Merci Jeanny
Bon, voilà l'un des deux chapitres ajoutés... J'espère qu'il vous permettra de me pardonner cette longue attente...
Chapitre 29 : Le protecteur (partie 1)
Avril 2006 – 9 h 12 : Big Bear Montain- Une malheureuse fois, ça ne compte pas vraiment, rétorqua le mathématicien.
- Ce n’est pas le nombre de fois qui compte Charlie, c’est aussi l’importance de l’occasion. Et celle-ci était l’une des plus importantes qui soit pour moi ! J’en étais malade lorsque j’ai appris qu’ils ne seraient pas là, que vous ne seriez pas là, reprit-il aussitôt.
- Et pourtant tu n’as rien dit, tu les as incités à m’accompagner, moi.
- Parce que je savais que c’était ce qu’ils voulaient par-dessus tout : ils étaient tellement fiers de toi !
- Ils étaient fiers de toi aussi Donnie, infiniment ! protesta le plus jeune.
Son frère sembla se plonger dans ses réflexions avant de répondre :
- Oui… Je crois que tu as raison… Mais à cette époque-là je ne m’en rendais pas vraiment compte. C’est pour ça que le fait qu’ils soient venus alors que papa désapprouvait tellement mon choix de carrière m’a tellement ému. Et je sais que c’est grâce à toi qu’ils étaient là.
- Je n’aurais manqué ta remise de diplôme pour rien au monde frangin, répondit Charlie en resserrant son étreinte en sentant son frère trembler. Moi aussi je suis tellement fier de toi.
- Et moi de toi, répondit Don.
- Tu as toujours été là pour moi… Toujours prêt à me protéger.
- C’est mon job, et puis, je n’étais pas tout seul.
- Mais papa et maman ils avaient fait ce choix.
- Moi aussi. Et puis je ne parlais pas de papa et maman.
- Ah non ? De qui ?
- Ingrat ! Tu as déjà oublié monsieur Pi ? sourit Don.
Monsieur Pi ! Depuis combien de temps n’avait-il pas pensé à lui? se dit Charlie, replongeant instantanément dans leurs souvenirs communs.
FlashbackJuillet 1988 – Pasadena- Espèce de crétin !
- Espèce de nain !
- T’es qu’un pauv’ naze !
- Et toi une sale grosse tête !
- Je serai vraiment ravi de ne plus jamais voir ta tronche de cake !
- Et moi j’ai vraiment hâte que tu fiches le camp d’ici pour pouvoir respirer à mon aise !
- Les garçons ça suffit maintenant ! Allez donc vous calmer dans votre chambre !
La voix de Margaret interrompit la litanie d’insultes qu’échangeaient Don et Charlie depuis plus d’un quart d’heure. Les deux garçons tournèrent la tête vers leur mère et un instant elle crut qu’ils allaient la défier, mais ils haussèrent les épaules de concert et, si elle n’avait pas été aussi ulcérée par cette énième scène depuis le début de la journée, elle aurait sourit en voyant combien ils se ressemblaient à cet instant, la même lippe boudeuse, le même regard sombre dans lequel se lisait le même entêtement. Puis ils se détournèrent et montèrent les escaliers en continuant de s’insulter à mi-voix.
Lorsque les deux portes eurent claqué sur eux, elle soupira longuement se demandant, une fois de plus, ce qu’ils avaient raté pour que leurs deux enfants semblent maintenant tellement se détester, eux qui étaient tant complices quelques années auparavant. Elle et Alan n’en pouvaient plus de leurs querelles perpétuelles qui étaient allées en s’aggravant depuis le début de l’année scolaire, culminant dans cette bagarre stupide qui les avait opposés lorsque Charlie avait appris que Don serait le cavalier de Val Eng, la seule fille du lycée qui prête attention à lui.
Depuis cette soirée de fin d’études, malgré les efforts de leurs parents, les deux garçons ne s’étaient pas rapprochés et chaque fois qu’ils se trouvaient dans la même pièce, les choses ne tardaient pas à dégénérer entre eux au point que les parents étaient désormais pressés qu’arrive le jour d’aller installer Charlie à Princeton, Don devant partir pour un stage de familiarisation avec l’équipe des Rangers de Stockton qui l’avait recruté.
« Encore une journée et on aura enfin la paix ! » songea la mère épuisée.
