’adieu est la seule solution qui nous reste.
Pourtant Drew aurait voulu la prendre cette main tendue, il aurait voulu serrer son amour dans ses bras, le rassurer, lui dire que tout allait bien se passer, qu’ils surmonteraient cette épreuve, ensemble, que, pour lui, qu’il ait une ou deux jambes ne ferait aucune différence…
Il aurait voulu lui dire tant de choses et il restait juste là, à le regarder, lèvres closes.
Je ne sais pas dire
Les choses qui font rêver
Avec ces mots sucrés
Que d’autres ont dû te dire
Mais pourquoi avait-il fallu qu’il soit gay dans un univers qui acceptait plutôt mal cet état de chose ? Etre soldat et homosexuel était encore si difficile à gérer. Certes la loi don’t ask, don’t tell avait été abrogée, mais pour autant les mentalités n’avaient pas changé. C’était toujours les mêmes vannes pourries au mieux, les préjugés et la mise à l’écart au pire quand ça ne débouchait pas sur un tel harcèlement que tout ce qu’il vous restait à faire c’était de partir ou de mourir.
Pourtant, pour l’amour de Rick il avait accepté de voir la réalité en face, mais rien que dans l’intimité de leur couple. Pour les autres, il restait Drew le sage, celui qui attendait son âme sœur pour bâtir une famille, celui qui ne cavalait pas après toutes les petites infirmières ou les nouvelles internes, celui qui aurait pu toutes les avoir et n’en choisissait aucune en attendant qu’arrive la bonne.
LA bonne elle ne viendrait jamais, LE bon, il l’avait trouvé et il était incapable de l’assumer.
Je ne sais pas dire
Ces vers que je n’ai pas lu
Parce que j’ai toujours su
Qu’ils ne servaient qu’à mentir
A quoi bon aimer si en public il s’interdisait ces mille petits gestes qui dénoncent le tendre lien : un baiser, des doigts qui s’entrelacent, un plat partagé, chacun faisant goûter l’autre, ces sourires complices et ces tendres effleurements. Oh bien sûr, gay ou hétéro, jamais il ne serait de ceux qui s’affichent, s’embrassent à pleine bouche, se collent l’un à l’autre, se caressent en public au point qu’on peut se demander s’ils ne vont pas faire l’amour là et maintenant. Il n’était pas, il n’avait jamais été démonstratif et à cette sorte d’exhibitionnisme affectif, il préférait de loin les petits riens qui dénotent la complicité sans l’étaler.
Mais même ces petits riens il se les interdisait.
Je ne sais pas faire
Les gestes attentionnés
Qui vous montrent bien élevé
Même si ils ne sont pas sincères
Il aurait voulu être plus courageux, il aurait voulu pouvoir balayer d’un revers de main les préjugés, les attentes, les volontés des autres. Il aurait voulu savoir affronter le mépris, les médisances, les moqueries le front haut en s’en souciant comme d’une guigne.
Il n’y avait que TC qui savait, et encore, parce qu’il l’avait découvert de manière fortuite, parce que son instinct lui avait soufflé la vérité et que, face à lui, Drew n’avait pas réussi à garder le masque qu’il arborait habituellement. Et puis il y avait Krista, Krista qui aurait pu être celle qu’il lui fallait, celle qu’il aurait choisie si Rick n’avait pas été là.
Personne d’autre n’était au courant et c’était très bien ainsi. Il ne ferait pas son coming-out. Il ne voulait pas être boycotté dans sa propre unité, il ne voulait pas devenir le médecin homo de service !
Pourtant il aimait Rick, d’un amour sincère et puissant.
Je ne sais pas être autrement que je suis
Parce que je n’ai pas choisi le monde qui m’a fait naître
Je ne sais pas être celui de toute une vie
Même si j’ai aujourd’hui la chance de te connaître
Il l’aimait au point qu’il avait perdu contenance en apprenant l’accident, au point qu’il avait supplié T.C. de s’occuper de l’homme qu’il aimait, qu’en dépit de son expérience il avait nié la réalité et décidé de sauver la jambe de l'élu de son coeur, passant outre les ordres de Scott au risque de mettre sa carrière en péril.
La souffrance de Rick lui arrachait le cœur et plus encore ce besoin qu’avait son amant de s’accrocher à lui, ce besoin quasi-viscéral de le garder à ses côtés, non comme son médecin mais comme son amour, celui qui serait là pour lui, quoi qu’il advienne.
Mais il reculait… Il reculait encore et il se détestait pour ça.
Je ne sais pas dire
Ce que tu voudrais entendre
Qui pourrait me défendre
Et même te retenir
Il savait qu’il lui faisait mal, plus mal que la blessure elle-même, mais il n’arrivait pas à se montrer tendre, attentionné, comme il aurait pu, comme il aurait dû l’être. Il ne voulait pas qu’on sache, pas encore, jamais sans doute, en tout cas pas jusqu’à ce qu’il ait terminé son temps.
Pour Rick, tout risquait de s’arrêter là, alors ce serait plus facile… Et soudain il se détesta encore plus d’avoir osé penser cela ! Comment pouvait-il se permettre d’imaginer que ce serait plus facile pour l’homme qu’il aimait de se retrouver mutilé ? Mais qu’est-ce qui n’allait pas chez lui ?
Pourquoi ne pouvait-il pas simplement s’asseoir auprès de lui, lui prendre la main et le rassurer sur ses lendemains, leurs lendemains.
