Merci de ton analyse toujours pertinente Cat'...
Une petite suite?
Chapitre 30 – Le protecteur (partie 2)
FlashbackNoël 1979 – New York- C’est ta faute d’abord ! C’est ta faute !!!
- Charlie ! Ce n’est pas la faute de Donnie et tu le sais ! gronda Margaret ne sachant plus comment calmer son cadet en larmes. Je t’avais dit de ne pas l’emmener ! Mais tu n’as pas voulu écouter. Voilà le résultat maintenant.
- Je veux mon doudou !!! Mon doudou !!!!
Les pleurs de l’enfant crevaient le cœur de Margaret qui le berçait dans ses bras, se reprochant, une fois de plus d’avoir cédé à son caprice quelques heures plus tôt.
Ils étaient à New York depuis trois jours : Alan devait rencontrer de futurs clients du cabinet d’architecture où il travaillait et il avait décidé que cette année ils passeraient tous Noël dans la grosse pomme, appellation qui avait bien fait rire leurs petits garçons de neuf et quatre ans. En début d’après midi, tandis que son mari assistait à une réunion, Margaret avait décidé d’emmener ses deux enfants émerveillés voir les vitrines de Noël. Charlie voulait embarquer son doudou, un lapin informe, totalement aplati par les étreintes, qu’il trainait depuis ses deux mois et ne lâchait quasiment jamais. La jeune femme lui avait déconseillé d’emmener son objet fétiche, l’avertissant qu’il pourrait le perdre, mais autant discuter avec une bûche : le gamin avait décidé que Doudou devait aussi voir les vitrines de Noël et, plutôt que de risquer une scène, elle avait cédé, avertissant cependant le bambin :
- Je te préviens, si tu perds ton doudou, tu ne viendras pas pleurer !
- Je ne le perdrai pas ! avait-il assuré, avec l’aplomb qui le caractérisait et qui ne cessait de les étonner venant d’un enfant de quatre ans et demi.
Bien sûr, ils avaient découvert dix-sept mois plus tôt que leur fils étaient un génie, mais pour autant ils n’avaient pas encore pris la pleine mesure de ce que cela impliquait et peinaient encore à prendre leurs marques face à cet enfant si différent de celui qu’ils avaient imaginé.
La mère de famille avait donc passé un après-midi mémorable avec ses fils fous de joie de ce dépaysement total, émerveillés par la neige que Don n’avait quasiment jamais vue et que Charlie découvrait pour la première fois, heureux du monde autour d’eux, scotchés aux animations des vitrines, puis patinant ensemble sur la grande patinoire à ciel ouvert en riant aux éclats avant de se régaler d’un délicieux chocolat chaud accompagné de gaufres au sucre.
Ce n’était qu’en rentrant à leur hôtel, trois quarts d’heure plus tôt, que le drame avait éclaté. Charlie s’était précipité dans sa chambre puis en était revenu en demandant :
- Où est Doudou ?
- C’est toi qui l’as banane ! avait été la réponse amusée de Don qui s’était soudain figé devant la panique qui envahissait le visage du plus jeune.
- Non… C’est pas moi…
- Charlie. Tu as emmené Doudou, tu te souviens ? Où l’as-tu mis ?
- Mais…
La bouche grande ouverte, le petit garçon avait regardé alternativement sa mère et son frère, espérant que l’un des deux allait lui dire : « Tiens, le voilà ton doudou ! C’était pour rire… », mais doutant de plus en plus qu’il s’agisse d’une farce à mesure qu’il voyait leurs visages devenir plus graves.
- Essaie de te rappeler : tu l’as posé quelque part ? demanda Don tandis que Margaret interrogeait :
- Est-ce que tu l’avais encore au café ?
C’est alors que Charlie avait éclaté en sanglots. Il était fatigué de cet après-midi au grand air dans cette ville inconnue tellement bruyante et animée, bien différente du calme quartier de Pasadena où ils s’étaient installés près de deux ans plus tôt. En entrant à l’hôtel, bien que ravi de sa virée, il n’avait eu qu’une idée en tête : retrouver son doudou et se pelotonner avec lui contre sa maman pour prolonger encore le plaisir. Et voilà que Doudou avait disparu ! Doudou était perdu quelque part dans cette grande ville, sous la neige froide, parmi tous ces gens qui marchaient si vite ! Et c’était sa faute à lui si Doudou était perdu !
