Merci de ton commentaire Mumu... Vous en saurez bientôt plus sur ce qui provoque la dépression du capitaine (autre que le fait qu'il soit marié à Ianto...
)
Chapitre 7
- Jack, tu veux un café ?
- Si tu veux.
Ianto soupira : toujours le même ton morne, dénué du moindre enthousiasme. Il y avait maintenant près de six semaines que s’était déroulée la prise d’otages et l’état de Jack était loin de s’améliorer. Il refusait toujours d’en parler, malgré les sollicitations de son époux. Celui-ci, en désespoir de cause, s’était adressé à Vernon, lui demandant comment se comportait le capitaine à l’agence et s’il lui avait dit quoi que ce soit qui puisse expliquer son attitude. Les réponses de l’assistant ne l’avaient pas rassuré : visiblement au travail aussi Jack semblait absent, préoccupé, différent.
Et puis, la semaine précédente, l’immortel était tombé malade : vomissements, maux de ventre et maux de tête, fièvre et lassitude s’étaient alliés pour le clouer au lit trois jours, à la grande inquiétude de Ianto : Jack était si rarement souffrant. Même durant ses grossesses il avait été en pleine forme, heureux de vivre et resplendissant de santé. Alors le voir ainsi l’avait épouvanté. L’immortel avait cependant refusé de voir un médecin, disant que cela passerait et une dispute homérique les avait opposés lorsque Ianto avait émis l’idée de faire appel au Docteur.
Le Gallois ne comprenait plus son amour : pourquoi était-il si renfermé, presque hostile désormais, lui adressant à peine la parole et s’emportant pour des riens ? On aurait dit que soudain leur amour, tout ce qui les liait, ne comptait plus pour lui, y compris leurs filles qui, elles non plus, ne reconnaissaient plus le papa qu’elles adoraient. Jack ne les câlinait plus, ne jouait plus avec elles et, lui qui avait toujours été le plus indulgent des deux, il était devenu sévère, presque dur, au point que parfois Ianto avait dû intervenir.
Il avait tenté d’expliquer aux fillettes que leur papa n’allait pas bien et qu’il les aimait malgré tout, mais il voyait bien dans leurs yeux qu’elles commençaient à douter : ce n’étaient que deux toutes petites filles et elles ne pouvaient pas comprendre que les caresses et les jeux aient fait place à la dureté et l’indifférence. Lui-même ne le comprenait pas mais il était conscient qu’il devait impérativement découvrir ce qui minait son amour, et le découvrir très vite s’il voulait avoir une chance de sauver leur couple et leur famille.
Mal remis de son indisposition, Jack était resté à la maison toute la semaine et cela non plus ne lui ressemblait pas : ce n’était certes pas le genre d’homme à se complaire dans la maladie, en règle général il préférait l’ignorer superbement, professant que s’il n’y prêtait pas attention elle disparaîtrait d’elle-même. Combien de fois Ianto et lui s’étaient-ils disputés à ce sujet lorsque le Gallois voulait garder chez lui son homme souffrant et que celui-ci décrétait qu’il était hors de question de rester à ne rien faire ?
Une nouvelle journée commençait, une journée qui s’annonçait aussi morne et linéaire que les précédentes. Lorsqu’il se réveillait le matin, Ianto ne trouvait pas son époux à ses côtés : finis les câlins de l’aube, les étreintes du petit matin, tout comme celles du soir d’ailleurs. En règle générale, il allait se coucher avant l’immortel. Et lorsque ce n’était pas le cas, Jack se contentait de s’allonger de son côté du lit en lui tournant le dos. Au début il avait tenté de se coller à lui en passant sa main sur ses hanches, mais à chaque fois l’immortel avait enlevé son bras et s’était reculé un peu plus. Alors il avait cessé ses approches, souffrant de ne plus pouvoir toucher l’homme qu’il aimait. Désormais, il avait l’impression de partager la couche d’un étranger. Il se demandait même si certaines nuits celui-ci n’avait pas tout simplement déserté le lit conjugal, s’étant endormi sans qu’il l’ait rejoint et se réveillant sans le voir à ses côtés.