Et puis la portée de sa pensée lui apparut brusquement et les larmes lui montèrent aux yeux : encore une journée et elle allait quitter cette maison pour des années, laissant derrière elle son fils chéri, certes déjà presque un jeune homme, mais qui était et serait toujours son bébé. Et lorsqu’elle reviendrait, d’ici trois ou quatre ans, quand Charlie aurait fini son premier cycle dans ce collège et entrerait à l’université de son choix, Don serait devenu un homme et elle aurait raté ces années-là. Alors non, elle ne pouvait pas se réjouir de partir en l’abandonnant. Bien sûr elle savait que ce ne serait pas le cas : Don reviendrait régulièrement chez eux où il retrouverait son père qui, par ailleurs, se libèrerait chaque fois qu’il le pourrait pour aller le voir jouer, mais c’est ainsi qu’elle le ressentait au plus profond d’elle-même. Evidemment elle n’avait pas le choix : Charlie était bien trop jeune pour partir seul à l’autre bout du pays, seul dans une école où tous les étudiants auraient au minimum quatre ans de plus que lui. Il avait besoin de sa mère à ses côtés et elle devait faire ce sacrifice pour lui, mais ça ne rendait pas les choses plus faciles.
Dans sa chambre, Don s’était jeté sur son lit et, un bras sous la tête, il contemplait le plafond, cherchant à retrouver l’origine de cette querelle sans y réussir. De toute façon, lui et Charlie se disputaient pour un rien. Comme le leur avait crié leur père la veille :
- Même quand vous êtes d’accord vous vous arrangez pour que ça dégénère en scène !
En y réfléchissant il n’avait pas tout à fait tort. Il avait beau chercher, il n’arrivait pas à se souvenir de vrais bons moments passés avec son petit frère depuis près de deux ans et surtout depuis le début de cette année scolaire catastrophique qui avait vu le petit génie atterrir dans la même classe que lui, le faisant passer pour un demeuré aux yeux des autres lycéens : cinq ans de plus et dans la même classe ! Mais à quoi ça rimait !
Pourtant il savait que ce n’était pas la faute de Charlie : il n’allait tout de même pas ralentir son cerveau juste parce que son frère ne supportait pas qu’il puisse lui faire de l’ombre ! Mais c’était plus fort que lui : son cadet l’agaçait avec sa manie de vouloir faire comme s’il était de leur âge. Il avait peut-être la plus grosse tête de l’univers, mais ce n’était encore qu’un gamin et il aurait bien fallu qu’il s’en souvienne ! Enfin, le lendemain tout cela serait fini…
Et soudain, à cette pensée, sans savoir pourquoi, il sentit une boule se former au fond de sa gorge et ses yeux le picoter de manière suspecte.
Dans sa chambre, Charlie était pareillement étendu sur son lit, repassant en boucle dans ses pensées les mots jetés par Don auxquels il avait répondu avec usure. Quant au départ de la querelle, il aurait été bien en peine de le retrouver ! Mais de toute façon, depuis que Don le détestait, il ne se passait pas une fois sans que, quoi qu’il dise ou fasse, son frère lui lance des piques et il n’allait tout de même pas se laisser faire ? Ce n’était pas parce qu’il avait cinq ans de plus que lui qu’il fallait qu’il se croit supérieur ! Lui, Charlie, était bien plus intelligent que Don et tous ses amis ne le seraient jamais, alors qu’ils arrêtent de le traiter comme un gamin stupide ! Enfin, le lendemain il allait partir pour ce collège dont il rêvait et son idiot de frère ne serait plus qu’un souvenir désagréable !
A peine eut-il émis cette pensée qu’un long frisson le parcourut tandis que ses yeux s’embuaient soudain.
Comment Charlie était-il devenu ce sale môme prétentieux et insupportable ? se demandait Don au même moment. Pourtant quand il était petit, il était si mignon ! Et puis cette façon qu’il avait de le regarder comme un héros ! C’était parfois embarrassant mais à y repenser, tellement agréable aussi !
Pourquoi Don s’était-il ainsi éloigné de lui ? Comment l’idole de son enfance avait-elle pu devenir l’un de ses pires cauchemars ?
Son petit frère allait quitter la maison et il ne le reverrait pas avant longtemps…
Trois petits coups à sa porte arrachèrent Don à ses songes moroses. Il se redressa, mais avant qu’il ait pu répondre, la porte s’ouvrait sur Charlie et aussitôt sa mauvaise humeur réapparut :
- Tu n’as jamais appris à attendre qu’on te dise d’entrer ? dit-il d’une voix rogue.
- Je savais bien que tu étais tout seul, répliqua le jeune garçon en faisant un pas dans la chambre.
- Qu’est-ce que tu veux Charlie ?
- Rien… Je crois que c’était une mauvaise idée. Excuse-moi, dit alors le cadet en faisant demi-tour.
Don se leva prestement et le rattrapa, l’attrapant par les épaules pour le retourner vers lui :
- Non ! Attends ! Je suis désolé. Dis-moi ce que tu voulais.
Et dans les yeux qui se levèrent alors vers lui, l’espace d’un instant, Don retrouva le petit frère adorateur qui aurait fait n’importe quoi pour lui.