- Il faut aller le rechercher, pleurait-il.
- Chéri, tenta de raisonner Margaret. On ne pourra pas le retrouver… Il peut être n’importe où et la nuit commence à tomber.
Comprenant que sa mère ne cèderait pas, Charlie s’était tourné, comme toujours dans ces cas-là, vers son dernier recours, lui adressant ce regard de chiot perdu auquel il ne savait pas résister :
- Donnie… Donnie… s’il te plaît… Va chercher mon doudou… Je suis sûr que tu peux le trouver.
- Charlie…, répliqua l’aîné en jetant un regard lamentable à sa mère, on ne sait pas où tu l’as perdu… New-York est trop grand…
- Tu es méchant ! avait alors explosé le petit garçon ! Tout ça c’est ta faute ! Je te l’avais donné à garder ! C’est toi qui l’as perdu !
- Non… Charlie… Je…
Don était désarçonné. Il cherchait désespérément dans sa mémoire à se souvenir si effectivement à un moment donné son petit frère lui avait donné son doudou. Et s’il l’avait perdu ? S’il était la cause de ce chagrin qui faisait couler ces grosses larmes sur ses joues rougies ? Quelle sorte de grand frère était-il s’il ne savait pas consoler son petit frère ?
- Si ! A la patinoire ! Je te l’ai donné !
- Non Charlie ! Margaret intervenait, remettant les choses à leur place, tu as tendu ton doudou à Don mais il ne l’a pas pris parce que ce n’était pas à lui de s’en charger !
Elle revoyait le petit tendre l’objet devenu encombrant à son aîné et celui-ci jeter des coups d’œil gênés autour de lui, imaginant la réaction des badauds si on voyait un grand garçon comme lui avec une peluche à la main, mais prêt cependant à débarrasser son cadet pour qu’il puisse mieux profiter des glissades.
- Je t’ai dit que tu avais voulu le prendre, que c’était à toi d’assumer ton choix ! rappela-t-elle d’une voix ferme. Alors inutile d’accuser ton frère, il n’y est pour rien !
- Je veux mon doudou, hurla de nouveau le gamin en pleurant de plus belle. Donnie… va chercher mon doudou.
- Donnie n’ira nulle part Charlie ! coupa Margaret, il va faire nuit et on n’est pas à Pasadena ici, il pourrait se perdre.
- Il ne se perdra pas ! Donnie ne se perd jamais ! protesta Charlie en regardant son frère avec cette admiration sans bornes qui faisait chaud au cœur.
- Ici Donnie pourrait se perdre. Voilà ce qu’on va faire : on va appeler les magasins où nous sommes allés et la patinoire et leur demander s’ils ont trouvé un doudou. Et si c’est le cas j’appellerai papa pour qu’il passe le prendre avant de venir nous rejoindre.
Mais une demi-heure plus tard, force fut de constater que le doudou avait bel et bien disparu et Charlie, un instant calmé par l’espoir soulevé, retomba dans son désespoir bruyant et colérique, demandant à nouveau à sa mère puis à son frère d’aller chercher son doudou, s’emportant au refus de Margaret et finissant par proclamer d’une petite voix pointue :
- Je vous déteste ! Vous êtes méchants !
- Charlie… On peut aller au magasin racheter un doudou, proposa Don, plein de bonne volonté, désolé de ne pouvoir rien faire de plus pour son cadet.
- Non ! hurla le bambin. C’est MON doudou que je veux ! Pas un autre… Mon doudou à moi… C’est lui qui me protège la nuit. Donnie… je sais que tu peux trouver mon doudou…
- Non Charlie… On ne sait même pas où tu l’as perdu, tenta, une fois de plus, d’expliquer l’aîné.
Les yeux de l’enfant se firent plus durs tandis qu’il criait :
- Tu es content qu’il soit perdu ! Si tu l’avais pris ça ne serait pas arrivé ! C’est ta faute ! Je te déteste ! Tu n’es plus mon grand frère ! Je voudrais que ce soit toi qui sois perdu !