Je ne sais pas faire
Les projets d’avenir
Qui sauraient t’éblouir
Quand tu fermes tes paupières
La sentence était tombée : il fallait amputer. On allait amputer Rick et il n’arrivait toujours pas à faire ce qu’il aurait dû faire : s’étendre sur le lit à ses côtés, le prendre dans ses bras, lui jurer que ça ne changerait rien, qu’il l’aimerait toujours, qu’à son réveil il serait là et qu’il serait là pour le restant de sa vie. Il aurait dû lui murmurer tous les mots qui rassurent, tous les mots qui guérissent. Il aurait dû…
Je ne sais pas être
Celui qui croit encore
Changer le gris en or
Je n’ai plus rien à promettre
Une main qui se tendait vers lui et lui qui reculait : « Pas ici ». Pas ici, pas comme ça, pas maintenant…
Mais quand ? Quand ?
La vie venait de leur envoyer un coup de semonce. Rick ne serait plus jamais l’homme qu’il avait connu, il allait avoir de longues heures de souffrance devant lui, une rééducation douloureuse, un apprentissage frustrant, le port d’un appareillage qui ne lui conviendrait pas forcément. Il allait devoir réapprendre à vivre autrement, faire le deuil de ses rêves de soldat, composer avec une nouvelle vie.
Et pour cela il aurait besoin de tout l’amour des siens, de son amour à lui aussi, de son soutien, de la certitude qu’il ne le laisserait pas tomber parce qu’il n’était plus tout à fait celui dont il était tombé amoureux.
Pour lui ça ne changeait rien, ça ne changerait rien : Rick était son amour et ce n’était pas la présence ou l’absence d’une jambe qui y changerait quoi que ce soit. Il voulait être là pour lui, à chaque instant de son cruel parcours.
Ce n’était pas, ça n’aurait pas dû être si compliqué à dire ou au moins à faire comprendre ! Et il restait là, muet, professionnel, le cœur en ébullition et le visage froid.
Je ne sais pas être autrement que je suis
Parce que je n’ai pas choisi le monde qui m’a fait naître
Je ne sais pas être celui de toute une vie
Même si j’ai aujourd’hui la chance de te connaître
Je ne sais pas être
Autrement que je suis
Un lâche ? Ce n’était pas les mots que Krista avait employés, mais c’était ce que ça voulait dire. A ses yeux désormais il serait le lâche qui avait laissé son amant partir la peur au ventre sans le moindre geste de réconfort, simplement parce qu’il était terrifié de se dévoiler aux yeux de tous. L’amitié qu’elle avait pour lui, cette lueur d’admiration dans son regard lorsqu’elle posait les yeux sur lui, tout serait anéanti pour être remplacé par un vague dégoût, une déception immense…
Pourtant, ce n’était pas ce qui comptait le plus. Krista s’en remettrait, et puis, ça ne la regardait pas finalement.
Mais Rick… Rick…
Je ne sais pas être autrement que je suis
Parce que je n’ai pas choisi le monde qui m’a fait naître
Je suis peut être celui qui a juste envie
De dire l’amour qu’il vit
Et enfin de l’admettre
L’Amour qu’il vit
C’est alors que Drew Alister prit sa décision, la décision la plus importante de son existence, plus importante même que de s’engager dans l’armée ou de devenir médecin. Il n’était plus temps de se mentir, plus temps de porter un masque.
S’il laissait Rick partir ainsi, terrifié, seul, persuadé que sa vie s’effondrait et ne vaudrait bientôt plus rien, alors il n’était pas digne de lui, pas digne de leur amour et il le perdrait un jour, c’était certain. S’il laissait Rick partir sans son soutien alors il n’était pas digne de son serment, pas digne de l’homme qu’il voulait être.
- Attendez !
Comme dans un état second, il franchit les quelques mètres qui le séparaient de l’homme qu’on emportait, sans voir les hommes de son unité alignés pour un dernier salut, sans voir ses confrères entourant le patient.
Il n’y avait que lui, lui et l’homme qu’il aimait.
De dire l’Amour qu’il vit
Et enfin de l’admettre
Drew posa ses lèvres sur celles tremblantes de son amour. Un baiser léger mais qui voulait tout dire. Un baiser qui annonçait à la face du monde que lui, Drew Alister aimait le capitaine Rick Lincoln, il l’aimait au point de tout plaquer pour lui, il l’aimait comme il n’avait jamais aimé avant et s’il avait été trop idiot pour assumer, ce n’était plus le cas.
- Tout ira bien, je t’attendrai, je t’aime…
Tout irait bien. Il ne pouvait en être autrement.
Je ne sais pas être autrement que je suis
Et lorsque les portes de l’ascenseur se refermèrent sur Rick et son escorte, Drew se sentit enfin lui-même, pour la première fois depuis longtemps. Il n’était pas naïf, il savait que ce ne serait pas forcément facile : il voyait bien les yeux écarquillés des hommes de Rick, ébahis de découvrir leur supérieur gay, il imaginait déjà des a priori de certains hommes de sa propre unité lorsqu’ils le sauraient, parce que désormais le secret n’était plus possible. Il savait que Rick aurait un long chemin à parcourir et que ce ne serait pas facile tous les jours.
Mais il se fichait de tout ça. Pour la première fois depuis bien longtemps il était lui-même aux yeux de tous et cela lui suffisait. Pour la première fois depuis bien longtemps il pouvait marcher tête haute, fièrement, et c’est ce qu’il fit en retournant sur ses pas pour reprendre son travail en attendant que son amour sorte de la salle d’opération et qu’il puisse s’asseoir auprès de lui, comme un amant, comme un soutien, comme l’homme le plus important dans sa vie.
Celui qu’il serait désormais.
FIN
Chanson de Vincent Niclo