Lorsqu’il descendait, il le trouvait toujours assis dans le même fauteuil, face à la baie vitrée, semblant profondément plongé dans ses pensées, ces pensées pour lesquelles Ianto aurait donné une fortune. Que se passait-il dans la tête de Jack ? Pourquoi était-il devenu cet homme froid, dur, impatient, injuste même parfois ? Ne l’aimait-il plus ? Son aventure lui avait-elle fait prendre conscience d’un manque : celui des combats, de la lutte pour la justice, des voyages intersidéraux ? Etait-il en train de perdre celui qu’il aimait, sans savoir pourquoi, sans savoir quoi faire pour lutter contre ce qui le rongeait ?
Il avait pensé faire venir le Docteur, malgré l’objection de Jack. Il pensait que celui-ci pourrait être heureux de revoir ce vieux compagnon qui apparaissait deux ou trois fois l’an, toujours à l’improviste, heureux de les retrouver et de constater leur bonheur. Peut-être que lui pourrait comprendre ce qui rongeait l’immortel, peut-être qu’il pourrait trouver une solution pour lui rendre sa sérénité et son sourire. Puis il avait renoncé : de toute façon il ne savait même pas comment joindre l’éternel voyageur et, dans l’état d’esprit où il se trouvait, Jack risquait de prendre cette intrusion comme une trahison à son égard. Il ne lui en faudrait peut-être pas plus pour décider de quitter cette vie qui semblait désormais lui peser.
Le sifflement de la cafetière le sortit de ses pensées moroses. Il utilisait encore une vieille machine, devenue une antiquité, qu’il réparait lorsqu’elle flanchait, préférant mille fois l’arôme de la boisson qu’elle préparait à celui des automates de l’époque qui vous servaient à volonté n’importe quel breuvage que vous désiriez. Jack raffolait toujours autant de son nectar, répétant à l’envi qu’il était le seul dans l’univers à en concocter un aussi parfait. Mais même cela semblait avoir perdu toute saveur à ses yeux.
- Tiens, ton café, dit Ianto en posant la tasse sur la table basse près du fauteuil de l’immortel.
- Merci, répliqua celui-ci, sans même l’honorer d’un regard.
- Jack… Il faut qu’on parle ! décréta Ianto en restant planté devant l’homme qui daigna enfin lever les yeux sur lui.
- De quoi veux-tu parler ? dit-il avec une lassitude tintée d’agacement.
- De toi, de nous… De ce qui te tracasse.
- Je vais bien.
- Arrête ! Arrête de me servir cette phrase débile qui ne veut rien dire ! Non tu ne vas pas bien ! Tu ne vas pas bien et nous non plus du coup ! Tu ne me regardes plus, tu ne me touches plus ! Avec nos filles tu es distant, indifférent ! Je veux savoir ce qui se passe !
Il ne s’était pas rendu compte que sa voix enflait au fur et à mesure qu’il parlait : l’inquiétude se muait petit à petit en colère. Il n’en pouvait plus de son impuissance. Il regardait jour après jour dépérir l’homme qu’il aimait plus que tout au monde, le père de ses enfants, et il était incapable de comprendre pourquoi et de l’aider à aller mieux.
- Daddy… Daddy tu es en colère ?
La voix de Caron interrompit net sa diatribe. Il leva les yeux et vit les deux fillettes au pied de l’escalier, se tenant fermement la main et le regardant d’un air apeuré. Elles avaient rarement entendu leur daddy élever la voix et jamais envers leur second papa. Ianto courut à elles et les enlaça :
- Bonjour mes chéries. Non, je ne suis pas en colère. Je parlais juste à papa.
- Tu parlais comme si tu étais fâché, accusa Deryn en plongeant dans son regard ses prunelles du même bleu que celles de l’immortel.
- D’accord, j’étais un peu fâché, mais pas contre papa, juste… Tu sais, parfois quand tu te réveilles tu n’es pas de très bonne humeur…
- Oui… Des fois ça arrive, répliqua Caron.
- Et bien je crois que c’est ce qui m’est arrivé. Mais maintenant c’est passé. Je vais préparer votre petit déjeuner et vous vous allez être sages en attendant d’accord ?
- On peut jouer avec papa ?
Ianto jeta un coup d’œil à son époux qui n’avait pas bronché, comme s’il n’avait même pas pris conscience de la présence des fillettes dans la pièce.
- Non… Je crois que papa n’a pas très envie de jouer aujourd’hui.
- Mais quand est-ce qu’il aura envie de jouer ? se plaignit Deryn. Ca fait longtemps…
- Chérie… Tu sais que papa a été malade, alors il faut attendre qu’il aille mieux.
- Moi, même quand je suis malade j’ai envie de jouer, contra Caron.