Margaret vit les yeux de son fils aîné se remplir de larmes. Il avait beau être un grand garçon de neuf ans, entendre son petit frère qu’il adorait lui crier qu’il le détestait était un peu plus que ce qu’il pouvait supporter après la fatigue de la journée. Aussi elle décida qu’il était temps de mettre un terme définitif à la scène et elle se leva, l’enfant sur les bras en disant :
- Ca suffit maintenant ! Tu sais bien que Don n’y est pour rien et ce n’est pas de crier sur lui qui arrangera les choses. Maintenant tu vas venir te calmer dans ta chambre !
Le gamin se débattit en hurlant de plus belle, mais la mère tenait bon et elle se dirigea avec lui vers la chambre mitoyenne où étaient installés leurs deux enfants, disant à son aîné :
- Donnie, tu peux regarder la télé si tu veux chéri. Je vais coucher ton petit frère et je reviens.
Le cœur gros, Don hocha la tête et regarda sa mère disparaître avec un Charlie rouge de colère et de chagrin qui s’étouffait à force de pleurer. Il tendit la main vers la télécommande puis la laissa retomber : il n’avait pas envie de regarder la télé. Il se dirigea vers la baie vitrée et admira la ville qui s’étendait sous ses pieds. Mais désormais toute la magie s’était envolée : le désespoir de son petit frère l’empêchait de trouver du plaisir aux milliers de lumières qui scintillaient, aux flocons de neiges qui voletaient. A travers la cloison, il entendait encore les sanglots déchirants et la voix calme de sa mère qui s’efforçait de trouver les mots pour apaiser le chagrin. Et de nouveau le remords l’assaillit : il aurait dû prendre le doudou quand Charlie le lui avait tendu. S’il n’avait pas hésité, sa mère n’aurait rien dit. Ou au moins, il aurait pu faire attention à ce que son frère ne l’oublie pas n’importe où. Charlie avait raison, c’était sa faute et à cause de lui son petit frère était plus triste qu’il n’avait jamais été : il savait combien il tenait à ce lapin qui était l’un des plus sûr moyen de le consoler et de le rassurer. Si seulement il pouvait faire quelque chose pour retrouver ce maudit fétiche ! Il se mordit la lèvre nerveusement : bien sûr il y avait bien quelque chose qu’il pouvait faire mais… De nouveau le bruit des sanglots interrompit ses pensées et soudain son visage s’apaisa : il savait ce qu’il allait faire, ce qu’il devait faire ! Il prit un papier et griffonna quelques lignes dessus puis enfila son anorak et sortit en refermant la porte doucement.
Il fallut plus d’une heure à Margaret pour réussir à calmer Charlie. Une fois de plus elle se désola que celui-ci soit tellement à fleur de peau, si sensible que lorsqu’il se mettait dans de tels états, cela prenait des proportions inquiétantes. Finalement, après avoir vomi, épuisé par la journée passée en plein air et les larmes, le petit garçon avait fini par s’endormir, même s’il continuait à renifler dans son sommeil, signe que son chagrin le hantait toujours au pays des rêves. Elle resta à le regarder dormir un long moment, sentant revenir toutes les craintes qui la dévoraient depuis qu’elle savait combien son fils était particulier : aurait-elle la ressource de gérer cette intelligence supérieure ? Ce type de crise allait-il de pair avec ce don qu’on lui avait découvert ? Puis elle se secoua : à chaque jour suffit sa peine, se rappela-t-elle. Pour le moment, il lui fallait aller voir Donnie qui devait être bouleversé par le chagrin de son petit frère et surtout les mots que celui-ci lui avait adressés et qui, même s’il ne les pensait pas, avait dû lui faire mal. Depuis que Charlie était né, Don s’était institué le protecteur officiel de ce dernier, et il faisait toujours tout ce qui était en son pouvoir pour le rassurer, calmer ses colères, tarir ses larmes. Le petit avait une foi aveugle en lui et rien n’était plus attendrissant que de les voir jouer ensemble, l’aîné toujours attentif au confort du second qui, de son côté, tentait de toutes ses forces de copier son idole. Elle espérait de toutes ses forces que cette entente entre eux durerait toujours parce qu’ensemble ils étaient forts.
- Donnie ?
Elle jeta un regard étonné autour d’elle en ne voyant pas le gamin devant la télévision.
- Donnie ? Tu es là mon ange ? appela-t-elle plus fort en approchant de la salle de bain.