- Je voulais juste discuter un peu avec toi… Demain je m’en vais et…
- Viens par là mon pote, viens… Je t’écoute. Qu’est-ce qui ne va pas Charlie ?
Soudain le gamin redécouvrait le grand frère plein de sollicitude, le protecteur qu’il avait cru disparu et un pâle sourire étira ses lèvres tandis qu’il s’allongeait auprès de lui, comme ils l’avaient si souvent fait durant des années.
Les deux frères se mirent à parler, calmement, en frères, comme ils ne l’avaient plus fait depuis trop longtemps.
- Qui va s’occuper de moi ? demanda Charlie à un moment, d’une petite voix angoissée.
- Tu vas avoir maman avec toi, répliqua Don, tentant de gommer de sa voix le ressentiment qu’il ressentait à être privé de sa mère.
Bien sûr, si on lui avait demandé son avis il aurait été le premier à dire que Margaret devait accompagner Charlie, celui-ci étant bien trop jeune pour partir seul, mais pour autant il ne pouvait s’empêcher de penser à ce départ avec un pincement au cœur. Qui serait-là pour savoir quand il allait mal ? Qui le consolerait de ses peines de cœur ? Qui saurait lui faire la morale de cette manière douce et attentionnée ?
- Mais maman… C’est maman… Toi… Toi tu me protégeais. Je vais faire comment sans toi Donnie ?
C’était comme un grand cri d’angoisse en même temps qu’un cri d’amour et Don se sentit remué jusqu’au fond des tripes. Il se releva sur un coude, regardant son petit frère droit dans les yeux :
- Je serai toujours là pour toi mon pote, toujours.
- Mais tu seras si loin.
- Tu es grand maintenant Charlie. Je suis sûr que tu sauras te défendre.
- Je n’aurais plus de protecteur.
Don chercha comment rassurer celui qui finalement, il s’en apercevait soudain, n’était encore qu’un petit garçon, même s’il avait en poche son diplôme de fin d’études secondaires.
- Tu auras toujours monsieur Pi.
- Monsieur Pi ?
- Tu te souviens? Ton lapin magique…
- Don… Je n’ai plus cinq ans ! Je ne crois plus aux lapins magiques depuis longtemps !
- Plus cinq ans ! C’est toi qui le dit ! Là tu vois, j’ai l’impression que tu n’as pas plus figure-toi !
Il n’avait pas de mauvaise intention pourtant, mais lorsqu’il vit le visage de son frère se refermer, Don comprit qu’il venait de dire une bêtise. Mais il était trop tard, déjà le petit génie se relevait :
- Charlie, attends, tenta-t-il… Je ne voulais pas dire…
- Je sais exactement ce que tu voulais dire Don. Excuse-moi de t’avoir dérangé ! Je retourne dans ma chambre ! Je dois finir ma valise !
Et avant que son aîné ne puisse dire quoi que ce soit d’autre, Charlie quitta la pièce. Don se frappa le front du plat de la main, à la fois mécontent de lui et énervé de l’hyper sensibilité de son frère : décidément on ne pouvait rien lui dire ! Il avait peut-être un super cerveau mais il aurait fallu qu’il prenne parfois deux minutes pour réfléchir !
Un instant il se demanda s’il devait aller rejoindre son cadet puis finalement il y renonça : de toute façon ils risquaient juste de se disputer, une fois de plus !
Le lendemain matin, le petit déjeuner fut contraint et une querelle éclata de nouveau entre les deux garçons, mettant Margaret au bord des larmes tandis que Charlie sortait en claquant la porte pour s’installer dans la voiture, attendant l’heure du départ, et que Don montait dans sa chambre en clamant que ce n’était pas la peine de l’appeler pour lui dire au-revoir.
Le jeune homme redescendit tout de même à l’appel de sa mère pour l’embrasser ainsi que son père qui partait pour installer sa femme et son fils, ayant pris deux semaines de vacances pour, après trois jours de voyage par la route afin de transporter leurs affaires, pouvoir passer un peu de temps avec eux et se familiariser avec le campus où désormais son fils allait vivre. Il sortit sur le trottoir pour les voir partir et les parents eurent le cœur serré en voyant leurs deux enfants refuser de s’embrasser alors qu’ils ne se retrouveraient plus avant longtemps. Charlie était assis dans la voiture, le front buté, le regard dirigé droit devant lui et Don n’avait pas pris la peine d’aller jusqu’à la portière pour tenter de le raisonner. Au moment où il démarra, Alan se demanda si un jour ses fils se réconcilieraient.
Lorsque la voiture eut fait quelques mètres, Charlie se retourna et il vit son frère, seul, debout sur le trottoir, qui levait les bras en signe d’adieu. Ses yeux se remplirent de larmes brouillant un instant son regard, rendant floue la silhouette qui rapetissait de plus en plus jusqu’à disparaître.