- Oui, mais papa n’est plus un enfant, ce n’est pas pareil.
- Il ne nous aime plus ? demanda Deryn, les yeux plein de larmes.
Ianto jeta un coup d’œil à l’immortel, pestant lorsqu’il vit que celui-ci ne réagissait même pas à cette demande qui, lui, lui fendait le cœur. Un instant l’envie le prit d’aller vers Jack, de l’empoigner par les épaules et de le secouer d’importance : n’importe quoi pour le faire sortir de cette indifférence qui l’exaspérait et faisait du mal à leurs fillettes. Puis il retourna son attention sur celles-ci, qui attendaient sa réponse avec anxiété :
- Bien sûr qu’il vous aime mes puces. C’est juste qu’en ce moment il pense à beaucoup de choses et…
- Quelles choses ? questionna Caron.
Si seulement il avait eu la réponse à cette question songea le Gallois avant de répondre :
- Des choses de grand.
- Je n’aime pas les choses de grand alors ! décréta la fillette.
- Parfois, je n’aime pas ça non plus. Bon… Je vais préparer le petit déjeuner d’accord ?
- D’accord Daddy, rétorquèrent les enfants de concert avant de s’installer devant leur console et de commencer un jeu éducatif comme elles aimaient le faire chaque matin au réveil.
Ianto déposa un baiser sur chacune de leurs têtes et se dirigea vers la cuisine. Au passage il s’arrêta devant Jack, puis soupira en voyant que celui-ci ne réagissait toujours pas. Il gagna la cuisine et prépara le petit déjeuner de ses filles en pensant que la coupe était pleine. Il allait appeler Mabel pour lui demander de prendre les gamines le reste de la journée et jusqu’au lendemain et ensuite, qu’il le veuille ou non, Jack Harkness-Jones allait devoir lui fournir des explications !
Un fracas suivi d’un claquement sec et de pleurs interrompirent ses pensées et il fit irruption dans le salon, affolé. La scène qu’il y vit alors devait rester longtemps gravée dans sa mémoire. La tasse de café gisait brisée au pied de la table basse, Jack était debout, dominant de toute sa taille les deux petites filles qui pleuraient et Caron portait sur la joue une marque qui ne laissait aucun doute sur ce qui venait de se passer. Ianto resta un instant sidéré devant l’évidence : Jack avait frappé leur fille !
- Jack ! Mais… Qu’est-ce qui t’a pris ! explosa-t-il ensuite en se dirigeant droit vers la petite pour la prendre dans ses bras.
A genoux auprès de ses filles en pleurs, il leva le regard vers l’immortel et sa colère fondit en voyant l’expression épouvantée de celui-ci, mêlée d’une indicible souffrance. Quoi qui ait amené Jack à ce geste, visiblement il en souffrait peut-être encore plus que l’enfant.
- Jack…, commença-t-il.
Mais il n’eut pas le temps de terminer sa phrase. Le capitaine tourna soudain les talons et sortit dans le jardin, comme on fuit. Ianto aurait aimé le suivre, mais il devait d’abord rassurer et consoler ses enfants, ce qu’il s’attela à faire tout en essayant de comprendre ce qui s’était passé.
- Je voulais juste lui faire un câlin, sanglotait Caron. Je n’ai pas fait exprès de casser la tasse.
- Il a tapé Carie, pleurait Deryn, choquée d’avoir vu son père frapper sa sœur et malheureuse des larmes de celle-ci.
Il fallut un moment à Ianto pour consoler les petites, tenter de les rassurer tenter de les convaincre que leur père les aimait toujours et qu’il devait être bien malheureux de son geste. Lorsqu’elles furent enfin calmées, il décida d’aller retrouver Jack : cette fois-ci c’en était trop et il était temps que son époux s’explique. Mais quand il sortit à son tour dans le jardin, il s’aperçut que l’immortel n’y était pas, parti sans un mot, sans une excuse. Il crut qu’il était juste allé se défouler un peu et espéra qu’à son retour il serait enfin capable de s’expliquer. Il s’arrangea avec Mabel pour qu’elle héberge les gamines jusqu’au lendemain en espérant que ce laps de temps serait suffisant pour enfin découvrir ce qui hantait l’immortel. Il appela l’agence pour savoir si Jack s’y trouvait et s’entendit répondre par la négative. Il décida alors d’attendre que son compagnon décide de rentrer.
Mais Ianto attendit en vain : Jack ne revint pas.
(à suivre)