Ne percevant aucune réponse, elle ouvrit la porte et son cœur se serra en voyant la pièce vide. Où était donc son fils ? Elle regarda de nouveau autour d’elle puis se dirigea vers la porte fenêtre, espérant que l’enfant n’avait pas eu l’idée d’aller sur le balcon par le froid qu’il faisait ! Mais l’issue était bouclée et la sécurité lui apprit que son fils n’était pas sorti. Soudain son regard accrocha une feuille de papier sur la table de chevet et elle se précipita :
Maman,
Ne soie pas en colerre. Je vé voir si je trouve le doudou de Charlie. Je sait ou on est allé et peutètre que je peus le retrouvé. Je reviens très vite. Je t’embrasse. Donnie.
A la lecture du petit mot, Margaret sentit son cœur s’arrêter un instant : ça ne pouvait pas être possible ! Son fils de neuf ans ne pouvait pas avoir décidé de repartir seul au centre commercial distant de plusieurs kilomètres ! Déjà l’affolement la gagnait à l’idée de tous les dangers qui pouvaient menacer un enfant si jeune seul dans une si grande ville, inconnue de surcroît. Elle s’efforça de se calmer : perdre son sang-froid ne l’aiderait pas. Elle calcula rapidement le temps écoulé depuis qu’elle avait laissé son garçon dans la pièce : une heure vingt-cinq… Peut-être qu’il n’était pas trop loin. Il suffisait qu’elle s’habille et…
Mais non ! Elle ne pouvait pas laisser Charlie seul ! Au bord des larmes, elle s’empara du téléphone et appela Alan, désespérée quand elle s’entendit répondre qu’il était indisponible pour le moment. Elle insista tant que la secrétaire finit par accepter de lui faire passer un message au plus tôt. Lorsque dix minutes plus tard le téléphone sonna de nouveau, elle était déjà à bout de nerfs et elle faillit hurler à ce son. A l’autre bout du fil, son mari, très inquiet du message reçu, s’enquit de ce qui se passait et elle perçut l’inquiétude dans sa voix lorsqu’il décida :
- Tu restes à l’hôtel avec Charlie. Dis-moi exactement où vous êtes allés, je file là-bas.
- Et s’il s’est perdu ? Alan, New York est si grand ! Il n’est jamais venu…
- Donnie est débrouillard, tenta de la rassurer le père. Tel que je le connais il a dû repérer le métro que vous avez pris. Je suis sûr qu’il se sentait tout à fait capable de retourner là-bas.
- Mais… Si quelqu’un l’a pris… Alan… Il est si petit…
- Chut ! Arrête de te mettre des idées pareilles en tête, protesta le père d’une voix soudain beaucoup moins ferme cependant. Je suis sûr que notre Donnie va bien. Je pars tout de suite.
- Mais… ta réunion…
- Au diable ma réunion ! Mon fils est plus important que tous les contrats du monde !
- Alan… Est-ce que je ne devrais pas appeler la police ? interrogea Margaret au bord des larmes.
- Attends encore un peu… Je serai à la patinoire dans vingt minutes. Si je ne vois pas Donnie je t’appelle et nous aviserons alors.
- D’accord… Alan, trouve-le, supplia-t-elle avant de raccrocher.
Les trente minutes les plus longues de sa vie s’égrenèrent avant que le téléphone ne sonnât de nouveau : la voix blanche de son époux lui apprit qu’il n’y avait aucune trace de leur fils autour de la patinoire et les larmes se mirent à rouler sur ses joues.
- J’appelle la police, décida-t-elle.
- Oui… Moi je cherche encore un peu.
Elle raccrocha et enfouit son visage dans ses mains : toutes sortes de pensées toutes plus noires les unes que les autres l’assaillaient à cet instant précis. Puis elle se redressa : ce n’était pas le moment de gémir ! Elle décrocha de nouveau le combiné et composé le 911. Moins d’un quart d’heure plus tard, un couple d’officiers était là pour prendre sa déposition. Tremblante elle leur décrivit les vêtements portés par son fils et leur donna une photo de lui. Elle aurait aimé courir elle aussi à sa recherche, mais les policiers lui conseillèrent au contraire de rester à l’hôtel : si Don retrouvait son chemin et revenait il fallait que quelqu’un soit là pour l’accueillir.