*****
Juillet 1988 – Princeton- Maman !
La voix de Charlie fit se retourner sa mère qui s’étonna de le voir avec un lapin bleu lavande vêtu d’un tee-shirt blanc marqué d’un énorme π violet sur le devant. Le jeune garçon lui demanda :
- C’est toi qui a mis Monsieur Pi dans ma valise ?
- Non chéri ! Pas du tout !
- C’est papa alors ?
Celui-ci, qui était en train de disposer les livres préférés de Margaret sur une tablette se retourna :
- Non… Mais tu l’as peut-être fait sans y penser.
- Je le saurais si je l’avais fait !
- En tout cas ce n’est pas moi.
- Mais si ce n’est pas toi ni maman, c’est qui ?
Et soudain il se souvint de ce matin, trois jours plus tôt, alors qu’il revenait de la salle de bain et qu’il avait croisé Don qui sortait de sa chambre :
- Qu’est-ce que tu veux ? avait-il interrogé d’une voix déjà agressive.
- Rien… Je voulais juste voir si tu étais réveillé. On dirait que oui… et que tu t’es levé du pied gauche en plus ! avait rétorqué son aîné.
Alors c’était ça, il était entré pour glisser subrepticement monsieur Pi dans sa valise ! De nouveau ses yeux se mouillèrent : c’était comme le signe que son frère allait continuer à veiller sur lui, à près de 4 000 miles de distance, par l’intermédiaire de ce lapin qu’il avait traîné durant toute sa petite enfance.
- Maman… Est-ce que je peux appeler Donnie s’il te plaît ?
Margaret consulta rapidement sa montre :
- Il est 18 h 25, ce qui veut dire qu’à Los Angeles il est 21 h 25. Je ne pense pas que ton frère soit couché. Appelle-le, ça lui fera plaisir.
Charlie se rua sur le téléphone et les parents se regardèrent, soulagés : peut-être que finalement, tout n’était pas perdu entre leurs enfants.
Plus tard, alors que sa mère venait le border dans son lit, Charlie se retourna vers elle et elle sourit en voyant qu’il tenait Monsieur Pi contre son cœur :
- Maman… Pourquoi crois-tu que Donnie a mis monsieur Pi dans la valise ?
- Tu lui as demandé ?
- Il m’a répondu que c’était parce que j’étais un bébé qui avait encore besoin de son doudou, répondit-il d’un ton boudeur.
- Et toi, tu en penses quoi ?
- Je ne sais pas… Peut-être qu’il voulait me dire qu’il veillerait sur moi.
- Oui… Je crois que c’est ça. Il sait combien tu aimes cette peluche. C’est une manière de te dire qu’il t’aime aussi.
- Pourtant il ne le montre pas souvent.
- Donnie a dix-huit ans chéri. Ce n’est pas facile pour lui d’avoir un petit frère aussi brillant !
- Ce n’est pas ma faute si je suis brillant ! Parfois j’aimerais mieux être comme lui, comme tout le monde !
- Mais tu n’es pas comme cela. Et Don en souffre parfois. Et puis c’est un Eppes et les Eppes ont du mal à exprimer leurs sentiments…
- Comme papa…
- Comme papa… et Donnie… et toi aussi mon cœur.
- Mais tout de même, j’ai parfois l’impression qu’il me déteste.
- Non il ne te déteste pas. Mais il a du mal à trouver sa place.
- Avant on faisait des trucs ensemble et…
- Les choses changent mon cœur. Tout ne peut pas rester pareil.
Charlie sourit, serrant le lapin dans ses bras :
- C’est vrai. Je me souviens que je traînais monsieur Pi partout avec moi et que, si vous m’aviez laissé faire, je l’aurais même emporté à l’école. Et pourtant je crois bien qu’il y a au moins deux ans qu’il était sur une étagère sans que j’y prête attention !
- Exactement… Pourtant tu le retrouves avec plaisir.
- Tu crois qu’un jour je retrouverai Don aussi ?
- J’en suis persuadée mon cœur.
Charlie sourit puis attrapa la main de sa mère : il se sentait nerveux pour le lendemain où il devait aller visiter le campus et il voulait prolonger ce moment de discussion :
- Dis-moi… Il vient d’où exactement monsieur Pi ?
- Tu ne t’en souviens pas ?
- Ben… J’ai l’impression de l’avoir toujours eu. Vous me l’avez acheté quand j’étais bébé ?
- Non mon cœur. Tu as reçu monsieur Pi quand tu avais quatre ans. Et c’est Donnie qui l’a acheté pour toi.
- Donnie ? Vraiment ?
- Vraiment…
Et Margaret, tout aussi ravie de ce moment d’intimité avec son garçon qui lui faisait un instant oublier l’autre, celui qu’elle avait laissé derrière elle, commença à raconter :
(à suivre)