Alors qu’ils prenaient congé, un Charlie tout ensommeillé apparut sur le seuil de la seconde chambre, réveillé par le bruit. Margaret se tourna vers lui et, durant une fraction de seconde, elle sentit la colère l’envahir tandis qu’elle pensait : « C’est de ta faute tout ça ! Si tu n’avais pas fait cette scène ton frère ne serait pas parti ! » Puis, épouvantée par cette réaction, elle se baissa pour accueillir le bambin qui se jetait dans ses bras. Le petit toucha ses joues, étonné de les sentir mouillées :
- Tu pleures maman ? interrogea-t-il d’une voix déjà tremblante.
- Non, mentit-elle lamentablement.
- Pourtant tes joues sont mouillées.
Elle comprit que de toute façon il lui faudrait bien dire la vérité à son fils qui n’allait pas tarder à réclamer son frère. D’ailleurs elle voyait déjà son regard faire le tour des lieux et elle ne douta pas de la question qui allait jaillir, aussi, s’asseyant sur le lit avec l’enfant sur les genoux, elle reprit :
- Si… Je suis un peu inquiète, c’est pour ça.
- Pourquoi tu es inquiète ? A cause de Doudou ?
Elle réprima difficilement le mouvement d’humeur que lui occasionna la demande. Après tout le bambin ne savait pas ce qui se passait et il était normal, à son âge, de tout ramener à ce qui lui tenait le plus à cœur, en l’occurrence la perte de son lapin.
- Non… C’est que Donnie est parti et…
- Donnie est parti ?
Déjà la panique s’entendait dans la voix tremblante tandis que les grands cils bruns s’ourlaient d’humidité.
- Non chéri… Il n’est pas parti pour de bon, enchaîna très vite la mère. Il a voulu aller chercher ton doudou.
- Donnie est parti chercher Doudou ?
La joie dans la voix lui fit mal. Mais comment faire comprendre à un enfant de quatre ans qui voyait son aîné comme une sorte de dieu invincible, que celui-ci n’était qu’un tout petit garçon qui courait de graves dangers à déambuler seul, de nuit, dans une ville inconnue ?
- Oui… Et j’ai peur qu’il se perde.
- Donnie ne se perd jamais ! rigola le petit.
- Charlie… On n’est pas à Pasadena ici. Donnie ne connaît pas cette ville. C’est une très très grande ville où les petits garçons ne doivent pas se promener seuls. Et puis il fait nuit…
Le regard de Charlie se dirigea vers la baie vitrée, accrochant le ciel maintenant noir dans lequel brillaient quelques étoiles et sa joie tomba tout à coup tandis qu’il se rendait compte que jamais son frère n’avait été seul dehors la nuit.
- Maman, questionna-t-il d’une voix tremblante.
- Oui chéri ?
- Est-ce que Donnie est perdu aussi ? Comme Doudou ?
Et soudain les larmes se mirent à couler sur ses joues tandis qu’il se cramponnait à sa mère.
- Non poussin… Non… On va retrouver Donnie, répondit-elle en priant, du plus profond de son cœur pour que ce soit le cas.
- Tu promets ?
Et même si elle savait qu’il ne lui pardonnerait jamais complètement cette promesse si elle ne se réalisait pas, parce qu’elle en avait autant besoin que lui, Margaret dit :
- Oui, je te promets Charlie. On va retrouver Donnie.
Ensuite la longue attente commença : elle avait allumé la télévision mais aucun des deux ne la regardait, chacun plongé dans ses pensées. Plus le temps passait, plus son angoisse grandissait : pourquoi ne l’appelait-on pas ? Plus d’une fois elle eut envie de prendre le téléphone pour appeler la police, savoir où ils en étaient, mais elle savait qu’elle ne ferait que les déranger. Ils cherchaient son fils, ils allaient le retrouver.
- Maman…
La petite main de Charlie se glissant dans la sienne l’arracha à ses pensées.
- Oui chéri ?
- Tu sais… Ce n’est pas grave si Doudou reste perdu si on retrouve Don.
Elle prit le gamin dans ses bras et il mit ses bras autour de son cou. Elle le serra contre son cœur réalisant que son petit garçon venait de comprendre une des grandes leçons de la vie : rien n’est plus important que ceux que vous aimez. Elle espérait seulement qu’il n’aurait pas ensuite à apprendre à vivre sans l’être aimé.
Au fur et à mesure qu’il arpentait le centre commercial et que la fatigue se faisait de plus en plus sentir, Alan se sentait sombrer dans le désespoir. Pourquoi avait-il eu cette idée stupide d’amener sa famille à New York ? Après tout sa dernière réunion devait s’achever le 24 décembre en fin d’après-midi : il aurait très bien pu sauter directement dans un avion et rejoindre Los Angeles à temps pour réveillonner avec sa femme et ses enfants !
Et maintenant… Si jamais on ne retrouvait pas son Donnie… Il n’y aurait plus jamais de Noël pour eux. Mais non ! Il n’avait pas le droit de penser ainsi : on allait forcément retrouver son fils ! C’était Noël ! Et même si en temps que Juif il n’aurait pas dû fêter ce jour, Margaret y tenait, alors on ne pouvait pas leur reprendre leur fils à cette époque !
Soudain un attroupement attira son attention et il s’approcha, le cœur battant. Deux officiers de police se tenaient auprès d’une petite silhouette recroquevillée sur le banc.
- Donnie ! Oh mon bébé !
A son exclamation, le petit garçon leva ses yeux plein de larmes et se jeta dans ses bras qu’il referma sur lui bien fort, comme pour s’assurer qu’il ne le perdrait plus jamais.
- Donnie… Mais qu’est-ce qui t’a pris mon ange ? Tu nous as fait tellement peur ! balbutiait-il tandis que l’enfant sanglotait à n’en plus finir.
- Chut… C’est fini… Je ne suis pas en colère, tentait-il de le rassurer, le cœur déchiré de voir son chagrin.
Don ne pleurait pas souvent, que ce soit de chagrin ou de douleur, alors le voir ainsi s’abandonner le faisait se sentir démuni. Comme il aurait aimé que Margaret soit là !
- On va aller retrouver maman d’accord ? Tout va bien mon bébé… Tout va bien…
- Mais… non… Je… Je… Je ne… Je ne l’ai… pas… pas… trouvé…, réussit à articuler son fils qu’il sentait trembler dans ses bras.
- Quoi ? Qu’est-ce que tu n’as pas trouvé ? demanda-t-il en écartant un peu son garçon pour le regarder.
- Le doudou de Charlie ! Je ne l’ai pas trouvé ! éclata alors Don en se pendant au cou de son père. Il va me détester maintenant !
- Chut… Chéri… Mais non ! Ton petit frère ne te déteste pas !
- Il a dit… Il…
- Charlie était en colère, il était triste. Mais je suis sûr qu’il a déjà tout oublié, le rassura Alan.
Il sentit l’enfant se détendre un peu contre lui, comme s’il ne demandait qu’à être rassuré.
- Vous êtes son père ?
Il tourna la tête vers l’officier qui venait de poser la question.
- Oui. Je suis Alan Eppes. Mon épouse a téléphoné pour signaler la disparition de notre fils. Je le cherchais de mon côté et…
Les deux officiers souriaient : au moins une disparition d’enfant qui se terminait bien. Lorsqu’un commerçant de la galerie avait téléphoné au poste pour leur signaler un petit garçon apparemment perdu qui pleurait seul sur un banc, ils s’étaient rendus sur les lieux en espérant qu’il s’agissait de l’enfant porté disparu près de trois heures plus tôt. Quand ils étaient arrivés, un petit groupe de personnes entourait l’enfant affolé qui refusait de répondre aux adultes le pressant de questions, regardant autour de lui comme un animal pris au piège. Et puis l’homme était arrivé et en voyant le petit se jeter dans ses bras, en regardant comment l’adulte le serrait contre lui, ils avaient compris que la fin serait heureuse cette fois-ci, c’est pourquoi ils arboraient ce grand sourire en prenant d’abord la déposition du père, puis celle de l’enfant qui, rassuré par la présence d’Alan put leur raconter son périple en quelques mots.
Il avait retrouvé le centre commercial sans peine, puis il s’était mis à la recherche du doudou, bousculé par les passants pressés, finissant par sentir ses mains et ses pieds geler, petit Californien peu habitué aux températures négatives ! Finalement, il n’avait plus su vraiment par où aller pour retrouver le métro et il n’avait pas osé demander : ses parents lui avaient toujours dit de ne pas adresser la parole à des inconnus. Epuisé, il avait fini par trouver refuge sur ce banc.
- On va vous raccompagner à votre hôtel, il a besoin d’un bon bain pour se réchauffer, d’un bon repas et d’une bonne nuit de sommeil, déclara l’un des agents.
Alan ne se le fit pas dire deux fois et un Don aux anges, ayant semble-t-il oublié ses angoisses précédentes, put profiter d’une balade dans une vraie voiture de police.
- Et ne te promène plus jamais tout seul dans les rues jeune homme ! sourit le policier en lui tendant la main et en posant sur ta tête une casquette marquée du sigle NYPD. Tiens, voilà pour toi…
- Merci officier, dit Alan d’une voix émue tandis que Don, fier comme Artaban de son nouveau couvre-chef renchérissait :
- Merci officier.
Les deux hommes portèrent la main à leurs fronts et retournèrent à leur véhicule tandis qu’Alan prenait la main de Don et s’engouffrait avec lui dans l’ascenseur.
- Papa… Tu es sûr que Charlie ne va pas me détester ? questionna Don, tout sourire disparu, tandis qu’ils s’élevaient vers le trentième étage.
Il se baissa pour se mettre à sa hauteur et posa ses mains sur ses épaules :
- J’en suis sûr mon ange.
Don lui répondit par un petit rictus tendu : il n’avait pas rempli sa mission, il avait trahi son frère en quelque sorte ! Et si Charlie ne le lui pardonnait jamais ?
Mais il cessa de se poser des questions sitôt que les portes de l’ascenseur s’ouvrirent et qu’une petite tornade brune vint se jeter contre lui en criant :
- Donnie !! Donnie !!! Tu n’es pas perdu ! Tu n’es pas perdu !
Puis il passa dans les bras de sa mère qui le serra longuement contre elle tout en grondant gentiment :
- Ne me fais plus jamais ça mon ange ! Plus jamais…
Les parents savaient qu’ils auraient dû gronder l’enfant de son imprudence, mais le bonheur de l’avoir retrouvé sain et sauf éclipsait le reste et puis il paraissait trop épuisé pour pouvoir faire autre chose que prendre un bain sous la surveillance de sa mère, sans même qu’il songe à protester, ce qui indiqua à celle-ci, mieux que n’importe quel discours, à quel point il était éreinté, avaler une soupe bien chaude et une compote de pomme avant de se glisser dans les draps où ses deux parents vinrent le border tandis que, dans le lit voisin, son petit frère le couvait avec des yeux brillants de joie.
Au moment où Margaret déposait un baiser sur son front, il lui murmura :
- Maman… Il faut que je te dise… Pour Charlie….
- Chut… On verra ça demain mon ange. Maintenant tu dors.
Elle n’avait pas fini sa phrase que le petit garçon était déjà au pays des rêves.
Le lendemain matin, à son réveil, Charlie regarda dans le lit voisin et en jaillit comme un diable de sa boîte en ne voyant pas son frère. Il surgit dans la chambre mitoyenne en hurlant :
- Donnie ! Donnie tu es où ?
- Donnie est parti faire une course avec maman, répliqua alors Alan. Viens prendre ton petit déjeuner.
- Mais je veux faire les courses aussi.
- Trop tard… Ils sont partis il y a un moment déjà.
- C’est quoi les courses ? Pourquoi ils ne m’ont pas emmené ? trépigna le petit garçon.
- Peut-être parce qu’ils ne voulaient pas d’un bébé avec eux ! rétorqua le père.
- Je suis pas un bébé ! hurla Charlie, cramoisi.
- Ah non ? Pourtant là tu ressembles à un gros bébé en colère ! se moqua Alan s’attirant un regard meurtrier du gamin qui se replia dans la chambre dont il ferma la porte dans un claquement qui fit sourire le père.
Quelques minutes plus tard, le bambin sortit de nouveau, habillé et débarbouillé, souriant d’un air fier :
- Tu vois, je suis pas un bébé ! J’ai tout fait tout seul !
- Je vois ça ! applaudit Alan. Alors : tu veux un petit déjeuner maintenant mon grand garçon ?
- Oui… Ils sont partis où ? enchaîna Charlie en s’asseyant devant le bol de céréales qu’Alan venait de préparer. Pourquoi ils m’ont pas emmené ?
- Parce que je crois qu’ils voulaient te faire une surprise.
- Une surprise ? Pour moi ?
Alan hocha la tête avec un sourire, s’amusant de l’air ravi teinté d’impatience qui se peignit sur le visage de l’enfant en même temps qu’il se disait qu’il n’avait peut-être pas été très malin sur ce coup-là parce que si Don et Margaret ne rentraient pas très vite, Charlie allait se montrer insupportable.
Heureusement celui-ci avait à peine terminé la dernière cuillérée de son bol que la porte s’ouvrait devant le reste de la famille. Aussitôt le plus jeune sauta à bas de sa chaise et courut vers eux :
- Donnie ! Maman ! C’est quoi la surprise ?
Margaret jeta un regard mi-figue mi-raisin à son mari en disant :
- Je connais quelqu’un qui a eu la langue trop longue…
- Il voulait savoir pourquoi vous ne l’aviez pas emmené. Que voulais-tu que je lui dise ?
- Alors, c’est quoi la surprise ? insistait Charlie en regardant le sac que tenait son frère, sans se préoccuper de ce que disait les adultes.
- C’est un truc que j’ai vu hier en cherchant ton doudou, expliqua Don. Tu sais, je suis désolé de ne pas l’avoir retrouvé.
- C’est pas grave, répliqua Charlie. Toi tu es revenu, c’est plus important !
Les parents se sentirent émus de cette déclaration d’amour fraternel et sourirent en regardant leurs enfants tandis que l’aîné reprenait :
- C’est gentil ça Charlie. Mais en cherchant doudou je suis passé devant une boutique et… J’en ai parlé à maman ce matin, elle a été d’accord alors…
- Alors quoi !!! C’est quoi ? trépigna le petit.
- Tiens Charlie, c’est ton nouveau protecteur, déclara alors solennellement Don en sortant du sac un lapin couleur lavande, portant un tee-shirt blanc sur lequel s’affichait en violet la lettre π.
Charlie ouvrit grand ses yeux, regarda ses parents puis son frère et un immense sourire se dessina sur son visage tandis qu’il saisissait le lapin et le serrait contre son cœur :
- Tu sais… C’est Donnie qui l’a payé avec ses sous, précisa alors Margaret.
A cette nouvelle, le petit garçon se jeta dans les bras de son frère :
- Merci, merci Donnie, je l’adore !!!!
- Avec lui, tu n’auras plus jamais à avoir peur, sourit l’aîné. C’est ton protecteur.
- Mon protecteur….
- Il te plaît ?
- Beaucoup ! Beaucoup !
- Comment vas-tu l’appeler, questionna le père.
- Ben c’est évident ! rétorqua le gamin en haussant les épaules. C’est Monsieur Pi.
- Ben oui papa, c’est évident ! appuya Don en clignant de l’œil.
Puis soudain deux petits bras se refermèrent autour de sa taille tandis que Charlie disait :
- Mais tu sais Don, mon vrai protecteur, c’est toi ! Je t’aime très fort !
L’aîné s’accroupit auprès de son petit frère et le serra dans ses bras en disant d’une voix émue :
- Je t’aime aussi affreux petit singe !
Les parents regardaient la scène, l’œil pas tout à fait sec, heureux de voir leurs enfants si unis et si complices.
Ce Noël à New York, où monsieur Pi fit son entrée dans leur vie, fut finalement l’un des meilleurs qu’ils aient jamais connu.
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Juillet 1988 – Princeton- Je me souviens de ce Noël, mais j’avais oublié que c’était à cette occasion que j’avais eu monsieur Pi. Je me rappelais surtout que j’avais eu peur de perdre Don. Ca me paraît si loin tout ça aujourd’hui.
- Mais je suis sûr que ton frère t’aime toujours autant qu’à cette époque, et toi aussi.
- On se dispute tout le temps.
- Ca n’empêche pas l’amour chéri.
Puis, après quelques instants, Margaret reprit :
- Maintenant il faut dormir. Demain tu pourras rappeler ton frère si tu veux.
- Oui… Ce serait bien, murmura Charlie à moitié endormi, serrant contre lui un monsieur Pi sorti de sa retraite pour reprendre le rôle de protecteur que Don ne pourrait dorénavant plus assumer.
Fin du flashback(à suivre)[u][center]